Quand la Trinité se mêle à nos vies

Dimanche de la sainte Trinité (Année B)

Faut-il toujours expliquer la Trinité ? Prêcher en la fête de la Sainte Trinité est toujours, pour moi, un exercice délicat.

La tentation est grande de se lancer avec zèle dans une catéchèse aux allures de cours théologique – obscur dès la cinquième minute –  sur chacune des personnes, leur unique nature, leur égale majesté[1. extrait de la prière eucharistique pour la Trinité.] ou bien dans une composition imagée, de paraboles – plus cabalistiques que pédagogiques – pour éclairer notre foi en la Trinité, éternelle et sainte, comme en son indivisible Unité[2. Prière de post-communion pour la Trinité]. Certains de mes confrères auront sans doute le talent de donner à la Trinité un triple visage clair. Mais finalement, sans doute importe-t-il de s’interroger à propos de ce que notre foi en la Trinité apporte à notre vie quotidienne.

Sandro Botticelli, Sainte-Trinite, 1591

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit

“Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.” Combien de fois nous disons (ou plus exactement rabâchons) cette phrase sans trop y faire attention. C’est pourtant avec ces mots-là que nous avons été baptisés, que nous nous signons à chaque eucharistie, lors des sacrements, dans nos prières et à l’occasion de bénédictions… Cependant ce serait un tort de réduire une telle phrase à son seul usage cultuel. Ces mots font partie de notre vie de foi baptismale. Ils nous forment et nous façonnent. Ils nous invitent à puiser dans l’ensemble du mystère de Dieu. Et discrètement, cette Sainte Trinité se mêle à nos vies pour la bouleverser.

Sébastien Bourdon, Le buisson ardent, 17°s.

Ce Père qui donne vie

Sans ce que nous révèlent le Fils et l’Esprit Saint, nous pourrions vite tomber dans une conception d’un Dieu Créateur et Tout-Puissant qui tiendrait l’homme en sa main comme un maître ses esclaves. Or ce serait un danger que de centrer sa foi sur une telle conception de la toute-puissance qui ne s’exprimerait que dans le feu, par des signes, des prodiges et autres exploits terrifiants… Certes le livre du Deutéronome reprend cette représentation mais il veut exprimer ici que ces “prouesses” de Créateur Tout-Puissant furent au service d’un petit peuple soumis à la servitude de Pharaon.

Est-il un peuple qui ait entendu comme toi la voix de Dieu parlant du milieu du feu, et qui soit resté en vie ? Est-il un dieu qui ait entrepris de se choisir une nation, de venir la prendre au milieu d’une autre, à travers des épreuves, des signes, des prodiges et des combats, à main forte et à bras étendu, et par des exploits terrifiants – comme tu as vu le Seigneur ton Dieu le faire pour toi en Égypte ? (Dt 4,32…40)

De même, nous aussi, nous pouvons être tenté de nous conduire comme ‘Tout-Puissant’ envers notre entourage, envers le monde incroyant et imposer un salut par la force. Sans la présence du Fils et le don de l’Esprit, nous risquons de nous comporter avec une autorité paternaliste bienveillante mais aussi infantilisante et parfois tyrannique.

Ne nous prenons pas pour le Père sinon pour donner vie et aimer à son image.

Le Caravage, Le couronnement d'épines, 1604

Ce Fils qui donne sa vie

Ainsi, en Jésus, le Fils nous révèle la vérité du Dieu-Père qui donne et envoie son propre Fils au milieu du monde, par amour. Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle (Jn 3,16). Ce Fils est venu dans la chair, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes (Ph 2,37), dédaignant les honneurs mondains pour être auprès des pécheurs, des malades, des plus fragiles…  Ainsi notre foi au Fils nous invite à ne pas nous comporter comme des “enfants gâtés” du Père, à qui tout serait dû en raison de leur adoption, de leur élection. Car notre seul héritage est celui de la croix : Héritiers de Dieu, héritiers avec le Christ, si du moins nous souffrons avec lui pour être avec lui dans la gloire. (Rm 8,17).

Ne nous prenons pas pour le Fils sinon pour donner nos vies et aimer à son image.

Jean II Restout, Pentecôte, 1732

Cet Esprit Saint qui nous fait vivre

Or ce Fils n’est pas un personnage du passé, ni ce Père, un Dieu des “nuages”, invisible et inaccessible. Une telle conception rendrait vaine la foi en la Résurrection et en l’Incarnation. L’envoi et le don de l’Esprit Saint manifestent en nous la vie de Dieu, non dans un lointain extérieur, mais dans l’intime proximité. L’Esprit Saint donné n’est ni un pigeon qu’on instrumentalise (en le confondant avec nos désirs), ni une force qui nous manipule. Bien au contraire, en faisant sa demeure en nous, il révèle la présence aimante de Dieu. Cette présence n’est pas pour autant désincarnée et uniquement ‘spirituelle’.

Vous n’avez pas reçu un esprit qui fait de vous des esclaves et vous ramène à la peur ; mais vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; et c’est en lui que nous crions « Abba ! », c’est-à-dire : Père ! (Rm 8,15)

Dans ce verset, l’Esprit nous fait “crier”. Ce cri nous ramène à celui du Fils crucifié  (Mc 15,34.37) mais aussi au cri du nouveau-né que nous sommes devenus par notre renaissance au baptême. Cette “force” ou “puissance” promise par le Christ  ne fait pas de nous des surhommes, des super-héros, mais des disciples et des témoins de la Bonne Nouvelle d’un Dieu qui se donne à tous : quand le Saint-Esprit viendra sur vous  vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre (Ac 1,8). Sans cesse, l’Esprit nous renvoie la Parole du Fils et à l’amour du Père : l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit (Jn 14,26). Sans cesse, il nous rappelle leurs présences à nos côtés. Sans cesse, l’Esprit Saint nous envoie pour être les témoins dans notre quotidien, en actes et en vérité, de la charité et du salut de Dieu. Sans cesse, il nous libère de l’esclavage des valeurs mondaines, pour nous rendre libre à l’écoute de l’Évangile.

Ne nous prenons pas pour l’Esprit Saint sinon pour vivre de ce don et aimer à son image.

Icône d'Abraham et la Sainte Trinité, Ecole de Nizhniy Novgorod, 17°s.

Pour que nos vies s’unissent

Ainsi la Trinité nous rappelle que nous ne sommes pas Dieu : ni le Père, ni le Fils, ni l’Esprit, mais des disciples et des frères qui se laissent recréer dans leur vie baptismale, par le Père, le Fils et le Saint-Esprit. C’est là un mystère à accueillir tous les jours jusqu’à la fin du monde (Mt 28,20). La Trinité se mêle à nos vies pour que nos vies s’unissent les uns aux autres, et pour que nous ayons le même désir de donner, de se donner, de vivre et de faire vivre – Amour unique et pluriel. La Trinité se mêle à nos vies pour qu’enfin, dans la foi, nos vies s’unissent à Lui : Père, Fils et Saint-Esprit. Quand la Trinité se mêle à nos vies de Foi, nos vies se mêlent de Charité et d’Espérance. Ou pour le dire avec les mots du psalmiste :

Que ton amour, Seigneur, soit sur nous
comme notre espoir est en toi ! Ps 32(33)

François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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