A Nazareth, l’annonciation à Marie (Lc 1,26-38)

4e dim. avent (B)
Annonciation 25 mars (8 avril 2024) 
8 déc. Immaculée conception 

Le passage nous présentait l’annonce de Jean le baptiste et sa naissance. Face à l’ange Gabriel, au sein du Temple, Zacharie était devenu muet, laissant, lors de la naissance de l’enfant, la louange à Élisabeth. C’est dans un autre cadre que Luc place l’annonciation faite à Marie. Le luxe et la sacralité du Temple de Jérusalem, la solennité du culte et la classe sacerdotale, laissent place à une petite bourgade de Galilée, sans renommée : Nazareth. Le même ange intervient : Gabriel. Mais, jamais il ne mentionnera son nom à la jeune fille.

Une grande partie de cet article est tirée de la série ‘Il est né le biblique enfant‘ du podcast Au Large Biblique.

Hendrick ter Brugghen, The Annunciation, 1624

Gabriel et la fin des temps

Dans le livre de Daniel, Gabriel, dont le nom signifie force de Dieu, intervient, dans une première vision, pour annoncer : « Comprends, fils d’homme, car la vision est pour le temps de la fin » (Dn 8,16). Dans une autre vision (Dn 9,21), Gabriel se manifeste alors que Daniel est en prière. En lui ouvrant l’intelligence, il annonce la venue d’un temps pour faire cesser la perversité et mettre un terme au péché, pour absoudre la faute et amener la justice éternelle, pour sceller vision et prophète et pour oindre un Saint des Saints. À ce Jugement divin est associé la venue d’un messie-chef mettant fin à l’empire hellénistique.  

Luc reprend donc cette figure connue de la littérature apocalyptique contemporaine. Avec d’autres archanges1, ils sont présents auprès de la gloire divine. Le livre d’Hénoch (rédigé au IIe et Ier s. av. J.-C.), mentionne Gabriel lors du jugement divin à l’occasion du déluge. Selon cet écrit, Gabriel est celui qui combat les puissances du mal. Le choix de Gabriel permet d’associer le temps messianique du règne de Dieu avec l’annonce des naissances de Jean et Jésus. Leurs présences sont liées et s’inscrivent dans le dessein de salut de Dieu. Les cantiques de Zacharie et de Marie reprendront ce thème de l’avènement du Jugement.

Benozzo Gozzoli - San Domenico, Annunciation, 1449

Je te salue, comblée de grâce (1,26-29)

1 , 26 Le sixième mois, l’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, appelée Nazareth, 27 à une jeune fille vierge, accordée en mariage à un homme de la maison de David, appelé Joseph ; et le nom de la jeune fille était Marie. 28 L’ange entra chez elle et dit : « Je te salue, Comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi. » 29 À cette parole, elle fut toute bouleversée, et elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation.

Le sixième mois

Le sixième mois. Cette indication temporelle renvoie à l’annonce faite à Zacharie pour la naissance du baptiste. Laquelle sera encore évoquée à la fin de ce récit. Luc nous oblige à relier ces deux annonciations pour souligner leur contraste. Jean baptiste précède et annonce l’avènement du Messie. L’annonce faite à Zacharie, son père, avait eu lieu au Temple de Jérusalem, en pleine liturgie. Zacharie est un homme de la classe sacerdotale, pieux, juste devant Dieu, mais âgé et sans enfant.

Or, maintenant, nous sommes dans une bourgade de Galilée, appelée Nazareth, ville sans renom. L’annonce divine s’adresse à une jeune fille vierge nommée Marie. Tout se passe en sa maison. Le décor est totalement différent comme les destinataires. Par ce contraste, Luc tient à affirmer combien le Messie attendu ne vient pas d’une famille sacerdotale liée au Temple, mais d’une jeune fille de province, liée à la descendance davidique par son futur époux.

Le seul point commun entre l’annonce du baptiste et celle du Messie concerne l’identité de l’ange. L’évangéliste nous avait présenté Gabriel comme celui qui se tient en présence de Dieu (Lc 1,19). L’ange Gabriel est connu de la littérature biblique et extrabiblique pour être associé à l’avènement du Jugement et du temps messianique. Cette double manifestation de Gabriel, à Zacharie et à Marie, confirme l’accomplissement de ce dessein de Dieu. Mais plus que le cadre, la mise en scène est totalement différente.

Rogier van der Weyden, Triptyque de l'Annonciation, 1440

Un même ange, deux manifestations

Les deux récits sont construits sur le même modèle : la manifestation de l’ange, puis une salutation, enfin l’annonce de la naissance de l’enfant, de son nom et sa mission. S’en suit le doute du bénéficiaire et la confirmation par un signe. Mais cette trame commune laisse apparaître des différences notables qui valorisent notre passage.

Dans le récit de l’annonciation faite à Marie, la venue de l’ange est déployée. Lorsqu’il apparut à Zacharie le texte racontait simplement : L’ange du Seigneur lui apparut, debout à droite de l’autel de l’encens. À sa vue, Zacharie fut bouleversé et la crainte le saisit. L’ange lui dit : « Sois sans crainte, Zacharie. (Lc 1,11-13) La venue du même ange Gabriel, auprès de Marie, se déploie davantage  : l’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, appelée Nazareth … L’ange entra chez elle et dit : Sois sans crainte, Marie,… À cette parole, elle fut toute bouleversée.

Pour Marie l’ange n’apparaît pas subitement. Luc précise qu’il a été envoyé par Dieu. Cette précision serait presqu’inutile car on sait bien que, bibliquement, les anges sont les messagers de Dieu. Mais Luc justement veut souligner l’importance du message et l’implication divine à ce propos. La venue de l’ange correspond à une mission de haute et divine importance. Paradoxalement, sa manifestation est des plus ordinaires. Pas de fumée d’encens, pas de lumière, ni d’apparition soudaine. L’ange entre chez Marie comme par la porte, comme un visiteur ordinaire. Rien de brusque, ni de brutal, et beaucoup de délicatesse.

De la Loi à la Grâce

À cette parole, elle fut toute bouleversée. Ce trouble de Marie indique qu’elle a compris l’irruption du divin en sa maison : ce bouleversement répond à la salutation angélique Je te salue, Comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi.

Luc soulignait à propos de Zacharie et Élisabeth combien ils étaient justes devant Dieu, fidèles aux commandements et aux préceptes du Seigneur de façon irréprochable. Pour Marie, la fidélité à la Loi est mise sous silence pour affirmer la Bonne Nouvelle de la grâce. Sans en faire un antagonisme absolu à la probité scrupuleuse du couple sacerdotal, Luc préfère le langage de la grâce à propos de Marie. Celle-ci est ici dépeinte pour sa foi sincère et sa disposition. Le choix de Marie s’inscrit sur le mode gracieux de l’élection divine, comme pour David, Moïse, Abraham, et bien d’autres.

L'Annonciation, Henry Ossawa Tanner ,1896

Tu lui donneras le nom de Jésus (1,30-33)

1, 30 L’ange lui dit alors : « Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu.31 Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ; tu lui donneras le nom de Jésus. 32 Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; 33 il régnera pour toujours sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin. »

Naissance biblique

Le message de l’ange rejoint ces annonces bibliques des récits de Samson, Samuel, Jean, etc. (cf. Il est né le biblique enfant). Habituellement, le messager divin annonce que la femme sera enceinte, dévoile le futur nom de l’enfant, ainsi que sa mission et son destin. Or, en cette annonciation, la destinatrice n’est ni une femme stérile ou âgée, comme Élisabeth, mais une jeune fille vierge.

Cette situation, unique dans la Bible, annonce déjà une nouveauté radicale : l’avènement d’une ère nouvelle. Celle-ci est d’ailleurs confirmée par la suite. L’enfant se nommera Jésus, en hébreu Yeshoua, un nom qui signifie Dieu sauve. Ce salut divin en Jésus, est un thème majeur dans l’évangile de Luc. Cependant les paroles de Gabriel ont de quoi nous surprendre.

L’annonce d’un Messie et Fils

Grand, Fils du Très-Haut, roi issu de David régnant sans fin sur Israël. Les termes sont plus qu’élogieux et le message est clair. Il annonce un grand bouleversement pour Israël qui voit sa restauration par la venue d’un messie-roi. Le récit de Luc rejoint ainsi le livre de Daniel (Dn 9,21) où Gabriel annonçait la venue d’un messie-chef. Mais Luc va plus loin. Cet enfant est, par l’Esprit, le fils du Dieu Très-Haut, comme il est aussi fils de David par son père Joseph. Comme dans le récit de Matthieu, la conception divine de Jésus confère toute l’autorité paternelle à Joseph, mais là n’est pas la pointe du récit. La dénomination de fils du Dieu Très-Haut ne renvoie pas à une filiation génétique. Ce titre, à connotation royale, renvoie à l’appartenance entière de ce futur enfant au projet de Dieu.

John William Waterhouse, The Annunciation, 1914

Celui qui va naître sera saint (1,34-38)

1 , 34 Marie dit à l’ange : « Comment cela va-t-il se faire puisque je ne connais pas d’homme ? » 35 L’ange lui répondit : « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint, il sera appelé Fils de Dieu. 36 Or voici que, dans sa vieillesse, Élisabeth, ta parente, a conçu, elle aussi, un fils et en est à son sixième mois, alors qu’on l’appelait la femme stérile. 37 Car rien n’est impossible à Dieu. » 38 Marie dit alors : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole. » Alors l’ange la quitta.

Comment cela va-t-il se faire ?

Comment cela va-t-il se faire ? La question de cette jeune vierge souligne sa perplexité. Elle rejoint le questionnement de Zacharie Comment vais-je savoir que cela arrivera ? Mais Zacharie n’est pas une jeune fille analphabète de province. Il est prêtre du Temple, connaissant la Loi et les Écritures. Malgré son savoir et sa foi, son doute au milieu du culte du Temple, manifeste un réel scepticisme à l’égard du dessein de Dieu et de sa puissance créatrice. Marie exprime moins un doute, qu’une demande d’éclaircissement.

L’évangéliste Luc présente ainsi la venue de Jésus comme un véritable acte créateur et salvateur du Seigneur. L’Esprit de Dieu vient comme au temps de la création où le souffle ou l’Esprit du Seigneur planait sur la surface des eaux (Gn 1,2). Mais la création est ici tout autre. La puissance du Très-Haut qui prend Marie sous son ombre exprime la Gloire même de Dieu, comme au sein de la tente de la Rencontre au temps de Moïse. Luc convoque ici les registres de la création et du salut. L’enfant à venir devient présence divine : il sera saint et appelé Fils de Dieu. La visite à Élisabeth est alors présentée comme le signe probant du message. Elle vient confirmer la mission de Marie. Elle verra de ses yeux l’œuvre de Dieu en faveur d’Élisabeth, âgée et stérile, lui conférant la grâce d’enfanter. L’impossible devient réalité y compris pour cette inconcevable conception divine.

L’humilité d’un acquiescement

Le destin de l’enfant divin s’annonce grandiose. Or, comme en contraste, Luc nous oblige à une nécessaire humilité. D’une part, humblement, Marie se rend entièrement disponible au dessein de Dieu. Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole.

D’autre part, en contraste à l’annonce d’un destin messianique et royal, Luc nous montrera l’abaissement et le dénuement d’une mangeoire à l’occasion de la naissance de l’enfant.

  1. Michel, Raphaël, et Phanaël ou Sariel selon les écrits ↩︎
Partagez sur :
François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.