Du glaive à la charité (Mt 10,34-42)

13ème dim. ord. (A), Mt 10,37-12

Ce passage, où Jésus annonce être venu apporter le glaive sur la terre, peut nous surprendre. D’autant qu’au début de ce discours, Jésus invitait les Apôtres à apporter la paix :  Si cette maison en est digne, que votre paix vienne sur elle. Mais Jésus ne se contredit pas ici, il pose un constat.

Eugene Thirion, Le triomphe de la foi, 19eme

Le glaive (10,34-36)

Parallèle : Lc 12,49-53

10, 34 Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre : je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. 35 Oui, je suis venu séparer l’homme de son père, la fille de sa mère, la belle-fille de sa belle-mère : 36 on aura pour ennemis les gens de sa propre maison.

Des disciples face à l’adversité

Sa venue – comme le sera l’annonce évangélique – deviendra un lieu de contestation et d’opposition. Les adversaires aux disciples du Christ seront nombreux, jusqu’au sein du clan familial. L’adhésion au Christ provoquera et provoque encore des persécutions. Le disciple sera parfois confronté à un choix cornélien : le Christ ou sa famille. Entre la pauvreté évangélique et le patrimoine, entre l’avenir incertain et une tradition séculaire, entre le chemin inconfortable et sa propre maison. Entre la vérité de la croix et un semblant de paix. C’est ce que développent les versets suivants. Ceux-ci donnent à entendre deux versants. Le premier (v.37-39) insiste sur le choix préférentiel du Christ et ce que le disciple devra parfois abandonner. Le second (v.40-42) met en avant la vie nouvelle des disciples du Christ, et l’exigence de l’accueil.

Georges Rouault, Christ et Apotres, 1937

La préférence (10,37-38)

Parallèle : Lc 14,25-26

10, 37 Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi ; 38 celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi. 39 Qui a trouvé sa vie la perdra ; qui a perdu sa vie à cause de moi la gardera.

A cause de moi

En apportant ce glaive ‘malgré lui’ ou ‘à cause de son nom’, Jésus n’exhorte pas pour autant à l’opposition. Il n’entre pas dans une logique de haine. Dans ces séparations violentes d’avec la cellule domestique, Jésus suggère qu’il faut encore aimer et non haïr ces proches qui ont rejeté celui ou celle qui a préféré le Christ : ce fils ou cette fille, ce père ou cette mère, etc. Il ne s’agit pas d’opposer l’amour du Christ à la haine des parents, mais de continuer à aimer.  Cependant, le salut et le bonheur du disciple ne sont plus au sein du cercle familial, mais dans le Christ. Pour la mission des Apôtres, il y a un choix radical à faire : perdre son lieu de vie habituelle, domestique, à cause du Christ, pour y gagner le salut.

Ivan Makarov, Le sermon sur la montagne, 1889

Qualité de disciple (10,40-42)

Parallèles : Mc 9,41 | Lc 9,48

 10, 40 Qui vous accueille m’accueille ; et qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé. 41 Qui accueille un prophète en sa qualité de prophète recevra une récompense de prophète ; qui accueille un homme juste en sa qualité de juste recevra une récompense de juste. 42 Et celui qui donnera à boire, même un simple verre d’eau fraîche, à l’un de ces petits en sa qualité de disciple, amen, je vous le dis : non, il ne perdra pas sa récompense. »

Prophète et juste

Le départ du clan ou du cercle originel du disciple, n’est pas un choix pour la solitude. Le Christ s’identifie à ce disciple qui l’a préféré  : Qui vous accueille m’accueille ; et qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé. Ce faisant, le discours exige des autres disciples à devenir une maison, une nouvelle famille pour celui qui a tout perdu aux yeux des hommes : son nom et son patrimoine. Ce dernier reçoit le qualificatif de prophète et de juste. Deux termes qui riment avec ‘persécuté’ et font écho au risque missionnaire et à la fidélité en Christ. Deux termes qui nous renvoient au discours sur la montagne :

Mt 5 10 Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux. 11 Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. 12 Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.

Cette insistance à accueillir le rejeté à cause de sa foi, et à subir par voie de conséquences la colère d’une famille, évoque probablement, au temps de Matthieu, les réticences de certains apôtres et « grands » disciples à faire preuve d’une telle charité envers l’un des ces petits qui ont tout perdu.

Ben-Hur, William Wyler, 1959.

Du glaive à la charité

C’est par cet appel à se risquer à l’abandon et à la charité que se termine le discours de Jésus au Douze, avant de les envoyer. . Comme si cet abandon et cette charité étaient la véritable réponse au glaive séparateur. Mais, et je l’avais déjà souligné, l’évangéliste ne rapportera aucun envoi en mission des Apôtres, ni même leur éventuel retour. Paradoxalement, la suite montre non pas le départ des Douze, mais celui de Jésus : Mt 11,1 Lorsque Jésus eut terminé les instructions qu’il donnait à ses douze disciples, il partit de là pour enseigner et proclamer la Parole dans les villes du pays. Ainsi, il demeure l’acteur principal de la Mission dont les Douze ne sont que d’humbles et pauvres serviteurs.

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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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