Désert 35 – Repars vers Damas, par le chemin du désert (1R 19)

Avec ce trente-cinquième désert, nous entrons dans cette semaine sainte qui nous conduira à Pâques. Durant ces derniers jours nous suivons le Christ dans sa passion, particulièrement lors du Triduum Pascal avec le geste de la Cène, la parole de la Croix et le silence du Samedi Saint. Six derniers déserts pour accueillir ce mystère qui nous ouvre au salut. Aujourd’hui lundi, notre désert a des parfums d’onction à Béthanie mais aussi auprès d’un prophète d’autrefois.

Frederick Leighton, Elie au déserts, 1878

Élie au désert

Repars vers Damas, par le chemin du désert. 1R 19,15

Vous souvenez sans doute d’Élie notre prophète accablé. Nous l’avions rencontré lors de notre dixième désert. Il fuyait la fureur de la reine Jézabel après le massacre des prophètes de Baal. Envoyé à l’Horeb par un ange, il y rencontra le Seigneur dans le murmure d’une brise légère. C’est alors que le Seigneur lui dit :

« Que fais-tu là, Élie ? » Il répondit : « J’éprouve une ardeur jalouse pour toi, Seigneur, Dieu de l’univers. Les fils d’Israël ont abandonné ton Alliance, renversé tes autels, et tué tes prophètes par l’épée ; moi, je suis le seul à être resté et ils cherchent à prendre ma vie. »

Face au désespoir du prophète, la réponse du Seigneur ne se fait pas attendre :

« Repars vers Damas, par le chemin du désert. Arrivé là, tu consacreras par l’onction Hazaël comme roi de Syrie ; puis tu consacreras Jéhu, fils de Namsi, comme roi d’Israël ; et tu consacreras Élisée, fils de Shafath, d’Abel-Mehola, comme prophète pour te succéder … » 1R 19,15-16.

Le chemin du désert mène déjà à l’onction et même ici à une triple onction : celle d’un roi étranger, celle d’un autre roi pour Israël et celle d’un prophète. Élie désespérait de son action qui n’avait abouti qu’à sa ruine malgré un succès apparent. Le Seigneur lui indique maintenant que la mission ne se réduit pas à l’action du prophète. De plus, Élie ne donnera l’onction à aucun des ceux-là. Certes, il appellera Élisée à sa suite, mais c’est ce dernier qui, par l’intermédiaire d’autres prophètes, avertira Hazaël de son destin royal (2R 8,7), et donnera l’onction à Jéhu (2R 9,3). Derrière cette complexité narrative, le texte veut montrer que la mission d’Élie est d’abord de laisser Dieu agir, le prophète n’étant que son serviteur.

L’abandon d’Élie

Dieu lui signifie qu’il agit dans l’histoire y compris via des rois païens comme Hazaël futur roi de Syrie, qui viendra terrifier Israël telle une sanction divine contre ses exactions. Élie a essayé de combattre en vain le paganisme instauré par Jézabel ; le futur roi Jéhu y mettra fin. Cependant ce dernier se laissera séduire par le syncrétisme, confondant le Dieu de Moïse avec une divinité agraire liée à la fécondité. Ces cultes syncrétistes, Élisée le prophète, les combattra par ses nombreuses actions. Au final, les grandes ambitions d’Élie de faire retourner tout son peuple vers ce Dieu qui a fait sortir ses pères d’Égypte, se réduit à un petit nombre de fidèles dont Dieu sait pourtant se contenter. C’est la signification de ces versets :

Celui qui échappera à l’épée d’Hazaël, Jéhu le tuera, et celui qui échappera à l’épée de Jéhu, Élisée le tuera. Mais je garderai en Israël un reste de sept mille hommes : tous les genoux qui n’auront pas fléchi devant Baal et toutes les bouches qui ne lui auront pas donné de baiser ! » 1R 19,13-18

Par ces paroles, par l’appel d’un prophète à sa place, Élie est invité à vivre un abandon, reprendre le chemin du désert. Car ce chemin sert le Seigneur lui-même.  Repars vers Damas, par le chemin du désert.

L’onction de Béthanie.

Aujourd’hui Jésus est à Béthanie. Un repas est organisé pour célébrer le retour à la vie de Lazare. Marie, l’une des sœurs du miraculé, prend alors une initiative assez surprenante : elle prend un parfum coûteux pour oindre les pieds de Jésus.

Six jours avant la Pâque, Jésus vint à Béthanie où habitait Lazare, qu’il avait réveillé d’entre les morts. On donna un repas en l’honneur de Jésus. Marthe faisait le service, Lazare était parmi les convives avec Jésus. Or, Marie avait pris une livre d’un parfum très pur et de très grande valeur ; elle répandit le parfum sur les pieds de Jésus, qu’elle essuya avec ses cheveux ; la maison fut remplie de l’odeur du parfum. Judas Iscariote, l’un de ses disciples, celui qui allait le livrer, dit alors : « Pourquoi n’a-t-on pas vendu ce parfum pour trois cents pièces d’argent, que l’on aurait données à des pauvres ? » Il parla ainsi, non par souci des pauvres, mais parce que c’était un voleur : comme il tenait la bourse commune, il prenait ce que l’on y mettait. Jésus lui dit : « Laisse-la observer cet usage en vue du jour de mon ensevelissement ! Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous, mais moi, vous ne m’aurez pas toujours. » Jn 12,1-12.

Quel rapport entre les onctions du prophète Élie et celle de Béthanie ? L’onction de Marie de Béthanie sur les pieds de Jésus n’est certes pas une onction royale ou prophétique. Elle pourrait l’être car Jésus, ayant redonné vie à Lazare, apparaît comme le véritable Messie, celui qui est oint pour être l’instrument de Dieu, comme autrefois David et les rois d’Israël et Juda, comme demain le Fils de l’Homme. Oindre Jésus à ce moment de l’Évangile, ça vaut le coup, et d’ailleurs ce coût est estimé à 300 pièces d’argent, soit près d’un an de salaire d’un ouvrier agricole. L’onction de Béthanie est donc une onction publique d’importance, et non pour Marie seule.

Alsace, Wolxheim, église St Etienne_50

Pour son ensevelissement

Judas réagit à propos de ce qu’il comprend comme un gaspillage. D’une part, sa réaction indique qu’il ne saisit pas la gravité et la solennité du moment. Mais d’autre part, son intervention n’est pas dénuée de bon sens. Si Marie voit en Jésus celui qu’il faut honorer, Judas désigne ceux qui devraient l’être en premier : les pauvres. Mais Jésus ne donne raison ni l’une ni à l’autre, ou plutôt à l’un et à l’autre. Ni un parfum pour un roi, ni un parfum pour des pauvres, mais un parfum pour la gloire du crucifié. La mention de l’ensevelissement rappelle la destination de Jésus : non pas la gloire des hommes mais celle de Dieu, en donnant sa vie par amour pour tous. Comme l’odeur du parfum emplissant la maison, l’amour livré de Jésus vient remplir la mission du Père et nous faire sentir la bonne odeur de l’Évangile.

Comme pour Élie, l’onction de Béthanie est une histoire d’abandon. Un abandon en l’action du Père qui fait vivre, un abandon de la toute-puissance pour laisser l’amour vaincre la haine. C’est ainsi que, dans sa marche vers le désert de la Passion, Jésus nous fait sentir le sens de sa mission pour le Père et pour le monde.


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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio