Désert 23 – Nos pères dans le désert avaient la tente du témoignage (Ac 7)

Ce verset est tiré du discours d’Étienne dans les Actes des Apôtres (Ac 7). Ce chrétien, plein de foi envers le Christ,  est accusé par de faux témoins de prononcer des paroles blasphématoires contre Moïse et contre Dieu. (Ac 6,8-15). Arrêté, il est conduit au sanhédrin, le tribunal religieux, pour être entendu avant d’être condamné à la lapidation. Le passage que nous allons entendre constitue une partie de sa défense.

Anna Bilińska, Joseph vendu par ses frères, XIX°

D’Abraham à Moïse

Nos pères, dans le désert, avaient la tente du Témoignage. Ac 7,44

Auparavant, Étienne avait repris l’histoire du Salut en partant d’Abraham à qui Dieu promit une descendance et donna l’Alliance en la circoncision (7,1-8). Puis ses paroles se focalisent sur la figure de Joseph (7,9-19), vendu par ses frères et exilé en Égypte mais Dieu était avec lui. Le discours d’Étienne souligne la condition nomade et migrante des patriarches : où qu’ils furent Dieu leur était présent. Enfin avec l’élection divine de Moïse éduqué dans toute la sagesse des Égyptiens (7,20-35), Étienne montre l’opposition de ses frères hébreux. Ce Moïse que l’on avait rejeté en disant : Qui t’a établi chef et juge ?, Dieu l’a envoyé comme chef et libérateur (7,35).  Au désert, les fils d’Israël contestèrent les paroles reçues de Moïse et se tournèrent vers les idoles comme l’illustre l’épisode du veau d’or (7,36-43). L’histoire de Moïse racontée par Étienne met en évidence l’infidélité croissante du peuple jusqu’à leur exil à Babylone. C’est à cet instant qu’Étienne fait référence à notre tente, en reprenant l’histoire du salut.

Nos pères, dans le désert, avaient la tente du Témoignage. Elle avait été faite d’après les ordres de Celui qui parlait à Moïse et qui lui en avait montré le modèle. Après avoir reçu cette tente, nos pères, avec Josué, la firent entrer dans le pays que les nations possédaient avant que Dieu les chasse loin du visage de nos pères. Cela dura jusqu’au temps de David. Celui-ci trouva grâce devant Dieu et il pria afin de trouver une demeure au Dieu de Jacob. Mais ce fut Salomon qui lui construisit une maison. Pourtant, le Très-Haut n’habite pas dans ce qui est fait de main d’homme, comme le dit le prophète : Le ciel est mon trône, et la terre, l’escabeau de mes pieds. Quelle maison me bâtirez-vous, dit le Seigneur, quel sera le lieu de mon repos ? N’est-ce pas ma main qui a fait tout cela ? Vous qui avez la nuque raide, vous dont le cœur et les oreilles sont fermés à l’Alliance, depuis toujours vous résistez à l’Esprit Saint ; vous êtes bien comme vos pères ! Ac 7,44-51.

Reconcstitution du Tabernacle à Timna (IL) (wikipedia)

De Moïse à David

La tente, ou la demeure, est ici le sanctuaire du peuple des Hébreux au désert. En Ex 25-27, Dieu donna lui-même à Moïse ses plans jusque dans les détails. Selon Exode, le sanctuaire est l’initiative de Dieu et non une invention des hommes. Mais bien plus. Cette tente hospitalière, où Dieu se rend présent, se déplace avec ce peuple encore apatride. Dieu voyage avec lui, là où d’autres sanctuaires païens sont fixés en un lieu. Luc parle de ‘tente du témoignage’ expression que l’on trouve dans la version grecque de la bible qu’il utilise. Elle signifie que cette tente est, en elle-même, le témoignage, le signe visible et le mémorial de l’Alliance entre Dieu et son peuple, Alliance célébrée en Ex 24. La version hébraïque préfère l’expression tente de la Rencontre ou du Rendez-vous. Le sanctuaire nomade est ici défini comme le lieu de l’Assemblée lors des fêtes et sacrifices; le lieu de l’hospitalité liturgique, de la louange au pardon.

Reconstitution du Temple, maquette à Jérusalem

Le Temple et l’idolâtrie

Étienne démontre que cette tente nomade et divine est un don de Dieu et un modèle, c’est-à-dire ce qui donne à voir. Son rôle est de témoigner de l’Alliance entre Dieu et son peuple, en lui manifestant sa présence à travers sa marche. Elle est un don de Dieu fait à Moïse et son peuple, portée par Josué en Canaan et en usage jusqu’à David. Avec la mention de Salomon, le bâtisseur du premier Temple de Jérusalem, Étienne change de vocabulaire. Il interprète sa construction comme un bâtiment fait de mains d’hommes ; Cette expression n’est pas neutre, l’adjectif grec fait-de-mains-d-hommes (keiropoiètos / χειροποίητος ) désigne exclusivement la fabrication d’idoles païennes[1. Voir Lv 26,1.30 ; Jdt 8,18 ; Sg 14,8 ; Is 2,18 ; 10,11 ; 16,12 ; 19,1 ; 21,9 ; 31,7 ; 46,6 ; Dn 5,4.23 ; 6,28]. Salomon est connu pour être (ou avoir été un temps) un homme sage et le bâtisseur du Temple, mais aussi celui qui a introduit, par ses nombreuses épouses étrangères, les cultes païens qui détourneront le peuple de son véritable Seigneur. Pour Étienne, le Temple est en lui-même une idole. Il n’est plus ni tente, ni témoignage, ni modèle. La citation qu’il emprunte à Isaïe condamnait déjà la déréliction religieuse du peuple :

Ainsi parle le Seigneur : Le ciel est mon trône, et la terre, l’escabeau de mes pieds. Où donc me bâtiriez-vous une maison ? Où serait le lieu de mon repos ? Tout cela, c’est ma main qui l’a fait, et tout cela est à moi – oracle du Seigneur. Celui que je regarde, c’est le pauvre, celui qui a l’esprit abattu et tremble à ma parole. On immole le bœuf, mais on abat aussi bien un homme ; on sacrifie le mouton, mais on brise la nuque d’un chien ; on présente une offrande, mais aussi bien du sang de porc ; on brûle de l’encens en mémorial, mais on adresse une bénédiction aux idoles ! Ainsi, ces gens-là ont choisi leurs propres chemins, ils se complaisent dans leurs horreurs. Is 66,1-4.

La vraie demeure de Dieu

On reprochait à Étienne d’être infidèle à Moïse et à Dieu, et l’accusé se fait accusateur. En condamnant à mort le Juste de Dieu, Jésus-Christ, le sanhédrin a montré son inaptitude à être à l’écoute de la Parole de Dieu. Si Sanhédrin a été fidèle au Temple, ils furent infidèle à sa Parole et à sa volonté.

Y a-t-il un prophète que vos pères n’aient pas persécuté ? Ils ont même tué ceux qui annonçaient d’avance la venue du Juste, celui-là que maintenant vous venez de livrer et d’assassiner. Vous qui aviez reçu la loi sur ordre des anges, vous ne l’avez pas observée. (7,52-53)

Ces propos lui en coûteront la vie.

Étienne veut rendre compte que sa foi est celle d’Israël depuis Abraham, Joseph et Moïse. Et si le Seigneur tient parole en offrant une descendance à Abraham, en sauvant les patriarches de la famine par Joseph, et les faisant sortir d’Égypte avec Moïse, si Dieu est fidèle à son Alliance… il n’en fut pas toujours le cas pour le peuple de Dieu. La vraie demeure du Seigneur, c’est le ciel de sa Gloire qu’Étienne contemplera :

Mais lui, rempli de l’Esprit Saint, fixait le ciel du regard : il vit la gloire de Dieu, et Jésus debout à la droite de Dieu. (Ac 7,55)

La vraie demeure de Dieu, sa véritable présence hospitalière et  sa Gloire c’est le Christ.

Cathédrale Saint-Étienne de Toulouse, La lapidation de saint Etienne, Charles Thévenin, 1829

Le reproche d’Étienne envers ses détracteurs peut aussi être le nôtre. Dieu montre sa bonté extrême, sa fidélité généreuse en son Alliance, sa Parole, ses prophètes, en livrant son fils unique à un peuple à la nuque raide qu’il aime et aimera. Leur salut, leur fidélité ne tient pas à leur terre, à leur naissance, à leur circoncision, ni à leurs sacrifices au temple de pierre.

De même notre salut, notre fidélité ne peut se contenter d’une éducation chrétienne, ni d’un extrait de baptême, ni d’une pratique cultuelle extérieure, et encore moins par le passage furtif dans une église…

Étienne nous rappelle que la foi est un don et un mouvement permanent qu’accompagne une demeure nomade signe de l’hospitalité de Dieu. La foi n’est pas fixisme ni surdité mais écoute et accueil de sa Parole et de sa Vie en son Fils.  La tente du témoignage de Foi est celle qui accompagnait et guidait Abraham dans ses migrations, Joseph trahi par ses frères, et Moïse contesté par son peuple, jusqu’aux prophètes assassinés. Ces figures que nous donnent à contempler Étienne, préfigurent déjà la venue du Christ. Mais il sont aussi ces croyants qui comme nous sont appelés par Dieu à se mettre en route, à oser porter sa parole de délivrance, à témoigner de son Alliance. Etienne lui-même jusque dans sa mort montrera la véritable hospitalité de Dieu en Jésus :

Étienne, pendant qu’on le lapidait, priait ainsi : « Seigneur Jésus, reçois mon esprit. » Puis, se mettant à genoux, il s’écria d’une voix forte : « Seigneur, ne leur compte pas ce péché. » Et, après cette parole, il s’endormit dans la mort. Ac 7,59-60.


Les citations et références sonores (podcast)

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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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