Un Samaritain bouleversant (Lc 10,25-37)

15ème dim. ord.(C)

La parabole du bon samaritain est connue, ou du moins le pense-t-on. Les interprétations allégoriques sont nombreuses notamment pour voir dans le Samaritain, la figure de Jésus miséricordieux. Propre à l’évangéliste Luc, cette parabole se situe après l’envoi en mission des soixante-douze disciples. Elle est la réponse à la question d’un sage et savant docteur de la Loi., et vient illustrer le propos précédent.

Vincent van Gogh, le bon Samaritain, 1890

Un docteur de la Loi (10,25-29)

10, 25 Et voici qu’un docteur de la Loi se leva et mit Jésus à l’épreuve en disant : « Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? » 26 Jésus lui demanda : « Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit ? Et comment lis-tu ? » 27 L’autre répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain comme toi-même. »28 Jésus lui dit : « Tu as répondu correctement. Fais ainsi et tu vivras. » 29 Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus : « Et qui est mon prochain ? »

Mis à l’épreuve

À la suite du retour des soixante-douze disciples, Jésus a loué l’action de Dieu se révélant aux petits et laissant les savants à leur ignorance : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. (10,21). Avec cette parole, Jésus ose affirmer que Dieu se révèle à ceux qui n’ont pas la connaissance de la Loi (et donc parfois en état d’impureté), et à l’opposé ignore ceux qui possèdent le savoir sur les commandements et soucieux de leur pureté. Et c’est donc un de ces sages et savants versés dans les saintes Écritures et la Loi qui éprouve Jésus avec cette question sur l’accès à la vie éternelle, c’est-à-dire une vie ajustée à Dieu et en Dieu. Que connaît Jésus de Dieu et de ses volontés ? Face à ce docteur de la Loi (ou scribe), Jésus paraît d’abord ignorant. Il renvoie la question au spécialiste qui sera capable de répondre avec ces deux grands principes de la Loi reconnus dans le Judaïsme de son époque : aimer Dieu (Dt 6,5) et son prochain (Lv 19,18).

Se risquer à la compassion

Le scribe s’appuie donc sur la lettre de la Loi. Le vocabulaire de ce passage est insistant à ce propos : Qu’y a-t-il d’écrit ? Comment lis-tu ? Jésus renvoie le docteur de la Loi à son savoir qui lui donnerait accès à la vie éternelle. Cependant, comme la question du scribe le suggère, la lettre de la Loi demeure insuffisante, elle a besoin d’être éclairée : qui est mon prochain ? Le savant a besoin de Jésus pour comprendre la volonté de Dieu.

La question est judicieuse, car le concept de prochain, dans ce Judaïsme du premier siècle, est assez flou et ne peut être défini ni avec la Loi, ni avec nos critères actuels. Ici, le terme de prochain peut renvoyer à celui qui est proche par la foi au Dieu d’Israël. Pour des pharisiens, la définition peut être encore plus restrictive : est mon prochain, celui qui respecte les règles de pureté et vers qui je peux m’approcher sans risque d’être impur. La parabole de Jésus va bouleverser ce concept.

Balthasar van Cortbemde, Le bon Samaritain,1647

Un prêtre puis un lévite (10,30-32)

10, 30 Jésus reprit la parole : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba sur des bandits ; ceux-ci, après l’avoir dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort. 31 Par hasard, un prêtre descendait par ce chemin ; il le vit et passa de l’autre côté. 32 De même un lévite arriva à cet endroit ; il le vit et passa de l’autre côté.

De Jérusalem à Jéricho

Jésus place sa parabole sur un chemin allant de Jérusalem à Jéricho. C’est déjà assez étonnant. On s’attendrait plutôt à la direction opposée menant l’homme et surtout le prêtre et le lévite, serviteurs du Temple, se diriger vers le sanctuaire de Jérusalem et non vers une ville frontière. Cela a déjà pour effet de décontenancer l’auditoire. L’absence de solidarité de la part du prêtre et du lévite peut aussi nous surprendre. Les paraboles amplifient toujours les réactions. Mais l’homme blessé est laissé pour mort. Au contact d’un cadavre, l’un et l’autre deviendraient impurs et dans l’incapacité de servir le Temple durant au moins sept jours selon la Loi (Nb 19,11)… et tout ça juste pour un cadavre. Là encore, la parabole exagère, mais l’on comprend alors que la stricte obéissance à la Loi et le souci scrupuleux des règles de pureté éloignent finalement nos deux individus non seulement de la charité élémentaire mais aussi du Temple de Jérusalem, c’est-à-dire de la présence de Dieu. Ils passent de l’autre côté. Ils passent à côté de l’Essentiel.

Un Samaritain (10,33-35)

10, 33 Mais un Samaritain, qui était en route, arriva près de lui ; il le vit et fut saisi de compassion. 34 Il s’approcha, et pansa ses blessures en y versant de l’huile et du vin ; puis il le chargea sur sa propre monture, le conduisit dans une auberge et prit soin de lui. 35 Le lendemain, il sortit deux pièces d’argent, et les donna à l’aubergiste, en lui disant : “Prends soin de lui ; tout ce que tu auras dépensé en plus, je te le rendrai quand je repasserai.”

Prends soin de lui

Jésus sait encore nous étonner. Il fait intervenir un Samaritain, ennemi ancestral des Juifs. Partageant les mêmes écritures du Pentateuque, les Samaritains ne reconnaissent pas le choix de Jérusalem pour Temple (dont ils seront interdit d’accès) mais le mont Garizim. Bref, notre Samaritain n’est pas le bienvenu… du moins peut-on le penser. Cependant, cet impur et infidèle est celui qui , à l’image de Dieu, fait preuve de compassion et se dépense sans compter pour un inconnu inconscient. Il fait pour lui ce qu’il aurait fait pour son frère. Il s’est rendu proche non seulement de l’homme quasi-mort mais de Dieu et donc de sa vie éternelle.

Aimé Morot, le bon samaritain, 1880

Se faire le prochain (10,36-37)

10, 36 Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain de l’homme tombé aux mains des bandits ? » 37 Le docteur de la Loi répondit : « Celui qui a fait preuve de pitié envers lui. » Jésus lui dit : « Va, et toi aussi, fais de même. »

Fais de même

Le docteur de la Loi semble avoir saisi la pointe de la parabole de Jésus qui a inversé la question. Non plus qui est mon prochain, mais de qui puis-je me faire proche ? Le scribe est ainsi invité à passer de l’obéissance stricte à la Loi et aux règles de pureté et à la pure charité gratuite et risquée pour être à l’image de Dieu faisant preuve de pitié même quand toute vie semble finie.

Le Samaritain, habituellement honni pour sa méconnaissance de la Loi, est ici celui qui est reconnu pour avoir aimé selon la volonté de Dieu. On pourra remarquer que le docteur de la Loi évite encore à prononcer le mot Samaritain. Et Jésus de l’entraîner encore plus loin : Va, et toi aussi, fais de même. Le Samaritain lui est donné en exemple à imiter. Mais plus encore, en imitant ce Samaritain parabolique, le docteur de la loi est invité à se risquer à l’impureté, à se faire le prochain des soi-disant impurs. Car ce n’est plus l’impureté qui est contagieuse, mais la charité de Dieu.

Si le Samaritain de la parabole est bouleversant ce n’est pas tant par sa charité que par sa capacité à bouleverser des perspectives pour se rendre proche du laissé-pour-compte au nom de la compassion divine.

François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

2 commentaires

  1. Désolé de vous répondre tardivement.
    Le récit du bon samaritain est une parabole : une histoire imagée qui a pour but, non de fournir des détails, mais de faire réagir l’auditoire (et le lecteur). En l’occurrence, ici, répondre à la question : Qui est mon prochain ? C’est dans ce but qu’elle a été érite, et l’anonymat du blessé sert justement ce propos : Le prochain n’est pas considéré en raison de son identité religieuse (même si dans le contexte nous sommes dans un environnement judéen, entre Jérusalem et Jéricho).
    Effectivement, le prêtre peut ne pas soucier de sa pureté en raison de la fin de son service du Temple, se dirigeant vers Jéricho. Mais il ne s’est pas arrêté. Et la parabole ne donne (et c’est son but) aucune explication à l’évitement par le prêtre et le lévite (tous deux liés au Temple de Jérusalem). Ce qui rend le contraste plus grand avec le Samaritain, dont la parabole donne les motifs de son acte : il fut pris de pitié… Dès lors, en creux, le lecteur comprend ce qui a manqué (quelques soient leurs raisons hypothétiques) au prêtre et au lévite.

  2. Le détail de Jérusalem à Jéricho montre que le prêtre en a fini du service du Temple et n a donc pas le souci de s y rendre en étant pur….
    Jéricho n est ce pas la ville où les espions hébreux furent accueillis et sauvés par une prostituée ?
    On ignore l identité du laissé pour mort : juif ? Samaritain ? Romain ? Autre ?

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