Ce passage se situe dans la continuité du récit de l’ascension qu’il conclut. Il nous donne à voir la vie de la communauté de Jérusalem.
1,12-14 Dans la chambre haute
1,12 Alors, ils retournèrent à Jérusalem depuis le lieu-dit « mont des Oliviers » qui en est proche, – la distance de marche ne dépasse pas ce qui est permis le jour du sabbat. 13 À leur arrivée, ils montèrent dans la chambre haute où ils se tenaient habituellement ; c’était Pierre, Jean, Jacques et André, Philippe et Thomas, Barthélemy et Matthieu, Jacques fils d’Alphée, Simon le Zélote, et Jude fils de Jacques. 14 Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière, avec des femmes, avec Marie la mère de Jésus, et avec ses frères.
Retour à Jérusalem
Le verset 12 réalise ce que Jésus demandait à ses disciples : 1,4 il leur donna l’ordre de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre que s’accomplisse la promesse du Père. Cependant, un détail ne nous a pas échappé : Depuis quand sommes-nous à ce mont des Oliviers ? La seule indication géographique qui nous a été donnée est ce verset 4 que je viens de citer : Jérusalem. Le contexte était celui d’un repas, supposant une salle. Depuis, le texte ne mentionne aucun verbe de déplacement. Cela pourrait être une simple élision : Luc a-t-il au verset 6 ou 9 de raconter un tel déplacement ? Autre explication possible : le repas de Jésus et ses disciples se serait déroulé, à Jérusalem, sur le mont des Oliviers.
Mais faut-il chercher une solution spatiale ? Luc sait très bien manier le récit.
Une dimension eschatologique
Le mont des Oliviers est désigné, dans ce passage, en référence à sa proximité (en grec éngus, ἐγγύς ) de Jérusalem : une distance mise en rapport avec le sabbat, autre nouvelle information. Ces indices ne sont pas seulement temporels ou géographiques. Ils rappellent ce retour du Messie annoncé (1,11) et attendu en ce lieu par le prophète Zacharie :
Za 14, 4 Ses pieds se poseront, ce jour-là, sur le mont des Oliviers qui est en face de Jérusalem, à l’orient. Et le mont des Oliviers se fendra par le milieu, d’est en ouest ; il deviendra une immense vallée. Une moitié de la montagne reculera vers le nord, et l’autre vers le sud.
Pour le prophète Ézéchiel, dans sa vision du nouveau Temple, le jour du sabbat est celui où s’ouvre la porte de l’orient, face au mont des Oliviers.
Éz 46, 1 Ainsi parle le Seigneur Dieu : La porte de la cour intérieure, qui fait face à l’orient, sera fermée durant les six jours de travail ; mais, le jour du sabbat, elle sera ouverte ; elle sera également ouverte au jour de la nouvelle lune. 2 Le prince viendra de l’extérieur, il entrera…
La mention du sabbat ajoute donc à ce cadre narratif un caractère eschatologique et messianique : les disciples, à Jérusalem demeure proche du mont des Oliviers dans le cadre d’un sabbat. Comme s’ils se préparaient à accueillir ce Royaume de Dieu promis et le retour du Messie. Sans doute faudra-t-il aussi entendre en ce sens l’épisode du retour des Douze avec le passage suivant (1,15-26). Nous y reviendrons.
Dans l’évangile de Luc, le mot proche (en grec éngus, ἐγγύς ) est d’ailleurs toujours employé dans le cadre eschatologique de l’avènement du royaume de Dieu (Lc 19,11 ; 21,30.31)
Lc 21,31 De même, vous aussi, lorsque vous verrez arriver cela, sachez que le royaume de Dieu est proche.
Sans tout dévoiler, Luc va déplacer l’attente des Apôtres et surtout de ses lecteurs. Le grand jour eschatologique et terrifiant, attendu par Zacharie, se déroulera autrement, au jour de la Pentecôte. En attendant, c’est dans ce temps, déjà, que s’inscrit la vie de la communauté.
Jésus absent … quoique
Le passage n’est pas seulement une description d’un temps de prière des Apôtres, reclus, entre Ascension et Pentecôte. Il offre déjà des clés de compréhension sur la vie de la communauté de Jérusalem et ce qu’elle deviendra par la suite.
D’une part, Luc rappelle que la communauté est fondée sur l’écoute de la Parole du Christ. Ce qu’a dit Jésus, les Apôtres l’accomplissent : rester à Jérusalem et attendre la promesse du Père. La communauté inscrit sa vie dans l’écoute actuelle de la Parole. Jésus est désormais absent, élevé à la droite du Père, mais toujours demeure sa parole vivante. D’autre part, l’évocation de la chambre haute, appelée cénacle dans d’autres traductions, fait mémoire de cette pièce, une terrasse aménagée, utilisée par Jésus lors de la Cène – sans que les deux soient nécessairement confondus. Le lieu rappelle donc la Passion du Christ, lieu essentiel de la Révélation chez l’évangéliste. La continuité demeure entre l’action du Christ hier, et leur vie dans cet aujourd’hui, et surtout ces lendemains.
Les Apôtres, les femmes
Luc cite à nouveau le nom des Onze (Lc 6,13) avec quelques petites modifications comme pour annoncer une nouveauté. Bien évidemment, la liste permet de souligner l’absence de Judas. Narrativement, et contrairement à Matthieu, la mort de ce dernier ne fut pas racontée dans son évangile : elle sera avec les versets suivants. Dans cette nouvelle énumération, les duos de frères (Lc 6,13 Pierre et André, Jacques et Jean) laissent place au duo Pierre et Jean qui joueront un rôle majeur dans les premiers chapitres des Actes. La place Thomas est également modifiée, sans trouver une explication certaine par les exégètes.
Autre changement avec le début de notre récit : les Apôtres ne sont pas seuls en cette pièce. Luc mentionne la présence des femmes. Elles sont, avec Marie de Magdala, celles qui ont suivi Jésus aux côtés des Douze (Lc 8,1-2). Elles furent les disciples et témoins fidèles jusqu’à la contemplation de la croix (Lc 23,49), le sépulcre (Lc 23,55) et la découverte du tombeau vide (Lc 24,1-10.22.24). Ce sont-elles qui ont accueillis le message de la Résurrection mais que les Onze eurent du mal à croire (Lc 24,11). La mention des femmes montrent que cette communauté ne se réduit pas aux seuls Apôtres mais rassemble ces disciples et témoins du Christ crucifié et ressuscité. Telle est et sera – comme le montrera le récit suivant – la définition même de l’apôtre.
Marie et les frères de Jésus
En dernier lieu, Luc cite la présence de Marie, mère de Jésus, et de ses frères. Là encore, la mention n’est pas anecdotique : Luc ne fait pas dans la reconstitution historique. Il veut donner sens à l’histoire racontée. Le personnage de Marie inaugurait l’évangile de Luc avec l’annonciation et la naissance de Jésus. Luc souhaite-t-il rappeler ce destin royal annoncé par l’ange, cette incarnation et cette naissance dans l’humilité de la crèche ? Il convient de souligner que notre passage, fait sans cesse le lien entre Jésus de Nazareth et le Christ ressuscité, désormais élevé au ciel. L’identité du Fils de l’homme et Fils de Dieu est éclairé et prend sens dans la vie de ce fils de Marie, depuis Nazareth jusqu’à la croix. La résurrection et l’ascension assument toute la vie de Jésus. La présence de Marie le rappelle. Tout comme celles de ses frères.
Certes, selon un point de vue historique, les frères de Jésus vont jouer un rôle important dans la communauté de Jérusalem. La tradition, ainsi que Paul (1Co 15,7 ; Ga 1,19 ; 2,9.12) désignent Jacques, le frère du Seigneur, comme un personnage éminent. On rencontrera, également, cette personnalité dans les Actes des Apôtres (12,17 ; 15,13 ; 21,18).
On peut également évoquer, le parallèle avec un épisode de l’évangile de Luc.
Lc 8, 19 Sa mère et ses frères arrivèrent près de lui, mais ils ne pouvaient le rejoindre à cause de la foule. 20 On lui annonça: « Ta mère et tes frères se tiennent dehors; ils veulent te voir. » 21 Il leur répondit: « Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la mettent en pratique. »
Ainsi, l’écoute de la Parole de Dieu : depuis les Apôtres, les femmes, Marie et les frères de Jésus devient le cœur même de la vie de la communauté. Une communauté qui est marquée par son unanimité et son assiduité.
Assidus et unanimes
Le dernier verset (1,14) constitue le premier sommaire des Actes : une récapitulation des faits et de la vie de la communauté. Luc met en avant deux traits : l’assiduité et l’unanimité (d’un même cœur). Ce sont des termes que nous allons rencontrer plusieurs fois et qui définissent l’identité de la communauté. Elle est celle qui est assidue, ici, à la prière, à l’enseignement des Apôtres (2,42), au Temple (4,6) comme à la Parole et au service (6,4). Cette assiduité marque la fidélité des disciples au Christ, tout comme l’unanimité montre leur union fraternelle dont il sera bientôt question. Les Apôtres et les femmes, Marie et les frères, comme deux clans rassemblés par le Christ.
La prière
Chez Luc, la prière n’est pas seulement une activité pieuse. Dans son évangile, l’évangéliste fait toujours précéder, ou succéder, un moment important, par la prière du Christ. Celle-ci permet de comprendre l’événement en question comme l’accomplissement du dessein du Père. Ainsi, Jésus a-t-il prié lors de la descente de l’Esprit Saint après le baptême (Lc 3,21) ; à l’occasion des premières guérisons (Lc 5,16), de l’appel des Douze (Lc 6,12) ; mais aussi au moment de la multiplication des pains et de la profession de foi de Pierre (Lc 9,18), de la transfiguration (Lc 9,28-29), du don de la prière du Père (Lc 11,1) et en dernier lieu à Gethsémani (Lc 22,41.44.46). On remarquera que cette prière est associée à une théophanie ou à l’action du Père.
Cette toute première prière de la communauté reprend ainsi l’attitude Jésus confiant en son Père. Elle exprime la foi de la communauté dans l’accomplissement du dessein de Dieu et de son Christ.
Ce petit sommaire sert aussi de transition à l’élection de Matthias, le deuxième Douzième apôtre.