Les pharisiens et le denier de César (Mt 22,15-22)

Parallèles : Mc 12,13-17 | Lc 20,20-26

29ème dim. ord. (A)

Les trois paraboles précédentes ont dévoilé l’orgueil et l’obstination des grands prêtres et des pharisiens face à l’appel au repentir et devant l’annonce de l’avènement du Royaume et la présence du Fils. Leur intention d’arrêter Jésus ne peut s’exécuter en raison de leur crainte vis-à-vis de la foule qui tient Jésus pour un prophète (21,45). Le débat se poursuit cependant sur des sujets délicats auxquels Jésus devra répondre publiquement.

Nous allons ainsi retrouver les trois mêmes séries de questions qu’en Marc (12,13-34) : les pharisiens et la question de l’impôt (22,15-22), les sadducéens à propos de la résurrection (22,23-33) et un scribe sur le plus grand commandement (22,34-40). Le contexte chez Matthieu, comme nous allons l’entendre, étant plus polémique.

Bernardo Strozzi, le paiement de l'impôt, 1630

Donne-nous ton avis (22,15-17)

22, 15 Alors les pharisiens allèrent tenir conseil pour prendre Jésus au piège en le faisant parler. 16 Ils lui envoient leurs disciples, accompagnés des partisans d’Hérode : « Maître, lui disent-ils, nous le savons : tu es toujours vrai et tu enseignes le chemin de Dieu en vérité ; tu ne te laisses influencer par personne, car ce n’est pas selon l’apparence que tu considères les gens. 17 Alors, donne-nous ton avis : Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César, l’empereur ? »

Question piège

Ce n’est plus à l’homme des paraboles énigmatiques que les pharisiens s’adressent, mais tel à un scribe, un maître-didascale qui enseigne avec un savoir compétent quant au chemin de Dieu c’est-à-dire la Loi de Moïse et son interprétation. Leur parole souligne publiquement, et sournoisement, la qualité du jugement de Jésus. Sa réponse sera donc d’autant plus attendue.

Dans ce contexte narratif, les pharisiens, comme plus tard les sadducéens, vont tenter de mettre Jésus en porte-à-faux vis-à-vis de la foule. Sa popularité pourrait ainsi être ternie par ses prises de position, notamment sur l’impôt, sujet toujours hautement sensible. Si Jésus y est favorable, son message sur l’avènement d’un Royaume de Dieu, soumis à César, ne sera plus audible. Jésus risque même de subir la colère d’une foule juive qui voit la présence romaine d’un mauvais œil.

A l’inverse, s’il déclare publiquement son opposition à l’impôt, il devient un fauteur de trouble à l’ordre publique. Une telle sentence pourrait être considérée comme un appel à la révolte. La présence des hérodiens, partisans d’Hérode et soumis au pouvoir romain, leur donne ici ce rôle d’observateurs non-neutres. La question des pharisiens place Jésus sur une ligne de crête acérée.

Pier Paul Rubens, l'impot à César, 1612

Montrez-moi la monnaie de l’impôt (22,18-22)

22, 18 Connaissant leur perversité, Jésus dit : « Hypocrites ! pourquoi voulez-vous me mettre à l’épreuve ? 19 Montrez-moi la monnaie de l’impôt. » Ils lui présentèrent une pièce d’un denier. 20 Il leur dit : « Cette effigie et cette inscription, de qui sont-elles ? » 21 Ils répondirent : « De César. » Alors il leur dit : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » 22 À ces mots, ils furent tout étonnés. Ils le laissèrent et s’en allèrent.

Hypocrites

Jésus n’entre donc pas dans le jeu des pharisiens dont il révèle l’hypocrisie. L’argument se retourne contre eux. Si chez Marc, Jésus demande qu’on apporte un denier, Matthieu insiste sur l’immédiateté de la réponse des pharisiens qui montre aussitôt à Jésus un denier. Rappelons que pour les offrandes au sein du Temple, les monnaies étrangères étaient interdites car elles comportaient des insignes païens, ou des représentations humaines que la loi de Moïse réprouve (Ex 20,4). Ainsi les changeurs – dont Jésus a renversé les tables (21,1-17) – permettaient de convertir le denier romain en une monnaie sans effigie. L’ironie de la scène montre que les pharisiens, scrupuleux envers la Loi, ont en leur possession et au sein du Temple, une monnaie païenne qui pourrait être destiné à l’impôt de César. Et c’est bien à César que Jésus les renvoie, c’est-à-dire à leurs propres contradictions.

John Singleton Copley, The Tribute Money, 1782

A l’effigie de…

Jésus n’entre pas dans le jeu des pharisiens, ni dans le jeu du pouvoir mondain dans lequel ils se compromettent et se compromettront lors du procès de Jésus1. Jésus ne sort rien de sa poche, pas même un denier. Mais de sa bouche, sort une parole de jugement, à laquelle d’ailleurs les pharisiens vont se soumettre malgré eux. Ils ne peuvent être dans ce lieu, où l’on rend grâce à Dieu, avec leur hypocrisie, leurs complices hérodiens et leur denier de César.

Leur départ de ce lieu, et de la proximité de Jésus, laisse entendre qu’ils ont préféré le camp de la compromission et du pouvoir impérial plutôt que l’avènement du Royaume de Dieu. Le récit n’insiste pas tant sur une séparation des pouvoirs mais, une fois de plus, sur deux conceptions du pouvoir. À l’effigie (en grec eikôn/εἰκών, l’image, l’icône) du pouvoir de César s’oppose l’effigie, l’image de Dieu que le Fils, serviteur de tous, représente. À celui qui prend, s’oppose Celui qui donne et donnera sa vie. Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude (20,28).

  1. Matthieu est le seul parmi les évangélistes à mentionner les pharisiens à l’occasion du procès de Jésus (27,62) tandis que les autres évangélistes désignent comme accusateurs devant Pilate les seuls sadducéens. Trace des confrontations et des débats au sein du judaïsme entre la communauté de Matthieu et d’autres groupes de la synagogue. ↩︎
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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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