Prophète en sa patrie ? (Mc 6,1-6a)

Parallèles : Mt 3,53-58 | Lc 4,24

14e dim. ord. (B)

Jésus, ses disciples, une synagogue, un enseignement… schéma classique. Seul le lieu est  nouveau : sa terre natale, Nazareth.

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L’échec annonciateur (6,1-3)

Mc 6, 1 Sorti de là, Jésus se rendit dans son lieu d’origine, et ses disciples le suivirent. 2 Le jour du sabbat, il se mit à enseigner dans la synagogue. De nombreux auditeurs, frappés d’étonnement, disaient : « D’où cela lui vient-il ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ? 3 N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? » Et ils étaient profondément choqués à son sujet.

En son lieu d’origine

Marc ne cite pas le nom de la ville de Nazareth. Ce qui se passe ici pourra aussi se dérouler  ailleurs qu’à Nazareth. Car, l’échec de Jésus reflète déjà le verdict de la Passion mais aussi l’opposition à l’Évangile par une large partie du Judaïsme où il est né.

Après les succès de ses enseignements et de ses miracles auprès de ces foules nombreuses, l’épisode demeure étonnant. Seuls les habitants de la Décapole païenne avaient réservé un mauvais accueil à Jésus. Pourtant même ici, chez lui, l’enthousiasme n’est pas au rendez-vous. Jésus est maintenant une occasion de chute, un scandale, autrement dit un empêchement, un obstacle. Mais à quoi ? et pourquoi ? Reprenons plus en détail le récit.

D’où lui vient cela ?

À travers l’évocation de sa sagesse et de ses miracles, le récit nous permet de faire mémoire. La sagesse donnée nous rappelle ses paraboles du règne de Dieu (4,1-34). Ces dernières suscitaient le questionnement de ses propres disciples : Ceux qui l’entouraient … se mirent à l’interroger sur les paraboles (4,10-12). Cependant, ici, ce n’est pas le contenu du discours qui interpelle les Nazaréens, mais la question des origines d’une telle sagesse. Le texte laisse entendre que ni son enfance, ni son éducation ne suffisent à l’expliquer. Il en est de même à propos des miracles faits par ses mains nous renvoyant tout aussi bien à la belle-mère de Pierre (1,29-39), au lépreux (1,40-45), à la fille de Jaïre (5,21-43) qu’à l’ensemble de ses miracles. Et Dieu sait si depuis le début nous en avons vécus. Rien n’échappe à ses mains et à sa Parole. Son autorité a combattu avec succès tous les éléments nuisibles : la tempête (4,35-41), une légion de démons (5,1-20), la maladie et la mort (5,21-43). D’où tient-il ce pouvoir ?

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N’est-il pas …

Le charpentier ? Pour les locaux, Jésus est un artisan qui travaille de ses mains. Son apprentissage ne le prépare pas à la prédication. Son savoir-faire manuel n’est pas destiné à la guérison ni aux miracles. Jésus est charpentier, supposant des mains rudes et calleuses, il ne peut donc être ni maître de sagesse, ni thaumaturge.

Le fils de Marie et le frère de… et ses sœurs? Sa filiation et sa fratrie sont connues des Nazaréens. Il ne tient donc pas son pouvoir d’une noble hérédité. Est-ce un hasard si les gens de Nazareth omettent, chez Marc1, de mentionner le père : Joseph ? Il est probable que Marc l’ait oublié à dessein. Ce silence nous est destiné. Nous qui avons suivi Jésus depuis le début de notre lecture nous serions en mesure de répondre à ces gens de Nazareth.

Non, effectivement, ce charpentier n’est pas maître de sagesse, ni thaumaturge. Et si nous ne connaissions ni sa mère ni ses frères, à l’inverse des Nazaréens, nous connaissons le Père qui s’est manifesté au Jourdain. Ses frères sont ici nommés. Ils sont quatre : Jacques, Joset, Jude et Simon. Mais nous en connaissons d’autres, autrement frères : Simon, André, Jacques, Jean, Lévi. Et si ses sœurs sont parmi eux, nous savons que toutes celles et ceux qui font la volonté de son Père sont ses frères, ses sœurs, sa mère… (3,35).

David Roberts, Nazareth en Terre Sainte, 1842

Fin des certitudes mondaines

Les gens de Nazareth ont défini Jésus en fonction de leur savoir. Ils n’ont su accueillir une nouveauté, ni se laisser transformer par sa parole, par sa présence. Pour eux, il est impossible que Jésus soit autre chose qu’un-charpentier-bien-de-chez nous, et surtout pas Messie, Fils de Dieu ou roi. Leur manque de foi est caractéristique d’une surdité à toute conversion.

Se mettre à l’écoute de Jésus et le suivre, mettre sa foi en Lui et dans le règne qu’il annonce, tout cela demande des abandons et des déplacements. Laisser ses filets pour devenir pêcheurs d’hommes (1,21-28). Abandonner son bureau des taxes (2,13-17) et le suivre jusque dans des contestations. Se reconnaître ignorant à l’écoute de ses paraboles (4,3-20) et incrédule dans les tempêtes (4,35-41), etc. Sans doute encore devrons-nous abandonner bien de nos apriori et de nos certitudes mondaines pour accepter un mystère qui se dévoile peu à peu.

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La figure prophétique (6,4-6)

6, 4 Jésus leur disait : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté et sa maison. » 5 Et là il ne pouvait accomplir aucun miracle ; il guérit seulement quelques malades en leur imposant les mains. 6 Et il s’étonna de leur manque de foi. Jésus parcourait les villages d’alentour en enseignant.

Le rejet des prophètes

Face à leurs doutes, Jésus laisse entrevoir quelques éléments de réponses. Il s’appuie ainsi sur la figure du prophète. Il ne s’y identifie pas mais en fait juste allusion à l’occasion de cette maxime : Nul n’est prophète en son pays ! Or le prophète est justement celui que Dieu choisi indépendamment de sa naissance ou de ses compétences. Le prophète Amos2 n’était qu’un bouvier et Jérémie3 était beaucoup trop jeune, et pourtant le Seigneur a fait d’eux des prophètes. Même Moïse avouait à Dieu qu’il n’était pas doué pour s’exprimer (Ex 4,10). Ainsi, Jésus rappelle, à travers la figure du prophète, les choix étonnants de Dieu, libre de toutes conventions et critères humains.

En associant la figure du prophète à celle du mépris, Jésus rappelle également comment ces mêmes prophètes, choisis par Dieu, n’ont pas toujours fait l’unanimité des leurs, avant d’être reconnus. Ainsi, Jérémie sera méprisé et jeté dans une citerne (Jr 37,4-6). C’est par un autre prophète qu’Amos sera dénoncé au roi (Am 7,10). Et combien de fois Moïse fut-il contesté par les fils d’Israël (Ex 5,21 ; 16,3 ; Nb 14,2 …) ? Déjà se profile pour Jésus ce rejet des siens…

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Un prophète comme toi

Mais une autre figure apparaît. Celle du prophète annoncé par Moïse : C’est un prophète comme moi que le Seigneur ton Dieu te suscitera du milieu de toi, d’entre tes frères ; c’est lui que vous écouterez (Dt 18,15). Ce verset du livre du Deutéronome annonce la venue d’un libérateur qui, comme Moïse, sera le serviteur de Dieu pour délivrer son peuple et faire entendre sa Parole. Ce nouveau Moïse est pris du milieu de toi, d’entre tes frères. Or nous sommes bien, à Nazareth, au milieu de la terre natale de Jésus et en présence de ses frères et sœurs.

Nul n’est prophète en son pays, adage sans doute connu de tous, mais ici il ne s’agit plus de n’importe quel prophète. Il s’agit du Messie attendu tel un nouveau Moïse. En Jésus, nous avons entendu les paroles même de Dieu qui rassemble, gouverne et guide son peuple sur terre, en mer et dans la tempête. Parole de Dieu qui combat une légion de démons lors d’un séjour en Décapole et Parole de Dieu qui fait renaître à la Vie la fille de Jaïre. Ces trois derniers épisodes faisaient écho à la délivrance des fils d’Israël au temps de Moïse… Là, Dieu exprimait sa souveraineté par les plaies d’Égypte (Ex 7-10), par le passage de la mer, par le combat contre Pharaon et son armée (Ex 14), et enfin par le don de la vie et du salut à son peuple à travers le don de l’eau et de la manne (Ex 15-16).

Marc ne cite pas la ville de Nazareth. Il a préféré parler de sa patrie pour mieux annoncer ce futur rejet de la part des siens bientôt à Jérusalem et, plus tard, ce refus d’une partie des Israélites.

Pssion

Le reconnaître librement

Ainsi ses compatriotes ne le reconnurent pas. Il était pour eux une occasion de chute… et Jésus s’étonnait de leur manque de foi. Même le livre du Deutéronome annonçait que l’accueil de ce nouveau Moïse ne relevait pas d’une évidence qui s’imposerait d’emblée, mais nécessiterait un discernement dans la foi : Peut-être vas-tu dire en ton cœur, comment saurons-nous ? (Dt 18,18-224).

Dieu n’est pas Pharaon, ni César pour s’imposer par la force. Si ce nouveau Moïse, ce nouveau sauveur, est pris d’entre tes frères, c’est pour demeurer ton frère et non pour devenir ton maître. Ou devenir ton maître en te servant et t’aimant jusqu’au bout comme un frère.

  1. Seul Marc précise que Jésus est charpentier en omettant la référence à Joseph. En Mt 13,54-58, Jésus est le fils du charpentier. Chez Luc (4,2), Jésus est juste le fils de Joseph. ↩︎
  2. Amos, prophète au VIIIes av. J.C., témoigne : « Je n’étais pas prophète, je n’étais pas fils de prophète, j’étais bouvier, je traitais les sycomores mais le Seigneur […] m’a dit : Va ! prophétise à Israël mon peuple. » (Am 7,14-15) ↩︎
  3. Jérémie, prophète au VIes. av. J.C., se plaint : « La parole du Seigneur s’adressa à moi : […] Ah ! Seigneur Dieu, je ne saurais parler, je suis trop jeune ! Le Seigneur me dit : Ne dis pas : Je suis trop jeune. Partout où je t’envoie, tu iras ; tout ce que je te commande, tu le diras. » (Jr 1,4-8) ↩︎
  4. Je mettrai mes paroles dans sa bouche et il leur dira tout ce que je lui ordonnerai. Si un homme n’écoute pas mes paroles, que ce prophète aura prononcées en mon nom, alors c’est moi-même qui en demanderais compte à cet homme. Mais si un prophète a l’audace de dire en mon nom une parole que je n’ai pas ordonné de dire, et s’il parle au nom d’autres dieux, ce prophète mourra. Peut-être vas-tu dire en ton cœur : « Comment saurons-nous que cette parole, Le Seigneur ne l’a pas dite ? » Si ce prophète a parlé au nom du Seigneur, et que sa parole reste sans effet et ne s’accomplit pas, alors le Seigneur n’a pas dit cette parole-là. Le prophète a parlé avec présomption. Tu n’as pas à le craindre. (Dt 18,18-22) ↩︎
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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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