Désert 6 – Ne fermez pas votre cœur comme au désert (Ps 94)

Ce carême est souvent le lieu où l’on nous met en garde contre toutes ces tentations qui nous guettent et nous nuisent. Au sein des bonnes revues et des sermons qui se cachent dans les homélies, nous trouvons ces listes de tentations – toujours plus nombreuses d’années en années – auxquelles nous avons ou pourrions succomber dans ce désert parfois vu comme un lieu de danger et de perdition. Le psaume 94 nous parle autrement de tentations :

 « Ne fermez pas votre cœur comme au désert, comme au jour de tentation et de défi, où vos pères m’ont tenté et provoqué, et pourtant ils avaient vu mon exploit. Ps 94, 8-9

Les dix commandements, Cecil B. De Mille, 1956

comme au jour de Massa-et-Mériba

Dieu parle et désigne les pères, c’est-à-dire le peuple hébreu au désert, comme des tentateurs, ceux qui éprouvent et provoquent le Seigneur. Le verset joue avec les mots en référence à un épisode se déroulant après la sortie d’Égypte, en un lieu qui sera appelé Massa (tentation) -et-Mériba (défi) – Ex 17. La traduction liturgique, basée sur le texte grec, diffère un peu, mais elle nous renvoie aussi – de manière moins explicite – à cet épisode.

En fait, les tentations des hébreux commencent à Mara, en Ex 15,22-24. Moïse fit partir les fils d’Israël de la mer des Roseaux, et ils sortirent en direction du désert de Shour. Ils marchèrent trois jours à travers le désert sans trouver d’eau. Ils arrivèrent à Mara mais ne purent boire l’eau de Mara car elle était amère ; d’où son nom de « Mara ». Et le peuple récrimina contre Moïse en disant : « Que boirons-nous ? »

À peine trois jours à travers le désert, seulement trois jours après que la main de Dieu les ait sauvés de la mort et c’est déjà les récriminations. Pourtant on se serait attendu à un autre événement. En effet, en Ex 15,3, Moïse et Aaron affirmaient à Pharaon : Le Dieu des Hébreux s’est présenté à nous : il nous faut aller à trois jours de marche dans le désert pour offrir un sacrifice au Seigneur notre Dieu.

Or à trois jours de marche, le culte est oublié. Ce qu’ils ont à offrir à Dieu c’est leur ingratitude et leurs revendications. Mais Dieu répond favorablement, il fait en sorte que les eaux amères, de la même amertume que le cœur du peuple, s’adoucissent. Et nous n’en restons pas là. Leur chemin au désert se poursuit. Évidemment à la soif, succède la faim et encore des récriminations …. et toujours Dieu entend et répond laissant pleuvoir la manne (Ex 16). Enfin, dans leur traversée du désert, les hébreux arrivent à Réphidim, ce lieu qui sera appelé Massa-et-Mériba (c’est-à-dire Épreuves et querelles ou Tentations et défis). Ici aussi le peuple a soif et se révolte contre Moïse et son Dieu qui les a fait sortir de la servitude Égyptienne en fendant les eaux en deux, adoucissant pour eux les eaux de Mara, et leur donnant la manne…

Moi,- dit le Seigneur à Moïse – je serai là, devant toi, sur le rocher du mont Horeb. Tu frapperas le rocher, il en sortira de l’eau, et le peuple boira ! » Et Moïse fit ainsi sous les yeux des anciens d’Israël. Il donna à ce lieu le nom de Massa (c’est-à-dire : Épreuve) et Mériba (c’est-à-dire : Querelle), parce que les fils d’Israël avaient cherché querelle au Seigneur, et parce qu’ils l’avaient mis à l’épreuve, en disant : « Le Seigneur est-il au milieu de nous, oui ou non ? » Ex 17,6-7

Mer des Joncs, Mara, Massa-et-Mériba… des histoires d’eaux, de soif et de révolte dans ce désert où l’eau est plus que vitale. Nous pouvons certes entendre la crainte de mourir au désert. Là n’est pas la question principale. Car cette crainte est portée par le peuple non par une prière mais dans une opposition, une révolte qui va crescendo, où la simple demande se fait au final sommation !

« Que boirons-nous ? » Ex 15,24 –  « Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour faire mourir de faim tout ce peuple assemblé ! » 16,3 -« Donne-nous de l’eau à boire ! » 17,2 … Il est loin le temps du cantique d’action de grâce chanté par les fils d’Israël sitôt la sortie d’Égypte (Ex 15,1-21). Il leur a fallu à peine trois jours pour que leur louange se change en pleurs et en revendication. Leur cœur se ferme à la bonté de Dieu qui toujours répond à leurs cris pour les guider en ce désert.

Nous, tentateurs

Ces révoltes – tentations et défis – évoquées par le psaume 94, veulent souligner non le caractère vital du besoin ou le danger de mort, mais la mauvaise disposition du peuple à l’égard de son Dieu sauveur. Le psalmiste évoquant la faute de ces pères, nous rappelle notre tendance à réduire le Seigneur à un instrument de notre confort et de notre survie comme si nous savions mieux que Lui ce dont nous avons besoin. La réaction des hébreux au désert rejoint bien de nos attitudes qui parfois tentent d’imposer à Dieu nos désirs, notre volonté,… que ce soit sous le coup de la colère ou, et ce n’est pas mieux, par marchandage de prières ou chantage….  Cela est bien pire que les autres tentations (du Mal et du diable) pour lesquelles on peut demander l’aide de Dieu. Ici, il s’agit de contester ou d’instrumentaliser le Seigneur… de l’asservir, de le provoquer pour reprendre l’expression du psaume. Dès lors nous endossons l’habit du tentateur.

« Ne nous laisse pas entrer en tentation » disons-nous dans la prière du Notre Père. Cette tentation évoque justement cette mauvaise disposition envers Dieu et notre propension à devenir des tentateurs. Ce qui vaut pour Dieu, vaut aussi pour nos prochains qui ne vont pas dans le sens que nous voudrions. Il nous arrive par de nombreux subterfuges, dont la séduction, vouloir les dominer, et les obliger à faire notre volonté… Ce cœur fermé, enfermé dans un désert amer et sec, mène généralement à la déception et à la querelle, au pire à l’anéantissement. Nous brisons ainsi l’équilibre originel des nos relations familiales, professionnelles, amicales, ecclésiales … basées sur la confiance et la charité fraternelle.

Le psaume 94 sert de porte d’entrée à la prière des Heures, introduisant celle des Laudes. Il nous invite à disposer notre journée avec un cœur ouvert à sa volonté. Ainsi, un de ses versets nous indique justement que dans ce désert des épreuves et des querelles, tous, les uns comme les autres, avons à nous mettre à l’écoute de celui qui veut notre bien :

Oui, il est notre Dieu ; nous sommes le peuple qu’il conduit, le troupeau guidé par sa main. Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? Psaume 94,7


Les références

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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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