Désert 11 – Balaam tourna son visage vers le désert (Nb 24)

Ce désert est cette fois-ci en lien avec un personnage de la Bible appelé Balaam que nous trouvons aux chapitres 22 à 24  du livre des Nombres.

Moses ephraim Lilien, Balaam, 1920

Balaam le voyant

Balaam vit qu’aux yeux du Seigneur c’était bien de bénir Israël et il n’alla pas, comme les autres fois, à la recherche de présages ; il tourna son visage vers le désert. Nb 24,1.

Balaam est décrit comme un mage ou voyant païen habitant Petor en Mésopotamie selon Nb 22,5. En fait, ce Balaam serait un personnage ayant probablement existé non à l’époque supposée de l’installation en Canaan mais beaucoup plus tard au X°-IX°s. A Deir-Alla en Jordanie, des fouilles ont révélé des inscriptions en faisant mention et datées du début VIII° av. JC. Le personnage est anachronique mais il sert le récit en confrontant la destinée d’Israël à l’un des prophètes païens les plus connus à l’époque de la rédaction du livre des Nombres. Sa présence est ici plus symbolique qu’historique. Balaam sert de faire-valoir au bénéfice d’Israël dans les chapitres 22-24 de ce livre. Petite remarque supplémentaire, en d’autres endroits de la Bible, Balaam n’est pas celui qui bénit Israël mais celui qui le maudit, l’incite au péché et meurt même sous l’épée des Israélites (Dt 31,8) . Les traditions à son propos divergent. Mais intéressons-nous au récit du livre des Nombres.

Balaq le roi de Moab voit s’avancer vers son pays une colonne d’émigrés que sont les Hébreux, les fils d’Israël conduits par Moïse. Ce peuple est à sa frontière et doit passer à travers son pays pour se rendre en Canaan. Balaq craint que ce passage des hébreux ruine son pays. Comme son service des douanes est peu fourni, il fait appel au plus grand prophète-voyant qu’il part chercher très loin en Mésopotamie, afin d’en appeler aux divinités et maudire à jamais ce peuple :

[Balaq] envoya donc des messagers à Balaam, fils de Béor, qui était à Petor au bord du Fleuve, son pays d’origine, pour l’appeler ; il lui faisait dire : « Voici un peuple qui est sorti d’Égypte, le voici répandu dans tout le pays, il s’est installé en face de moi ! Viens donc, je t’en prie, et maudis-moi ce peuple car il est plus puissant que moi. Peut-être alors pourrai-je le battre et le chasser du pays, car, je le sais, celui que tu bénis est béni, et celui que tu maudis est maudit. » (Nb 22,1-6)

Comme on le voit pour Balaq, la renommée du mage est une garantie pour se faire entendre des dieux. Comme si la notoriété, le prestige ou le ‘grade’ du ministre garantissait la qualité du sacrement. Bref. Après moult négociations, Balaam qui dans un premier temps refuse, reçoit de Dieu lui-même, l’ordre de se rendre au pays de Moab. (Nb 22,7-20). C’est aussi sur ce chemin que nous est raconté le fameux épisode de son ânesse qui se met à lui parler (Nb 22,21-35). Mais ce n’est pas l’objet de notre publication, une autre fois très probablement.

Balaam et Balaq

Balaam est donc maintenant auprès du roi Balaq pour maudire Israël. Mais Balaam vit qu’aux yeux du Seigneur c’était bien de bénir Israël et il n’alla pas, comme les autres fois, à la recherche de présages ; il tourna son visage vers le désert.Nb 24,1.

Le voyant change ici d’attitude. Que s’est-il passé auparavant ? Comme tout mage et voyant païen, la malédiction – comme le présage – nécessitait de suivre un rituel particulier et particulièrement mystérieux et ésotérique. Ainsi le récit nous raconte en Nombres 22,30-23,30, la construction de sept autels où l’on offre en holocauste sept taureaux et sept béliers. Puis lors de ces sacrifices Balaam part à l’écart, en haut d’une montagne, en secret, et attend une vision de la divinité, ici le Seigneur lui-même, puis vient traduire ce message à Balaq son client.

Or, lorsque Balaam se présente au roi, ce n’est pas pour maudire Israël comme il le lui avait demandé, bien au contraire. Aussi Balaq lui ordonne de recommencer, et par trois fois l’on bâtit des autels et l’on procède à des sacrifices… pour le même résultat. Malgré le luxe de ses offrandes et la renommée du prophète-voyant, le Seigneur ne donne pas raison à Balaq… Balaam écoute la bénédiction de Dieu.  C’est à cette troisième tentative, ce troisième rituel – qui tient plus de la corruption que de la prière – que Balaam ne part pas à l’écart, sur une hauteur, mais tourne son regard vers le désert :

Balaam vit qu’aux yeux du Seigneur c’était bien de bénir Israël et il n’alla pas, comme les autres fois, à la recherche de présages ; il tourna son visage vers le désert. Nb 24,1.

Balaam n’a pas plus besoin de présage, d’hallucination, ni de vision, comme lui-même l’avait déclaré à propos des Hébreux Pas de présage en Jacob, pas de divination en Israël (Nb 23,23). Seule compte ici la contemplation. Ses yeux ne se tournent plus vers une divinité accessible qu’aux seuls mages mais embrassent l’espace dans lequel le Dieu d’Israël agit et se rend présent. Et le mage-voyant devient prophète du Seigneur non à cause de ses hypothétiques dons et savoirs mais par la présence agissante de l’Esprit du Seigneur qui vient lui révéler son véritable dessein.

La  bénédiction

Levant les yeux, il vit Israël qui campait, rangé par tribus. L’esprit de Dieu fut sur lui, et il prononça ces paroles énigmatiques : « Oracle de Balaam, fils de Béor, oracle de l’homme au regard pénétrant, oracle de celui qui entend les paroles de Dieu. Il voit ce que le Puissant lui fait voir, il tombe en extase, et ses yeux s’ouvrent. Que tes tentes sont belles, Jacob, et tes demeures, Israël ! Elles s’étendent comme des vallées, comme des jardins au bord d’un fleuve ; le Seigneur les a plantées comme des aloès, comme des cèdres au bord des eaux ! Nb 24,2-6

L’Esprit de Dieu fut sur lui, le mage est devenu prophète. Le Seigneur lui ouvre les yeux sur ces hébreux aux portes de Moab. Le voyant est maintenant celui qui entend les paroles de Dieu. Cette parole s’adresse à lui non plus en tant que voyant mais en tant que croyant. Que voit-il ? Un désert où sont regroupés ces hébreux migrants ? Non, en contemplant Israël, en contemplant le peuple de Dieu, Balaam comprend la volonté du Seigneur, et ce désert est déjà une terre promise. Le camp est devenu champ, vallée d’aloès et les tribus sont autant de jardins au bord d’un fleuve, les tentes sont plantées aussi solidement que les grands cèdres. Balaam voit le peuple né de la Parole de Dieu, un peuple fertile et luxuriant. Mais bien plus, ses déclarations vont encore plus loin.

Un héros pour Israël

Un héros sortira de la descendance de Jacob, il dominera sur des peuples nombreux. Son règne sera plus grand que celui de Gog, sa royauté sera exaltée. Dieu a fait sortir Israël d’Égypte : sa vigueur fut pour lui comme celle du buffle ! Israël dévore les nations qui l’attaquent, il leur brise les os, il frappe de ses flèches. Puis il s’accroupit, il se couche, comme un lion, comme une lionne. Qui le fera se relever ? Béni soit celui qui te bénira, maudit soit celui qui te maudira ! » Nb 24,7-8

L’évocation de la sortie d’Égypte vient affirmer le dessein indéfectible du Seigneur. Celui qui a vaincu la puissance Égyptienne pour ce petit peuple hébreu, fera encore de grandes choses. Un héros sortira. Un héros encore anonyme mais qui a déjà une figure royale. Il garantit à son peuple la sécurité et la victoire sur ses assaillants. C’est un roi qui à la fin se couche comme lion fier pour son repos et sa veille sur son territoire … Qui le fera se relever crie le prophète ? Autrement dit, qui craindra-t-il ? Qui pourrait le défier ? Ce héros royal annonce la royauté davidique … mais n’annonce-t-il pas aussi le Messie ? Ce messie royal vainqueur du Mal jusque sur la croix, se couchant dans la mort. Qui le fera se relever ? Qui le relèvera en ce matin de Pâques ? Qui le fera sortir du tombeau, sinon la bonté du Père ? Par lui, la mort même a été vaincue.

Sous l’apparence de tentes fragiles, sous la poussière d’un désert d’errance, surgit l’Espérance réelle d’un jardin habité, d’un champ de bénédiction et de paix destiné au peuple que Dieu s’est choisi.


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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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