L’enfermement des disciples (4) Jn 20,19-23

Avec ce quatrième épisode sur l’évangile de Jean et le Ressuscité, nous changeons de lieu. Si nous sommes toujours le premier jour de la semaine, nous voilà transportés le soir de ce même jour, dans un lieu où se tiennent les disciples.

Point de vue sur la résurrection

Günther Bornkamm, un exégète allemand, disait à propos des disciples à la résurrection :

Les premiers chrétiens se considèrent comme des vaincus qui ont perdu tout ce qu’ils avaient cru jusque-là. Selon les récits de Pâques, les hommes que rencontre le Ressuscité ont atteint les limites de leur sagesse. Atterrés et désemparés par sa mort, ils portent le deuil de leur maître et errent près de sa tombe avec leur amour inutile, cherchant par de pauvres moyens à arrêter le processus de la décomposition, comme les femmes au tombeau ; disciples apeurés qui se sont serrés les uns contre les autres, tels des animaux pendant l’orage (Jn 20,19-20). […]

Ce qu’ils vivent dans la crainte et l’angoisse, ce qui éveillera en eux progressivement joie et allégresse, c’est un renversement : en ce jour de Pâques, eux, les disciples, sont marqués par la mort, alors qu’est vivant celui qui a été crucifié et enseveli. Ceux qui lui ont survécu sont les morts, tandis que celui qui est mort vit. La disposition intérieure des disciples ne suffit donc pas à expliquer le miracle de la Résurrection, […] Aussi est-ce le Ressuscité lui-même qui, le premier, révèle le secret de son histoire et de sa personne, tout spécialement le sens de sa souffrance et de sa mort.  
Günther Bornkamm, Qui est Jésus de Nazareth, p.206-213.

Ces disciples apeurés qui se sont serrés les uns contre les autres, tels des animaux pendant l’orage, et qui ont encore tout à découvrir, ce sont ces disciples au soir de la résurrection dans l’évangile selon Jean :

Jn 20, 19 Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » 20 Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. 21 Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » 22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. 23 À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »

Andrei Mironov, Appearances of Jesus Christ, 2010.

Portes closes

Les portes verrouillées disent toute la crainte des disciples face aux autorités et le risque de subir le même sort que leur maître. Mais n’y a -t-il que cela ?  Ces portes évoquent celles du procès tandis que Pierre se tenait près de la porte, dehors. L’autre disciple, celui qui était connu du grand prêtre, sortit donc et dit un mot à la portière et il fit entrer Pierre. (Jn 18,16) La crainte des disciples rappellerait ainsi le reniement de Pierre, c’est-à-dire leurs reniements et leur désertion. Cet enfermement des disciples fait pourtant suite à l’annonce de Marie de Magdala sur la victoire du Christ sur la mort et son élévation auprès du Père. Mais les disciples demeurent pourtant dans la crainte, comme pétrifiés, incapables de se mouvoir, prisonniers d’eux-mêmes craignant tout aussi bien la croix des hommes, que le jugement de Dieu. Mais, si les portes de leur foi sont verrouillées, il y a une issue, une autre porte qui s’offre à eux :

Jn 10,7 Jésus reprit: « En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis.  […. 9 Je suis la porte : si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé, il ira et viendra et trouvera de quoi se nourrir.

Voici que Jésus se tient au milieu d’eux. Non pas à côté, ni en face, mais au sein même de leur crainte. Jésus les rejoint sans bruit, sans éclair, sans manifestation merveilleuse, mais paisiblement.

Den Vantro, manifestation de Jesus à St Thomas, 1870

Paroles de Paix

Les disciples, ces brebis de la parabole (Jn 10), ont une voix, une parole à entendre qui est aujourd’hui celle du crucifié- ressuscité : « la paix soit avec vous ». Ce n’est pas simplement une salutation, c’est aussi un don : cette paix du Seigneur, c’est-à-dire la pleine concorde et communion. Cette parole de paix, est suivi d’un acte : Comme il parlait, il leur montra ses mains et son côté. C’est bien celui qui a donné sa vie pour ses amis (15,13) qui se manifeste à eux. Voilà ce qu’il leur manquait : la paix du Ressuscité, la paix de celui qui les a aimés jusqu’au bout et les aime encore.

Cette paix aimante est même redoublée. L’évangéliste Jean aime décrire cette surabondance d’amour depuis le vin à Cana (Jn 2), aux pains multipliés de Galilée (Jn 6) jusqu’à la myrrhe du tombeau (Jn 19). Ce passage suit le même schéma : une salutation de paix accompagnée d’un geste ‘il souffla’, tel un rite sacramentel. Le Christ fait ici naître ses disciples comme communauté ecclésiale. Il les crée à nouveau comme au temps de la Genèse où Dieu modela l’homme avec la poussière tirée du sol et insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant. Gn 2,7. La communauté des disciples par le don du souffle, de l’Esprit, devient un témoignage vivant de l’amour de Dieu. Si Jésus n’est plus visible aux yeux des hommes, il le devient par la communauté créée à son image et à sa ressemblance (Gn 1,26). C’est ce que vont soulignées les paroles de Jésus : « Recevez l’Esprit Saint; ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus

Iványi, L'incrédulité de Saint Thomas, XXe

Don de l’Esprit

Le don de l’Esprit vient accomplir la prière de Jésus et sa promesse de ne jamais abandonner les siens.

Jn 14,26 le Paraclet, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit. 27 Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur cesse de se troubler et de craindre.

Jn 16,13 lorsque viendra l’Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. Car il ne parlera pas de son propre chef, mais il dira ce qu’il entendra et il vous communiquera tout ce qui doit venir.  14 Il me glorifiera car il recevra de ce qui est à moi, et il vous le communiquera. 15 Tout ce que possède mon Père est à moi; c’est pourquoi j’ai dit qu’il vous communiquera ce qu’il reçoit de moi.

Ce don de l’Esprit Saint signifie cette fidélité et cette présence de Dieu, de son Christ à ses disciples. L’Esprit Saint devient le garant de cette communion et de cette alliance entre Dieu et les hommes que son Fils vient de sceller sur la croix. L’Esprit Saint, dans l’évangile de Jean, est le souffle même du Christ qui donne accès à cette vérité qu’est son propre mystère : l’incarnation du Verbe fait chair (Jn 1) et sa glorification jusque sur la Croix (Jn 20). Mais ce don de l’Esprit dit encore que Jésus donne et se donne, qu’il se démet de tout pouvoir pour la Gloire du Père et le salut du monde : ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus.

Ce pouvoir de remettre les péchés n’appartenait qu’à Dieu et à son Messie. Mais une fois encore, Dieu ayant livré sa vie, confie maintenant son autorité de jugement à ses disciples. Le pardon des péchés est remis dans les mains de la communauté. Mais cette communauté – ne l’oublions pas – doit inscrire sa vie dans le mystère de l’incarnation et de la croix. Ce « pouvoir » de miséricorde, n’est pas un pouvoir de domination, mais un pouvoir de « don » manifesté par l’amour mutuel.  Ce don nécessite ainsi un abandon : ce dont Thomas fera l’expérience dans notre prochain épisode.


Références et citations

François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio