La guérison de dix lépreux (Lc 17,11-19)

28ème dim. ord. (C)

Après une série de paraboles et de discours, Luc nous fait à nouveau entendre un récit de guérison (Lc 14,2-4). Ce passage est un des rares récits de miracles qui ne comportent, après la guérison, aucune réaction, positive ou négative, venant de la foule ou d’autres témoins.

 Gebhard Fugel, Le Christ et les dix lépreux, 1920

Entre la Samarie et la Galilée (17,11-14)

17, 11 Jésus, marchant vers Jérusalem, traversait la région située entre la Samarie et la Galilée. 12 Comme il entrait dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils s’arrêtèrent à distance 13 et lui crièrent : « Jésus, maître, prends pitié de nous. » 14 A cette vue, Jésus leur dit : « Allez vous montrer aux prêtres. » En cours de route, ils furent purifiés.

Vers Jérusalem

D’emblée, et pour la troisième fois dans l’évangile de Luc, le récit fait mention de la marche résolue de Jésus vers Jérusalem (9,51.53 ; 13,22 et ici 17,11). Ces indications ouvrent chacune sur un temps spécifique, moins géographique que thématique. Car nous sommes encore entre la Samarie et la Galilée, comme déjà en 9,52 Il envoya, en avant de lui [depuis la Galilée], des messagers ; ceux-ci se mirent en route et entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue. Ne cherchons donc pas de cohérence quant à l’itinéraire de Jésus dans ces chapitres de l’évangile de Luc. Ce dernier nous dessine un crescendo, en quatre étapes, qui nous fera parvenir à Jérusalem.  

  • 9,51-13,22 : Être disciple du Christ pour annoncer le Règne de Dieu.
  • 13,22-17,10 : Être disciple et prendre la dernière place
  • 17,11-18,20 : Être disciple pour accueillir un salut universel et surprenant
  • 18,31-19,28 : Accueillir le Sauveur à l’image de Zachée.
Aimé Morot, le bon samaritain, 1880

Et encore des Samaritains

Dans ce premier récit, Luc met en scène Jésus et dix lépreux. Il ne sera fait mention d’aucune réaction ni des disciples, ni des pharisiens, ni même de la foule qui habituellement le suit. Ce passage représente un élément introductif aux thèmes du salut universel et de l’inattendu Règne de Dieu qui vont suivre. A ce propos, nous retrouvons des Samaritains que nous avions déjà croisés lors du départ de Jésus vers Jérusalem (9,52) ainsi qu’à l’occasion de la parabole du bon Samaritain (10,33) où il était également question de prêtre. Au refus des Samaritains d’accueillir Jésus montant vers Jérusalem (9,52), répond maintenant l’accueil de la parole salvatrice de Jésus par un Samaritain (17,11). La situation semble s’être bénéfiquement inversée, faisant passer les lecteurs d’un regard négatif à un regard positif sur ces schismatiques au monde Juif de Jérusalem et au monde du salut. De passage, de conversion, il en sera d’ailleurs question dans ce récit.

Prends pitié de nous

L’histoire est d’abord celle d’une rencontre assez distante. Mais celle-ci est moins une distance de mépris qu’une séparation prophylactique entre des lépreux (supposés être contagieux) et des individus sains, entre ces impurs et les purs : entre ces soi-disant Lazare oubliés de Dieu (16,14-31) et les supposés riches en bénédictions. La distance est telle que les lépreux sont obligés de crier pour se faire entendre. Mais ce cri est aussi celui d’une détresse humaine qui s’adresse à un sauveur. Ces dix lépreux en appellent à la miséricorde de Jésus, cette même miséricorde que manifestait le bon samaritain envers l’anonyme blessé (10,33).

lépreux

Allez vous montrer aux prêtres

La réponse de Jésus de se montrer aux prêtres peut (et doit) nous surprendre. Elle n’est ni une formule de guérison, ni une bénédiction. On aurait pu s’attendre à ce que Jésus s’approche d’eux comme précédemment envers ce lépreux sur qui Jésus étendit la main et le toucha en disant :  Je le veux, sois purifié. À l’instant même, la lèpre le quitta (5,13). Étonnamment, à ces lépreux qui marquaient une saine  distance, Jésus les renvoie encore plus loin de lui, auprès des prêtres à Jérusalem.

Cet envoi n’est pas pour autant une démission de Jésus qui confierait la guérison au sacerdoce du Temple. Ni les prêtres, ni leurs sacrifices n’ont la charge et le pouvoir de guérir. Jésus envoie ces hommes au lieu prévu par la Loi pour un diagnostic sur leur lèpre. Ce lien entre les prêtres et la lèpre est décrit dans le livre du Lévitique :

Lv 13, 2 « Quand un homme aura sur la peau une tumeur, une inflammation ou une pustule, qui soit une tache de lèpre, on l’amènera au prêtre Aaron ou à l’un des prêtres ses fils.3 Le prêtre examinera la tache sur la peau de l’homme. […] 44 Le prêtre le déclarera impur : il a une tache à la tête. 45 Le lépreux atteint d’une tache portera des vêtements déchirés et les cheveux en désordre, il se couvrira le haut du visage jusqu’aux lèvres, et il criera : “Impur ! Impur !”

Lèpre, impureté et ostracisme

Selon Lv 13, les prêtres du Temple de Jérusalem ont pour rôle d’examiner le souffrant et d’établir un diagnostic. Après un protocole précis, ils sont habilités à déclarer un membre des fils d’Israël pur ou impur. Ainsi, le sacerdoce du Temple protège l’intégrité du peuple. Toute maladie de peau était suspecte de lèpre et donc dangereusement contagieuse. Mettre le malade à l’écart était un moyen pour préserver le peuple de toute contagion. Retranchée hors de son village, tout personne déclarée impure, du fait de sa lèpre, se voyait aussi exclue du Temple , jusqu’à ce qu’un prêtre ne la déclare à nouveau pure après diagnostic.

La maladie s’oppose à la Vie créée par Dieu ; étant non conforme au dessein créateur, elle appartient au domaine de l’impur. Le malade ne pouvait – jusqu’à ce qu’il recouvre sa santé – participer aux offices du Temple. En ce qui concerne la lèpre, c’est la parole d’un prêtre du Temple qui sera habilitée à faire passer l’homme lépreux dans le domaine de la pureté.

En cours de route, ils furent purifiés

Mais pourquoi renvoyer ces dix hommes aux prêtres ? Jésus n’opère aucun geste et ne prononce aucune parole de guérison. Et pourtant, ces dix hommes se mettent en route. Si Jésus les renvoie au Temple, c’est pour qu’ils obtiennent d’eux un diagnostic positif. Ces dix ont mis toute leur confiance en la Parole de Jésus avant même leur guérison. Leur départ vers Jérusalem est une réponse de foi. Luc ne rapporte, ni ne souligne, aucune tergiversation. A l’inverse, dans le second livre des Rois, Naaman a longtemps hésité (2R 5) avant de suivre la parole du prophète Élisée et de plonger simplement dans le Jourdain pour guérir de sa lèpre. Ici nos dix hommes font confiance résolument à la parole de Jésus.

En cours de route, ils furent purifiés et cette route celle de la foi au salut en Jésus Christ, qui mène paradoxalement à ce qui s’annonce être le lieu de sa passion.

lépreux

Le retour du samaritain (17,15-19)

17, 15 L’un d’eux, voyant qu’il était guéri, revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix. 16 Il se jeta face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce. Or, c’était un Samaritain. 17 Alors Jésus prit la parole en disant : « Tous les dix n’ont-ils pas été purifiés ? Les neuf autres, où sont-ils ? 18 Il ne s’est trouvé parmi eux que cet étranger pour revenir sur ses pas et rendre gloire à Dieu ! » 19 Jésus lui dit : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé. »

Ta foi t’a sauvé

Comme le met en scène Luc, l’un d’eux semble avoir saisi que Jésus est l’unique prêtre et temple. C’est bien devant lui qu’il se prosterne et qu’il glorifie Dieu. Or c’était un Samaritain. Mais en quoi cela doit-il nous étonner ? En règle générale, les Samaritains ne s’associent pas aux Juifs. Et inversement. Malheureusement seule la lèpre avait réuni, à l’écart du monde, des hommes de ces deux clans. C’est une chose que l’on peut souligner : malheureusement, dans ce cadre judéen, l’impureté unit plus les hommes que la pureté. Or le dessein de Dieu et de son Christ n’est-il pas de rassembler les fils perdus (Lc 15) ?

Cependant, malade ou guéri, un Samaritain ne pourra se montrer au Temple de Jérusalem : il en est exclu ! Qui aurait pu dès lors le déclarer pur ? C’est donc ici la pointe de notre récit. Le lieu du Temple ne permet ni la guérison, ni une pleine réconciliation. De la même manière, notre Samaritain ne se rendra pas au mont Garizim (jouant le rôle de lieu saint chez les Samaritains). Il est le seul à avoir reconnu en Jésus celui qui instaure ce nouveau règne de Dieu, unissant, dans la foi, Juifs et étrangers au Judaïsme judéen.

Relève-toi et va, ta foi t’a sauvé

Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé : voilà une phrase récurrente dans les récits de miracles de Jésus, qui associe foi et salut. Le salut ne réside pas seulement dans la guérison. Il est une renaissance : Relève-toi, telle une résurrection, un retour à une vie sociale et religieuse qui trouve sa source dans le Christ. Mais il ne s’agit pas d’un retour à une vie passée ou rêvée. La parole de Jésus n’est pas un constat, un diagnostic, mais un envoi. Pour Luc, le véritable salut consiste en cette écoute de sa parole et cette marche à la suite du Christ, celui qui vient révéler la miséricorde de son Père, envers tous ses enfants.

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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

3 commentaires

  1. merci! Je suis un fan fini de votre podcast que j’ai découvert cette année. merci pour tout ce bel enseignement

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