Et moi, je ne le connaissais pas (Jn 1,29-34)

Parallèles : Mt 3,13-17 | Mc 1,9-11 | Lc 3,21-22

2ème dim. ord. (A)

L’évangile selon Jean possède une manière très particulière de rapporter la baptême de Jésus au Jourdain. L’évangéliste ne raconte pas cette scène, il la fait raconter par la voix du baptiste. Nous ne sommes plus témoins, mais auditeurs d’un témoin et d’un témoin de foi.

Le récit (1,29-34)

Jn 1 , 29 En ce temps-là, voyant Jésus venir vers lui, Jean le Baptiste déclara : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde ; 30 c’est de lui que j’ai dit :L’homme qui vient derrière moi est passé devant moi, car avant moi il était.
31 Et moi, je ne le connaissais pas ; mais, si je suis venu baptiser dans l’eau, c’est pour qu’il soit manifesté à Israël. » 32 Alors Jean rendit ce témoignage :  « J’ai vu l’Esprit  descendre du ciel comme une colombe et il demeura sur lui.
33 Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : ‘Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer,  celui-là baptise dans l’Esprit Saint.’ 34 Moi, j’ai vu, et je rends témoignage : c’est lui le Fils de Dieu. »

Predro Subercaseaux, le baptême du Seigneur, 1940

Un discours construit

Le texte laisse apparaître des répétitions. Celles-ci permettent de distinguer trois parties. La première (v.29-30) exprime une première profession de foi lorsque Jésus vient vers Jean. Ce dernier le désigne comme l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. Puis s’ensuit deux parties (v. 31-32; 33-34) du discours construites sur un même schéma. Jean affirme ainsi, par deux fois, ‘Et moi je ne le connais pas’ avant de mentionner le baptême dans l’eau et la vision de l’Esprit descendre pour demeurer sur Jésus. Dans ces deux parties il est aussi question explicitement du témoignage de Jean. L’évangéliste nous invite ainsi à découvrir progressivement, comme à son habitude, le contenu et la qualité de ce témoignage.

baptême

L’Agneau de Dieu

Voici l’Agneau de Dieu’. L’expression est unique et ne se trouve nulle part ailleurs dans la Bible. L’évangéliste reprendra cette dénomination quelques versets plus loin lors de l’appel des premiers des disciples : Posant son regard sur Jésus qui allait et venait, il dit : « Voici l’Agneau de Dieu. »  Les deux disciples entendirent ce qu’il disait, et ils suivirent Jésus. Jn 1,36-37. La mention de l’Agneau de Dieu encadre donc ce témoignage de Jean. Ou pour le dire autrement ce témoignage de Jean permet d’en mieux saisir le sens, et de passer du « voir » Jésus à « suivre » le Fils de Dieu.

L’expression ressemble bien à oxymore : un agneau, petit, faible… vient enlever les péchés du monde. Le contraste est extrême entre l’unique (un agneau) et la multiplicité (les péchés), entre un petit être naissant (agneau) et le ‘vieux’ monde; entre la sainteté de Dieu et les péchés du monde. Et pourtant malgré ces oppositions, une réconciliation et une restauration est attendue. Enlever les péchés du monde revient à redonner au monde son identité première d’espace créé par Dieu pour le bien de tous.

En désignant Jésus comme l’agneau de Dieu, Jean reconnaît l’identité et la mission divines de Jésus qui vient réconcilier le monde à Dieu, lui permettre de découvrir le Père. Car cet homme n’est pas un simple messie, il est celui qui était avant le baptiste. L’évangéliste fait écho ici au prologue de son évangile affirmant la préexistence divine du Christ, le Verbe, qui était au commencement auprès de Dieu et qui a planté sa tente parmi nous (1,2.14).

Et contemplant Jésus venir à lui, Jean nous oriente déjà vers la croix salvatrice, le lieu où le Fils révèle l’amour du Père. Cet « Agneau de Dieu » nous renvoie à la préparation de la Pâque (Jn 19,14), où l’on sacrifiait les agneaux, jour de Passion de Jésus. Avec ces quelques mots, Jean vient témoigner de l’identité divine de Jésus et de sa mission qui s’accomplira jusque sur la croix.

Jésus, Jean le baptiste, Marie et Elisabeth, Johan Friedrich Overbeck, 1825

Je ne le connaissais pas !

Une autre opposition apparaît dans les paroles du baptiste. Celui qui vient de désigner Jésus comme l’Agneau de Dieu, dans une quasi-profession de foi, déclare aussitôt : je ne le connaissais pas. Le baptiste insiste doublement sur un son ignorance. Nous sommes sans doute un peu troublés par cet aveu, en raison de l’évangile de Luc qui fait du baptiste un cousin de Jésus (Lc 1,36) et surtout à cause des représentations picturales montrant côte à côte, les enfants Jésus et Jean avec leurs mères Marie et Élisabeth. Mais ici nous sommes chez l’évangéliste Jean qui ignore cette tradition.

Le baptiste ne connaît pas Jésus avant qu’il vienne à sa rencontre. Bien plus, son ignorance se prolonge même jusque dans la théophanie du Jourdain. Ayant vu l’Esprit descendre du Ciel et demeurer sur lui, le baptiste affirme encore « Et moi je ne le connaissais pas. ». Il faut la voix du Père pour que Jean puisse véritablement rendre témoignage. La Parole de Dieu apparaît comme incontournable pour connaître Jésus, Agneau de Dieu, offrant un baptême dans l’Esprit Saint.  

Carl Bloch, Jésus et la Samaritaine, 1890

Le connaissons-nous ?

Les verbes connaître et savoir sont très présents dans l’évangile selon Jean. Ils marquent souvent une opposition entre le savoir des hommes et la connaissance du Christ. Ce dernier connaît le cœur des hommes. De leur côté, les hommes savent qui est Jésus, d’où il vient, qui sont ses parents, les signes qu’il fait. On sait aussi ce qu’est un Messie, ce qu’il fera quand il viendra… Mais ce savoir mondain, livré à lui seul, ne mène pas à une profession de foi qui reconnaît en Jésus le Fils, l’envoyé du Père qui donne sa vie par amour et révèle le visage de Dieu.

Jésus leur déclara : « Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous connaîtrez que moi, JE SUIS, et que je ne fais rien de moi-même ; ce que je dis là, je le dis comme le Père me l’a enseigné. Celui qui m’a envoyé est avec moi ; il ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui est agréable. » Sur ces paroles de Jésus, beaucoup crurent en lui. Jn 8,28-30.

Dans l’évangile de Jean, la profession de foi naît d’une rencontre qui nous ouvre à la vie. Ce sera le cas pour la Samaritaine (Jn 4) ou l’aveugle-né (Jn 9), ou bien encore pour Pierre déclarant : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle.  Quant à nous, nous croyons, et nous connaissons que tu es le Saint de Dieu. » (Jn 6,68-39)

Le Caravage, l'incrédulité de thomas, 1601

J’ai vu et je rends témoignage

Certes, nous n’avons pas vu Jésus dans sa chair. Nous n’avons pas même côtoyé ses premiers témoins. Sommes-nous pour autant incapables de le « connaître » ?  En conclusion de l’évangile johannique, Jésus affirmera : Heureux ceux qui croient sans avoir vuJn 20,29. Nous recevons aujourd’hui le témoignage du baptiste, comme nous entendrons celui de ce disciple que Jésus aimait et qui se tenait au pied de la Croix : Celui qui a vu rend témoignage, et son témoignage est véridique ; et celui-là sait qu’il dit vrai afin que vous aussi, vous croyiez. Jn 19,35 Témoignages qui nous sont parvenus grâce à la communauté de ce disciple bien-aimé (Jn 21,24-25). Si chacun de ces acteurs témoigne, ce n’est pas à propos d’un ‘savoir’ qui pourrait demeurer stérile, mais en raison de l’action du Christ en leur faveur et celui de son peuple.

Cette triple médiation – ou ce triple témoignage du baptiste, du disciple bien-aimé et de sa communauté – n’est pas seulement une transmission chronologique, historique. Elle nous offre trois lieux incontournables et indissociables (mais non exhaustifs) où Dieu, en son Fils, se donne à rencontrer : la Parole de Dieu, la Croix et le témoignage des baptisés.

Ainsi, dans une foi en continuelle conversion, nous sommes invités à passer de l’ignorance au témoignage, de la méconnaissance à la reconnaissance de son œuvre. A passer d’un « Et moi je ne le connaissais pas » à « j’ai vu et je rends témoignage ».

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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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