Courir pour le Ressuscité (2) Jn 20,1-10

Avant d’entreprendre notre récit, j’aimerai faire un point sur ce personnage de Marie de Magdala. Quel que soit l’évangile, nous la retrouvons au tombeau vide.

Le Caravage, Marie de Magdala et le chrsit Ressuscité, XVII°s.

Marie de Magdala

Pauvre Marie de Magdala. Il en a été dit beaucoup à son sujet. La tradition populaire et tardive, après le VI°s., surtout dans l’art pictural ou cinématographique la représente sous les traits d’une prostituée. Or jamais elle n’est décrite ainsi dans les écritures. Alors qui est-elle ou plutôt, qui n’est-elle pas ?

Tous les évangiles concordent pour associer cette Marie à la ville de Magdala. Ce lieu n’est qu’une petite ville de la côte occidentale du Lac de Galilée, entre Tibériade et Capharnaüm. Magdala : c’est tout ce que nous savons de l’identité même de cette femme. La tradition a souvent identifié « Marie Magdeleine » à la pécheresse présente chez le pharisien Simon dans le même évangile. Luc raconte ainsi qu’une femme pécheresse ’aux nombreux péchés’ vient aux pieds de Jésus (Lc 7,39). Mais nous ne pouvons, ni ne devons réduire le péché de cette femme ici anonyme à la seule prostitution ou la luxure  – on pourrait tout aussi bien évoquer l’impiété, l’idolâtrie, le vol, le parjure, le mensonge, etc. Et surtout cette femme pécheresse est à distinguer de Marie de Magdala que Luc présente quelques versets plus loin parmi ces femmes qui avaient été guéries d’esprits mauvais et de maladies: Marie, dite de Magdala, dont étaient sortis sept démons, Jeanne, femme de Chouza, intendant d’Hérode, Suzanne et beaucoup d’autres qui les aidaient de leurs biens. (Lc 8,2-3). « Sept démons » indiquent la gravité d’un mal inconnu et incurable, souvent lié à un mal ou une maladie inexplicable ou à la folie. Mal et maladie souvent associés au Malin, aux démons. Il ne s’agit donc pas d’un péché grave et encore moins de prostitution.

On retrouve ainsi le terme de « démon » à propos de Jean le baptiste que certains accusent : ne mangeant pas de pain et ne buvant pas de vin, et vous dites: Il a un démon. (Lc 7,33). Le démoniaque du pays des Géraséniens qui est possédé d’une légion de démons : Comme il mettait pied à terre, vint à sa rencontre un homme de la ville, possédé de démons. (Lc 8,27). L’enfant malade (épileptique) : Il arrive qu’un esprit s’empare de lui; tout à coup il crie, il le fait se convulser et écumer, et il ne le quitte qu’à grand-peine, en le laissant tout brisé.   A peine l’enfant arrivait-il que le démon le jeta à terre et l’agita de convulsions. Mais Jésus menaça l’esprit impur, il guérit l’enfant et le remit à son père. (Lc 9,39-42) Jésus lui-même est accusé d’être possédé du chef des démons :  Il chassait un démon muet. Or, une fois le démon sorti, le muet se mit à parler et les foules s’émerveillèrent. Mais quelques-uns d’entre eux dirent: « C’est par Béelzéboul, le chef des démons, qu’il chasse les démons.» (Lc 11,14-15).

Matthieu et Marc, avec Luc, indiquent qu’elle fait partie des femmes qui ont suivi Jésus depuis la Galilée pour le servir (Mt 27,55-56 ; Mc 15,40-41). L’ensemble des évangiles témoigne aussi de sa présence lors de la crucifixion et de l’ensevelissement. Revenons à notre récit du matin de Pâques. Bref elle est avant tout une disciple de Jésus.

Le récit de la découverte du tombeau vide

Jn 20,1 Le premier jour de la semaine, Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ; c’était encore les ténèbres. Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau. 2 Elle court donc trouver Simon-Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. »3 Pierre partit donc avec l’autre disciple pour se rendre au tombeau. 4 Ils couraient tous les deux ensemble, mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau.
 5 En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ; cependant il n’entre pas. 6 Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour. Il entre dans le tombeau ; il aperçoit les linges, posés à plat, 7 ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place. 8 C’est alors qu’entra l’autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit, et il crut. 9 Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.10 Ensuite, les disciples retournèrent chez eux.

Comme nous l’entendons la découverte du tombeau vide se fait en deux grandes étapes : la venue de Marie de Magdala suivie de celle des deux disciples dont Pierre. Trois personnages dont les réactions sont diverses et différentes.

Eugène Burnand, Les Disciples Pierre et Jean courant au sépulcre le matin de la Résurrection, 1898

La course effrénée de Marie et des disciples

En fait, la découverte du tombeau vide fait courir tout le monde : Marie de Magdala pour avertir les disciples, et ces deux disciples pour se rendre au tombeau. La course prend même des allures de compétition entre ces derniers. Plusieurs interprétations ont été données à ce passage. Certains expliquent l’arrivée de Pierre après le disciple par la jeunesse supposée de ce dernier identifié par la tradition à Jean fils de Zébédée. Mais d’autres interprétations préfèrent voir l’expression de l’amour de ce disciple pour Jésus. Ce disciple que Jésus aimait, toujours anonyme chez Jean, est le portrait du disciple fidèle jusqu’au bout, jusqu’à se tenir au pied de la croix (Jn 19,25). Son attachement le porte ainsi en premier au tombeau. Simon-Pierre arrive en second, ralenti, selon cette interprétation, par le poids de son reniement. Mais ce disciple bien-aimé laissera Pierre, figure ecclésiale éminente, entrer en premier. A moins que cette « politesse » soit due, comme certains exégètes l’avancent, à l’identité sacerdotale du disciple bien-aimé qui refuserait d’entrer en contact avec l’impureté du tombeau. En tout état de cause, cette course demeure une course effrénée. Mais pourquoi courir ?

Dans la Bible, on court généralement pour annoncer la bonne nouvelle d’une victoire, ou l’arrivée d’un personnage important, ou bien pour aller à la rencontre de quelqu’un attendu et aimé. Mais ici, la nouvelle n’est, apparemment, pas bonne et le personnage important a disparu de son tombeau. Nous sommes ici dans une course qui indique l’affolement et l’incompréhension : « nous ne savons pas où on l’a déposé » déclare Marie de Magdala. La course des deux disciples est du même ordre : ils se précipitent dans cette incompréhension et cette émotion qui ne permet aucune solution. Cette incompréhension teintée d’émotivité était d’ailleurs suggérée par ces ténèbres : Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ; c’était encore les ténèbres. Il est donc nécessaire de « faire la lumière » sur cette affaire. Dans cette émotion chacun semble courir pour soi et n’arrive qu’au vide du tombeau, sans pouvoir entrer dans ce mystère. Il faut donc passer de l’émotion à la raison, rôle attribué à Simon-Pierre.

Pierre l’observateur.

Pierre observe. Dans ce tombeau vide, tout est rangé et paisible, ce qui contraste avec leur affolement. La description de l’intérieur du tombeau contredit l’hypothèse d’un vol du corps, comme également une réanimation. Le linge, le suaire, tout est rangé, plié, roulé comme si un individu avait pris son temps, et avait pris soin de tout ordonner, comme Dieu ordonna la création soigneusement. Mais l’observation raisonnée de Simon-Pierre ne permet nullement d’accéder à la foi en la résurrection. Il faut l’entrée de l’autre disciple.

Le disciple que Jésus aimait.

Celui-ci entra. Il vit et il crut. A quoi doit-il cette foi subite ? L’émotion, ni la raison n’ont pu suffire. La foi ici nécessite deux éléments : l’amour de Jésus et l’Écriture. Car ce disciple est celui que Jésus aimait, celui qui se tenait près de Jésus dans sa passion jusqu’au pied de la croix. Cette croix révèle le vrai visage de Dieu, permet de saisir le vide du tombeau, c’est-à-dire la victoire de l’amour sur la mort, de la lumière sur les ténèbres de la haine. A la lumière de la croix, le tombeau se remplit de sens et de toute l’Écriture. Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts. La Résurrection accomplit le dessein même de Dieu selon les Écritures. Il ne s’agit plus d’un événement isolé et énigmatique, mais d’une Révélation divine. Paradoxalement l’absence du corps dit la présence même de Dieu, comme le montrera justement la suite de ce récit avec la rencontre entre Jésus et Marie de Magdala.


Références et citations

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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio