Désert 26 – L’âne sauvage du désert est la proie des lions (Si 13)

Nous voilà encore avec âne cette semaine. Mais si les ânes d’Ana nous avaient fait découvrir des sources chaudes, l’âne du livre de Ben Sira le sage, nous amène à des constats moins réjouissants. A propos de ce livre on le nomme aussi le Siracide ou l’Ecclésiastique.

L’âne sauvage du désert est la proie des lions, comme le pauvre est la pâture des riches. Si 13, 19

L’image parle d’elle-même et souligne la condition fragile et opprimée du pauvre face aux riches. Le constat est réel, toujours actuel et tout aussi amer. Le verset de Ben Sira le Sage condamne bien ici la condition précaire et humiliante de celles et ceux qui vivent dans la pauvreté.

Tout animal aime son semblable et tout homme, son pareil. Toute chair s’unit selon son espèce, et l’homme s’attache à son semblable. Quoi de commun entre le loup et l’agneau, entre qui est pécheur et qui est religieux ? Quelle paix possible entre l’hyène et le chien ? Quelle paix entre le riche et le pauvre ? L’âne sauvage du désert est la proie des lions, comme le pauvre est la pâture des riches. L’orgueilleux déteste l’humiliation, comme le riche déteste le pauvre. Que chancelle un riche, il est soutenu par ses amis ; que tombe un pauvre, il est repoussé par les siens. Quand le riche fait un faux pas, il trouve beaucoup d’appuis ; s’il dit des sottises, on lui donne raison. Mais quand un petit trébuche, on lui fait des reproches ; même s’il a des choses sensées à dire, on ne lui en donne pas l’occasion. Quand le riche prend la parole, tous font silence et portent son discours aux nues. Si le pauvre veut s’exprimer, on demande : « Qui est-ce ? » et s’il bute sur un mot, on l’enfonce. La richesse est bonne tant qu’elle est sans péché ; la pauvreté est un mal, au dire de l’impie. Le cœur de l’homme modèle son visage soit en bien, soit en mal. À cœur content, joyeux visage ; mais pour forger des proverbes, on s’épuise à réfléchir !  Si 13,15-26.

Lion

Un bien triste constat

Avec ces versets, la description de la pauvreté est bien pire que l’on pouvait le supposer. Il n’est pas seulement question de différences de revenus, de condition précaire face au luxe mais surtout d’un statut social méprisé qu’est celui du pauvre. Une condition qui, au dire de l’auteur, ne permet aucune une solidarité : que tombe un pauvre, il est repoussé par les siens. Avec la figure du riche et du pauvre, l’auteur fait appel à d’autres attitudes que sont l’orgueil, la mondanité, la flatterie du côté du riche et de l’autre le mépris, les moqueries, l’isolement autrement dit : le désert. Et ce désert-là est sec, aride, habité par des ânes sauvages que des lions viennent dévorer. Dans ce second siècle avant Jésus-Christ, l’auteur Jérusalémite, pose ce constat : l’acquisition des richesses se fait au détriment des plus fragiles.

Et ce n’est pas nouveau, même pour son époque. Le prophète Amos, cinq siècles plus tôt, voyait naître parmi le peuple de l’Alliance, une nouvelle classe sociale qui avait su profiter du développement économique de la région mais au détriment d’une population indigente :

Écoutez ceci, vous qui écrasez le malheureux pour anéantir les humbles du pays, car vous dites : […] Nous allons diminuer les mesures, augmenter les prix et fausser les balances. Nous pourrons acheter le faible pour un peu d’argent, le malheureux pour une paire de sandales. Nous vendrons jusqu’aux déchets du froment ! » Am 8,4-6.

On pourrait retrouver les mêmes constats dans bien des livres de la Bible jusqu’au Nouveau Testament avec la parabole du riche et du pauvre Lazare : Devant son portail gisait un pauvre nommé Lazare, qui était couvert d’ulcères. Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; mais les chiens, eux, venaient lécher ses ulcères. Lc 16,19-31. La lettre de Jacques dénonce également ce même mépris : Vous tournez vos regards vers celui qui porte le vêtement rutilant et vous lui dites : « Assieds-toi ici, en bonne place » ; et vous dites au pauvre : « Toi, reste là debout », ou bien : «Assieds-toi au bas de mon marchepied» Jq 2,2-3.

Hyène

L’hyène et le chien

Y’a-t-il donc les loups riches et féroces face aux gentils agneaux pauvres ? Ou d’un côté ceux que Dieu a bénit dans leurs œuvres et de l’autre ceux qui doivent leur indigence à leurs péchés ? C’est ainsi que nous interroge Ben Sira le sage :

 Quoi de commun entre le loup et l’agneau, entre qui est pécheur et qui est religieux ? Quelle paix possible entre l’hyène et le chien ? Quelle paix entre le riche et le pauvre ?

Dans ces lectures et interprétations hyènes et chiens sont renvoyés dos à dos. Ben Sira ne souhaite pas entrer dans un tel clivage stérile, ou du moins pas de manière aussi brute. Il laisse ainsi entendre qu’il y a aussi de « bons » riches et de « mauvais » pauvres. La richesse est bonne tant qu’elle est sans péché ; la pauvreté est un mal, au dire de l’impie. Ce que ces textes dénoncent ce n’est pas seulement l’inégalité entre riches et pauvres mais aussi, au sein du peuple des fils d’Israël, comme aussi au sein des églises chrétiennes, le manque évident du bien commun. Ils révèlent l’existence d’une fracture au sein des fils et frères. Deux sphères qui ne se fréquentent pas et se méprisent. Lions et ânes sauvages ne sont pas sur une terre fertile mais vivent dans un désert d’humanité et se dévorent.

Sous forme d’interrogation, Ben Sira entend les amener sur une autre terre. La mention de la piété et du péché donne ici une dimension théologale à son discours. L’œuvre de réconciliation doit venir ainsi de la foi. Mais quelle paix possible ? La question est répétée deux fois. Il ne s’agit plus uniquement de partage équitable et obligé, ou de charité souvent condescendante, mais de paix. Derrière ce mot, Ben Sira désigne la volonté divine d’un bonheur pour l’ensemble de son peuple :

Et maintenant, bénissez le Dieu de l’univers : partout il fait de grandes choses, il nous fait croître dès le sein maternel, il agit envers nous selon sa miséricorde. Qu’il nous accorde la joie du cœur, que la paix règne en Israël, aujourd’hui et pour toujours. Si 50,22-23.

Isaïe lui-même regardait cette paix avec l’annonce du Messie en usant du même vocabulaire animalier que notre verset :

Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse auront même pâture, leurs petits auront même gîte. Le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra ; sur le trou de la vipère, l’enfant étendra la main. Il n’y aura plus de mal ni de corruption sur toute ma montagne sainte ; car la connaissance du Seigneur remplira le pays comme les eaux recouvrent le fond de la mer. Ce jour-là, la racine de Jessé, père de David, sera dressée comme un étendard pour les peuples, les nations la chercheront, et la gloire sera sa demeure. Is 11,6-10.

ânes au désert

Ben Sira, comme Isaïe, ne cherche pas à éliminer le loup ou l’agneau, le chien ou l’hyène. Mais il les déplace depuis le désert vers le Seigneur. Ce déplacement suggère une conversion de tous à la paix. Le cœur sec du riche méprisant et celui du pauvre humilié sont appelés au bonheur.  Le cœur de l’homme modèle son visage soit en bien, soit en mal. À cœur content, joyeux visage. Ce cœur-là, ce bon cœur, selon Ben Sira, est celui de la foi vécue dans la charité. La foi en ce Dieu qui a fait sortir les fils d’Israël hors de la servitude d’Égypte, et qui nous dit : Tu n’exploiteras pas l’immigré, tu ne l’opprimeras pas, car vous étiez vous-mêmes des immigrés au pays d’Égypte. Vous n’accablerez pas la veuve et l’orphelin Ex 22,20-21. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le Seigneur Lv 19,18. C’est aussi cette même foi en ce Dieu dont le fils, Verbe incarné, s’est manifesté au milieu des riches pécheurs et des pauvres. Une foi qui nous fait redevenir bon à l’image de Dieu.

IL n’y a pas de naïveté chez Ben Sira le Sage, ou si peu. L’ensemble de son livre veut témoigner de cette bonté et de cette sagesse qui émane de la Loi, c’est-à-dire de la Parole d’Alliance du Seigneur. Une paix, entre ânes sauvages et loups, vécue dans la charité est possible si son peuple sort du désert pour se mettre à l’écoute de son Seigneur.

 La crainte du Seigneur réjouira le cœur ; elle procure plaisir, joie et longue vie. La crainte du Seigneur est un don du Seigneur ; car elle fait persévérer sur les voies de l’amour. Si 1,12.


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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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