Le sermon sur la montagne (Mt 5-7) – présentation

L’article précédent vous a présenté le cadre historique de la composition de l’évangile selon Matthieu. Né dans une communauté judéo-chrétienne, l’évangile reflète les débats qui ont pu exister entre les judéo-chrétiens et les autres juifs de la synagogue. Ainsi Matthieu prend soin de décrire Jésus tel l’enseignant, le maître qui donne l’interprétation de la Torah en termes d’accomplissement.

Parabole du pharisien et du publicain

L’attachement de Jésus à la Loi de Moïse

Cette interprétation suscite dans l’évangile de Matthieu bien des controverses avec les pharisiens des synagogues et qualifiés d’hypocrites comme nous l’entendrons (Mt 6,5 ;16,1223,15-29.)  Chez Matthieu, Jésus condamne leur attitude qui s’opposerait même à la Loi de Moïse.

Mt 23, 23 Malheureux êtes-vous, scribes et Pharisiens hypocrites, vous qui versez la dîme de la menthe, du fenouil et du cumin, alors que vous négligez ce qu’il y a de plus grave dans la Loi: la justice, la miséricorde et la fidélité; c’est ceci qu’il fallait faire, sans négliger cela.

Par comparaison Luc reprend la même source mais sans évoquer la Loi ni l’hypocrisie des pharisiens

Lc 11,42 « Mais malheureux êtes-vous, Pharisiens, vous qui versez la dîme de la menthe, de la rue et de tout ce qui pousse dans le jardin, et qui laissez de côté la justice et l’amour de Dieu. C’est ceci qu’il fallait faire, sans négliger cela.

Chez Matthieu Jésus est celui qui est attaché jusqu’au plus petit signe de ponctuation des commandements :

Mt 5, 18 pas un i, pas un point sur le i ne passera de la loi, que tout ne soit arrivé. 19 Dès lors celui qui transgressera un seul de ces plus petits commandements et enseignera aux hommes à faire de même sera déclaré le plus petit dans le Royaume des cieux; au contraire, celui qui les mettra en pratique et les enseignera, celui-là sera déclaré grand dans le Royaume des cieux.

Ces pharisiens de l’évangile de Matthieu renvoient plus aux adversaires de la communauté de Matthieu qu’aux juifs pieux du temps de Jésus. Pour Matthieu, la venue de Jésus ne vient pas renier l’héritage de la Loi de Moïse, bien au contraire, il vient lui redonner tout son sens.

L’exemple du shabbat

Ainsi, par exemple, chez Matthieu, Jésus demeure plus attaché au sabbat (ou shabbat) que chez Marc ou Luc.

Mt 12, 4 comment il est entré dans la maison de Dieu et comment ils ont mangé les pains de l’offrande, que ni lui, ni ses compagnons n’avaient le droit de manger, mais seulement les prêtres ? 5 Ou n’avez-vous pas lu dans la Loi que, le jour du sabbat, dans le temple, les prêtres profanent le sabbat sans être en faute ?  6 Or, je vous le déclare, il y a ici plus grand que le temple. 7 Si vous aviez compris ce que signifie: C’est la miséricorde que je veux, non le sacrifice, vous n’auriez pas condamné ces hommes qui ne sont pas en faute. 8 Car il est maître du sabbat, le Fils de l’homme. »

Mc 2,26 comment, au temps du grand prêtre Abiatar, il est entré dans la maison de Dieu, a mangé les pains de l’offrande que personne n’a le droit de manger, sauf les prêtres, et en a donné aussi à ceux qui étaient avec lui ? » 27 Et il leur disait: « Le sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat, 28 de sorte que le Fils de l’homme est maître même du sabbat. »

Matthieu fait de Jésus le défenseur et le véritable interprète de la Loi. C’est ce que nous allons aborder notamment à partir du discours sur la montagne.

sermon

Prenant la parole, il les enseignait (5,1-2)

5,1 A la vue des foules, Jésus monta dans la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui.  2 Et, prenant la parole, il les enseignait.

Le premier enseignement de Jésus

Ce premier discours de Jésus dans l’évangile de Matthieu est aussi le plus développé : il court sur trois chapitres (Mt 5-7). Il est connu pour être intitulé traditionnellement : le « sermon sur la montagne ». Il a bien lieu sur une montagne et le contenu, constitué d’admonestations et d’exhortations. Mais s’agit-il d’un sermon ?

Mis à part le récit des tentations et de l’appel des premiers disciples (Mt 4), la narration n’a donné que peu à voir et à entendre du ministère de Jésus, moins encore de son enseignement. Et ses paroles précédentes sont même assez générales et parfois énigmatiques.

  • 3,13-17 Le baptême de Jésus au Jourdain Laisse faire maintenant : c’est ainsi qu’il convient d’accomplir toute justice. 3,15
  • 4,1-11 Les tentations au désert : il est écrit : ce n’est pas seulement de pain que l’homme vivra mais de toute parole sortant de la bouche du Seigneur  (Dt 8,3) ,4,4
  • 4,1-11 Les tentations au désert : il est aussi écrit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu (Dt 6,16) 4,7
  • 4,1-11 Les tentations au désert : Retire-toi Satan ! Car il est écrit : le Seigneur ton Dieu tu adoreras et c’est à lui seul que tu rendras un culte (Dt 6,13) 4,10
  • 4,12-17 Proclamation en Galilée : Convertissez-vous : le Règne des cieux s’est approché 
  • 4,18-22 Appel des quatre premiers disciples : Venez à ma suite et je vous ferai pêcheurs d’hommes 4,19
  • 4,23-25 Enseignements dans les synagogues, proclamation de l’évangile du Règne, guérisons, exorcismes et renommée.

Dès lors, le discours sur la montagne offrirait un contenu plus précis de sa prédication. Ce cadre nous permet de comprendre que le discours sur la montagne ne peut se résumer à un sermon fait d’admonestations morales : il concerne l’avènement règne de Dieu et de son messie.

Christ guérissant un homme à la main sèche, mosaïque Byzantine, Cathedrale de Monreal

Une parole d’autorité

Matthieu dès son protévangile (Mt 1-2) a identifié Jésus progressivement au Christ (1,1) au fils de David (1,1), à l’Emmanuel attendu (1,23), au roi des juifs nouveau-né (2,2). De même, le baptême au Jourdain l’a désigné comme le Fils bien-aimé (3,17) par la parole même de Dieu. Ce « Fils de Dieu » (4,3) est justement désigné comme tel dans les tentations. Les quatre premiers chapitres concentrent ainsi tous les titres royaux et messianiques, sauf celui de ‘fils de l’homme’ qui n’apparaîtra qu’en 8,20.

Cependant le mystère demeure quant à l’annonce de l’avènement du règne. Contrairement à Marc, Matthieu ne se contentent pas d’une annonce en actes par les guérisons et exorcismes. La rencontre entre Jésus et Jean au baptême avait mis en lumière l’avènement et l’accomplissement d’une justice que Jésus, Juge eschatologique, viendrait instaurer. De même, la victoire de Jésus sur Satan lors des Tentations (Mt 4,1-11) annonçait déjà sa victoire sur le mal et la mort. Mais surtout, elle montrait combien le Christ Jésus porte en lui l’autorité d’une parole messianique et divine fondée sur la Loi qui déjà met le Mal en échec.

Le triple sens du discours sur la montagne

Avec l’appel précédent des disciples (Mt 4,1-23), Jésus est désigné comme celui qu’il faut désormais suivre. A ce point de l’évangile, cette figure de Christ n’est encore qu’une esquisse. Le discours de Jésus sur la montagne est l’occasion pour l’évangéliste d’inaugurer véritablement le ministère de Jésus.

Nous sommes en présence d’un enseignement de Jésus sur le Royaume des cieux, la justice et la Loi.  Ce premier discours constitue un élément à la fois introductif, herméneutique et programmatique.

  • Introductif car il ouvre le ministère de Jésus et ses disciples. Avec le dernier discours de Jésus, il encadre toute sa prédication en paroles et en actes. Le dernier discours de Jésus (Mt 24,1-25,46) aura lieu lui aussi sur une montagne, et s’adressera de la même manière à ses disciples : Mt 24,3 Comme il était assis, au mont des Oliviers, les disciples s’approchèrent de lui…
  • Herméneutique car il donne un contenu à la prédication du Royaume et une interprétation explicite de la Loi de Moïse. Les paroles de Jésus vont ainsi permettre de comprendre l’ensemble du ministère de Jésus.
  • Programmatique car ce que Jésus fait entendre comme enseignement sur la Justice, l’amour des ennemis, et la fidélité au Père des cieux… sera pleinement assumé lors de la Passion. Ce discours devient un appel à vivre en véritable disciple de Jésus.

Pour mieux comprendre cela, il convient d’abord resituer le cadre narratif.

Moïse, Rembrandt, 1660

Sur la montagne

Jésus est en présence des foules et ses disciples, et c’est à ces derniers qu’il s’adresse et parle sur la montagne. Celle-ci n’est pas sans évoquer les grandes théophanies des Écritures où le Seigneur Dieu se manifeste aux patriarches, à ses prophètes et à son peuple :

  • le mont Morryah : montagne de la ligature d’Isaac Gn 22,1s
  • le mont Horeb pour le buisson ardent Ex 3,1s
  • le mont Horeb aussi pour le prophète Élie 1R 19,1s
  • etc.

Mais il est une autre (ou même) montagne et un autre évènement, qui nous intéressent ici plus particulièrement. Il s’agit de la montagne du Sinaï (autre nom de l’Horeb) en Ex 19,3-Ex 24 où le Seigneur se manifesta à Moïse pour lui donner la Loi, les dix commandements et les autres prescriptions.

Ex 24, 12 Le Seigneur dit à Moïse : « Monte vers moi sur la montagne et reste là, pour que je te donne les tables de pierre: la Loi et le commandement que j’ai écrits pour les enseigner. »

De fait le cadre géographique donne déjà une autorité particulière à Jésus qui livre ici son enseignement comme le Seigneur le fit avec la Loi envers son peuple.

Ivan Makarov, Le sermon sur la montagne, 1889

Un long discours structuré

La référence à la montagne encadre l’ensemble du discours (Mt 5,1 / 8,1 Quand Jésus fut descendu de la montagne). Celui-ci est disposé en trois grandes parties.

  • Introduction – sur la montagne Jésus enseigne les disciples 5,1-2
  • Partie I – Les Béatitudes : la justice et le Royaume 5,3-16
  • Partie II – Le corps du discours : La Loi et la Justice 5,17-7,12
  • Partie III – Exhortations finales : entrer dans le Royaume 7,13-27
  • Conclusion – L’autorité de son enseignement 7,24-29

La première partie est constituée de paroles de Jésus connues sous le nom de Béatitudes. Il y est question majoritairement du Royaume des cieux. Cette section sert d’exorde, d’introduction, au discours. De la même manière, la conclusion reviendra sur les conditions d’entrée dans le Royaume des cieux. Ces deux parties se répondent l’une à l’autre.

Au centre, un long discours de Jésus est exposé de manière très organisée. Les répétitions des expressions comme Vous avez appris … moi je vous dis ou  Quand tuton Père dans le secret… permettent de distinguer trois parties concentriques (B C B’) encadrées par la mention de la Loi et des Prophètes (A et A’). Cette disposition largement partagée par les commentateurs révèle la place centrale de la prière du Notre Père.

  • A – L’accomplissement de la Loi et des prophètes 5,17-20
  • B – LA JUSTICE SURABONDANTE 5,21-48 « Vous avez appris … moi je dis »
  • C – LA JUSTICE ET LE PÈRE 6,1-18 (Notre Père 6,9-13)
  • B’ – LA JUSTICE RECHERCHÉE SANS INQUIÉTUDE MONDAINE 6,19-7,11
  • A’ – La Loi et les prophètes 7,12

Mais avant de commenter cette section, il nous faut revenir sur l’introduction à ce discours avec les béatitudes. Ce sera notre prochain article.

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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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