La distance de la prière (7ème dimanche de Pâques)

7ème dimanche de Pâques (A)
Ac 1,12-14
Jn 17,1-11

Six dimanches, six lieux très divers que nous avons visités durant ce temps pascal. Mais ce septième dimanche de Pâques sera un peu particulier. D’ailleurs, en lui-même ce dimanche est particulier. Se situant entre les grandes solennités de l’Ascension et de la Pentecôte, il paraît comme inaperçu, telle une pause avant le bouquet final au feu d’artifice, telle un coupure pub au milieu d’un film passionnant. Après l’Ascension, nous attendons la Pentecôte, suite narrative logique, et voilà que ce septième dimanche tempère nos ardeurs. Mais à raison.

Prière des Apôtres, prière de Jésus.

En relisant le passage des Actes des Apôtres et l’évangile selon Jean qui nous donne à entendre la prière de Jésus, je ne peux m’empêcher de relever ce point commun. Ces lectures associent prière et distance, comme si l’une était indispensable à l’autre.

Ainsi le livre des Actes des Apôtres (Ac 1,12-14) relate :

Ac 1 Les Apôtres, après avoir vu Jésus s’en aller vers le ciel, 12 retournèrent à Jérusalem depuis le lieu-dit « mont des Oliviers » qui en est proche, – la distance de marche ne dépasse pas ce qui est permis le jour du sabbat. 13 À leur arrivée, ils montèrent dans la chambre haute où ils se tenaient habituellement ; c’était Pierre, Jean, Jacques et André, Philippe et Thomas, Barthélemy et Matthieu, Jacques fils d’Alphée, Simon le Zélote, et Jude fils de Jacques. 14 Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière, avec des femmes, avec Marie la mère de Jésus, et avec ses frères.

L’évangile de ce dimanche reprend un passage de l’évangile de Jean : la prière de Jésus à son père, juste avant sa passion (Jn 17,1b-11a). Elle vient conclure ce ministère de Jésus au milieu des siens avant qu’il passe de ce monde à son Père (Jn 13,1). Jésus prie alors qu’il quitte les siens. Prière et départ sont ainsi soulignés particulièrement dans ce passage :  

Jn 17,9 Moi, je prie pour eux ; ce n’est pas pour le monde que je prie, mais pour ceux que tu m’as donnés, car ils sont à toi. 10 Tout ce qui est à moi est à toi, et ce qui est à toi est à moi ; et je suis glorifié en eux. 11 Désormais, je ne suis plus dans le monde ; eux, ils sont dans le monde, et moi, je viens vers toi.

Sa prière en raison de nos distances

Odilon Redon, le Christ en silence, 1890

Nous en avons fait l’expérience. Contraints d’être séparés, nous avons gardé le lien dans la prière. Nous n’avons pas seulement ‘pensé’ à ces proches restés au loin, nous avons ‘prié’ pour eux et avec eux, sachant qui est Celui qui nous unit : ce Père, notre Père qui est au Cieux. Lui seul peut nous unir malgré l’éloignement, malgré la distance géographique ou de conviction. Et sur ce dernier point, nous serions – sans lui – incapables de communion ou de faire preuve de quelconque charité. Et même si nous en manquons encore, nous savons compter sur Lui.

Jésus dans sa prière prie le Père. Il n’est pas de ce monde. Ce monde des disciples qui vont le trahir, l’abandonner, le renier. Il n’est pas du monde de ceux qui vont le juger, condamner, crucifier. Il est du monde du Père, non pas ailleurs. Ce monde du Père est celui de la Glorification en dépit des outrages, du don permanent malgré les trahisons, de la prière en raison de cet amour des siens jusqu’au bout (Jn 13,1). Ce « bout », cet extrême, cette distance que la faiblesse des hommes a creusée, seule la prière aimante du Fils peut la réduire, relier, réconcilier à jamais.

Mais il ne faut sous-estimer, le raisonnement inverse. Si nos distances nécessitent la prière de Jésus, nos prières impliquent aussi une prise de distance.

La distance de la prière

Mosaïque, Jésus en prière

Dans le récit des Actes des Apôtres, Luc souligne cette distance permise le jour du sabbat, comme s’il était nécessaire que les disciples s’éloignent mais non pas trop. La prière des disciples n’aura pas lieu sur le lieu même de l’Ascension, ils sont retournés au cénacle tels que les ont invités les figures angéliques lors de l’Ascension. Ils ne sont pas ‘restés là à contempler le Ciel’ (Ac 1,11). Ils ont pris de la distance tant vis-à-vis du lieu que de l’événement. De même Jésus rappelle que la prière évite toute appropriation : je prie pour ceux que tu m’as donnés, car ils sont à toi. La prière chrétienne refuse la relation fusionnelle au divin, comme tout asservissement à ses propres désirs, ou autres tentations de toute-puissance. Elle n’est que don, aban-don nécessaire pour donner vie.

Ainsi en Christ glorifié, la distance devient « vis à vie ». Si les disciples sont unis d’un même cœur dans la prière, c’est qu’ils ont su marquer une sainte distance, accepter cet écart qui les séparent un tant soit peu et du Seigneur et les uns les autres. C’est en cette distance que s’installe l’Esprit Saint promis. L’évangéliste Jean nous le rappelle en associant le départ de Jésus au don du Paraclet :

Jn 16, 7 Pourtant, je vous dis la vérité : il vaut mieux pour vous que je m’en aille, car, si je ne m’en vais pas, le Défenseur ne viendra pas à vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai.

L’humble distance laisse place à l’action de l’Esprit Saint pour ce frère, cette sœur, cette communauté, ce monde en attente d’Espérance, afin qu’ils connaissent, librement, le Père, le seul vrai Dieu, et celui qu’Il a envoyé, Jésus Christ.

François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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