Désert 18 – Sur la route du désert au-devant de Moïse (Ex 4)

C’est un passage peu cité, souvent ignoré – mais une fois de plus le cinéma, la littérature et autres BD, ont effacé cet épisode pourtant biblique. Quand bien même, il est vrai que ce n’est pas non plus un verset des plus connus de la Bible.

Chagall, Aaron rencontre Moïse, 1966

Une mission pour Aaron

Le Seigneur dit à Aaron : « Va sur la route du désert au-devant de Moïse. » Il y alla, le rencontra à la montagne de Dieu et l’embrassa. Ex 4,27.

De fait, parallèlement à la mission de Moïse sur le Sinaï, avec ce buisson ardent et cette longue conversation (et conversion) entre Dieu et Moïse, se déroule, plus bas, plus loin, un bref appel. Aaron, le frère de Moïse reçoit la mission d’aller à la rencontre de celui-ci.

Par rapport au récit d’Exode 3 du buisson ardent, nous pouvons nous étonner de la brièveté et de la sobriété à propos de cet événement. Nous ne savons ni le lieu, ni le moment, ni même la manière, sinon cet ordre bref : Va sur la route du désert au-devant de Moïse. Le Seigneur s’exprime lui aussi dans un langage des plus concis. Il n’est rien dit du motif : Aaron ne sait pourquoi il doit partir vers Moïse. Quant à la destination, elle est des plus vague : la route du désert. N’y a-t-il qu’une seule route, ou même une route, parmi d’autres, qui ne mènerait qu’à une seule destination : Moïse ? S’il fallait perdre quelqu’un ou s’en débarrasser un bon moment, nous ne dirions pas mieux.

Mais Aaron ne s’est pas perdu. La parole de Dieu est toujours celle qui veut nous mener au bon endroit, ici la montagne de Dieu, c’est-à-dire le lieu pour Le rencontrer. Pour trouver son frère, il lui faut aller à Dieu.  Son frère… cela ne fait pas longtemps que nous savons qui est Aaron. Son nom n’est apparu que quelques versets plus tôt, quand le Seigneur répondit à Moïse – qui se plaignait de ne savoir parler – et demandait de missionner quelqu’un d’autre :

Moïse répliqua : « Je t’en prie, mon Seigneur, envoie n’importe quel autre émissaire. » Alors la colère du Seigneur s’enflamma contre Moïse, et il dit : « Et ton frère Aaron, le lévite ? Je sais qu’il a la parole facile, lui ! Le voici justement qui sort à ta rencontre, et quand il te verra, son cœur se réjouira. Ex 4,13-14.

Le voici qui sort justement à ta rencontre, dit le texte avant que Dieu ne l’appelle quatorze versets plus tard. Mais ce qui peut paraître comme une contradiction littéraire, souligne qu’à l’initiative d’Aaron s’ajoute maintenant l’appel du Seigneur. Il vient ici donner sens et encore plus d’importance à ce qui va se passer par la suite.

James tissot, Moïse et Aaron s'adressant aux fils d'Israël, 1893

Première rencontre en Moïse et Aaron

Moïse et Aaron se rencontrent donc sur la montagne de Dieu. C’est la première fois que ces deux personnages sont ensemble et ils le seront jusqu’à la mort d’Aaron en Nb 33,39. Une longue aventure fraternelle les attend avec les épreuves, les discordes et les joies. Mais jusqu’à ce chapitre 4 le nom d’Aaron nous était inconnu. De même si l’enfance de Moïse au chapitre 2 évoquait sa mère, son père et sa sœur, leurs noms nous seront révélés qu’au chapitre 6 pour ses parents Amram et Yokebed, et au chapitre 15 pour sa sœur Myriam. Auparavant nous n’avions aucun nom. L’enfance de Moïse fut une enfance anonyme. Et nous ignorions jusque-là l’existence de ce frère.

Notre texte fait se rencontrer Moïse, notre héros, l’homme apatride et sans dieu, comme nous l’avons vu (désert 16), avec l’hébreu inconnu, pieux, le lévite, le serviteur du seigneur, Aaron. Ils sont frères mais jusque-là séparés, et tout pouvait les séparer. Dieu a voulu ainsi les réunir pour entreprendre sa mission de salut. Rien ne peut se faire sans fraternité.

Et Aaron et l’embrassa

On embrasse peu dans la Bible. Et ce terme n’est pas destiné à définir un acte uniquement affectueux. Méfions de ces lectures affectives, affectueuses qui sont le plus souvent affectées. Embrasser est un terme biblique rare : un peu plus de trente fois dans l’ensemble du premier testament, dont dix pour la geste du patriarche Jacob, son frère et ses fils. Là aussi une histoire de fraternité. (voir les références ci -dessous). Dans le cycle de Jacob, le baiser est souvent lié à la bénédiction et à l’autorité. C’est un signe de reconnaissance et d’hommage. Ainsi Isaac envers son fils aîné supposé (Gn 27,26-27) ou Samuel envers le futur roi Saul (1S 10,1)… Il en est de même dans le Nouveau Testament, pour la pécheresse embrassant les pieds de Jésus reconnaissant celui qui pardonne (Lc 7,38), ou Jésus embrassant les enfants et les bénissant (Mc 10,16), ou encore le baiser de Juda qui constitue ironiquement la reconnaissance de Celui qui a l’autorité divine (Lc 22,48).

Ainsi Aaron embrasse Moïse. Avec les retrouvailles, ce baiser reconnaît la pleine autorité de ce frère inconnu, et rend hommage à celui que Dieu a choisi pour guider son peuple…mais non pas seul.

… et par la suite.

On fait de Moïse, un héros unique et un unique héros, LE fondateur, LE législateur… pourtant il agit rarement seul : Aaron, Josué, mais aussi les anciens, sans oublier Jéthro son beau-père… Moïse est toujours accompagné, aidé et soutenu, le plus souvent par la parole de Dieu elle-même dont il sont deux, Aaron et Moïse, à être ici les serviteurs :

Moïse transmit à son frère toutes les paroles que le Seigneur l’avait envoyé dire et tous les signes qu’il avait ordonné de faire. Moïse et Aaron se mirent en route et réunirent tous les anciens des fils d’Israël. Aaron redit toutes les paroles que le Seigneur avait adressées à Moïse et il accomplit les signes sous les yeux du peuple. Et le peuple crut : il comprit que le Seigneur avait visité les fils d’Israël et qu’il avait vu leur misère. Alors ils s’inclinèrent et se prosternèrent. Ex 28-31.

Le verbe « embrasser » dans le premier Testament. Exemples

  • Gn 27,26-27 : Isaac, mourant, embrasse et bénit Jacob à la place d’Ésaü,
  • Gn 29,11 : Jacob embrasse Rachel à son arrivée à Harane,
  • Gn 29,13 : Laban embrasse Jacob pour l’accueillir,
  • Gn 31,28; 32,1 : Laban embrasse et bénit ses filles et ses petits-enfants à leur départ,
  • Gn 33,4 : Ésaü embrasse Jacob lors de leurs retrouvailles,
  • Gn 45,15 : Joseph embrasse ses frères à leurs retrouvailles,
  • Gn 48,10 : Jacob embrasse et bénit les fils de Joseph,
  • Gn 50,1 : Joseph embrasse son défunt père,
  • 1Sa 10,1 : Samuel prit la fiole d’huile, la versa sur la tête de Saül et l’embrassa. Il dit: «N’est-ce pas le Seigneur qui t’a oint comme chef de son patrimoine ? »
  • Os 13,2 : Et maintenant ils continuent à pécher, ils se font des images de métal fondu, avec leur argent, des idoles de leur invention; œuvre d’artisan que tout cela! Ils disent : ” Offrez-leur des sacrifices “. À des veaux, des hommes donnent des baisers!
  • Et aussi : Ex 4,27 ; 1S 18,7; Rt 1,9.14;; 20,41; 2Sa 14,33; 15,5; 19,40; 20,9; 1R 10,25; 19,18.20; 2R 10,2; 1Ch 12,2; 2Ch 9,24; 17,17; Ne 3,19; Jb 20,24; 31,27; 39,21; Ps 2,12; 78,9; 85,11; 140,8; Pr 7,13; 24,26; Ct 1,2; 8,1; Is 22,8; Ez 3,13; 39,9-10…

Les citations et références sonores (podcast)

François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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