La parabole des vignerons homicides (Mt 21,33-46)

Parallèles : Mc 12,1-12 | Lc 20,9-19

27ème dim. ord. (A) Mt 21,33-43

Au lendemain de son arrivée tonitruante à Jérusalem et au Temple, Jésus entre en débat avec les grands prêtres et les anciens du peuple. La question principale demeure l’autorité supposée de cet intrus Galiléen qui remet en cause la gestion du Temple et ses sacrifices.

L’action de Jésus, comme l’a soulignée la parabole précédente, vise la caste aristocratique des grands prêtres, appelée aussi sadducéens, incapable de toute conversion au Règne. Avec une autre parabole, et dans une autre vigne, Jésus va maintenant dénoncer non leur réticence à l’égard du Messie du Royaume, mais leur vive et funeste opposition.

Une vigne en fermage (21,33-34)

21 ,33 « Écoutez une autre parabole : Un homme était propriétaire d’un domaine ; il planta une vigne, l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et bâtit une tour de garde. Puis il loua cette vigne à des vignerons, et partit en voyage. 34 Quand arriva le temps des fruits, il envoya ses serviteurs auprès des vignerons pour se faire remettre le produit de sa vigne.

La vigne et le pressoir

Si la parabole a toujours pour cadre une vigne, le père et ses enfants laissent place maintenant au propriétaire et ses vignerons à qui la vigne est confiée en fermage. Le vocabulaire utilisé n’est pas sans évoquer le chant de la vigne du prophète Isaïe où il est aussi question de tour et de pressoir.

Is 5,1 Que je chante pour mon ami, le chant du bien-aimé et de sa vigne: Mon bien-aimé avait une vigne sur un coteau plantureux.  2 Il y retourna la terre, enleva les pierres, et installa un plant de choix. Au milieu, il bâtit une touret il creusa aussi un pressoir. Il en attendait de beaux raisins, il n’en eut que de mauvais.  3 Et maintenant, habitants de Jérusalem et gens de Juda, soyez donc juges entre moi et ma vigne. […]  7 La vigne du Seigneur de l’univers, c’est la maison d’Israël, et les gens de Juda sont le plant qu’il chérissait. Il en attendait le droit, et c’est l’injustice. Il en attendait la justice, et il ne trouve que les cris des malheureux.

La parabole de Jésus commence donc de la même manière et évoque ainsi Israël que le Seigneur a planté. Le retour du propriétaire s’inscrit donc dans le jugement divin attendu. Mais cependant, à l’inverse de la vigne isaïenne, ce ne sont pas les fruits – c’est-à-dire l’ensemble des fils d’Israël – qui vont être remis en cause, mais les vignerons, c’est-à-dire ceux qui en ont la charge.

Les mauvais vignerons (21,35-41)

21, 35 Mais les vignerons se saisirent des serviteurs, frappèrent l’un, tuèrent l’autre, lapidèrent le troisième. 36 De nouveau, le propriétaire envoya d’autres serviteurs plus nombreux que les premiers ; mais on les traita de la même façon. 37 Finalement, il leur envoya son fils, en se disant : “Ils respecteront mon fils.” 38 Mais, voyant le fils, les vignerons se dirent entre eux : “Voici l’héritier : venez ! tuons-le, nous aurons son héritage !” 39 Ils se saisirent de lui, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent. 40 Eh bien ! quand le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons ? » 41 On lui répond : « Ces misérables, il les fera périr misérablement. Il louera la vigne à d’autres vignerons, qui lui en remettront le produit en temps voulu. »

Serviteurs persécutés, Fils assassiné

La parabole de Jésus prend une tournure inattendue. Une suite logique, dans la lignée d’Isaïe, aurait raconté l’insatisfaction ou la satisfaction du propriétaire à l’égard de la quantité et de la qualité des grappes. Mais ici ce sont les vignerons, ceux à qui la vigne fut confiée, qui deviennent le sujet de la parabole. Celle-ci ne dénonce pas leurs compétences de vignerons, mais leur autorité sur la vigne. Ils se comportent comme des propriétaires et rejettent violemment tous ses serviteurs. Bien plus, la volonté de tuer le fils pour s’accaparer l’héritage paraît totalement absurde.

Ces serviteurs la vigne du Seigneur évoquent, de manière allégorique, les prophètes d’autrefois qui furent insultés, persécutés, rejetés comme le rappelait aussi le sermon sur la montagne : Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. … C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés (Mt 5,11-12). Dans la Bible, nombre de ces prophètes subissent l’opposition violente des leurs : Jérémie jeté dans une citerne (Jr 37,4-6), Amos dénoncé au roi par d’autres prophètes (Am 7,10). La tradition juive raconte également le martyre d’Isaïe1. Le contexte immédiat (21,28-32) oriente également vers la personne de Jean le baptiste.

En dernier lieu la figure même du fils peut être d’emblée associée au Messie (Ps 2,7) dans lequel lecteur chrétien reconnaîtra Jésus condamné et crucifié. La parabole souligne donc l’opposition tenace envers les envoyés du Seigneur et annonce le crime envers le fils.

La persévérance de Dieu

La parabole permet de distinguer le rôle des serviteurs – messagers, porte-parole, prophètes du divin propriétaire – du Fils qui est représente l’autorité même du Père. Mais au lieu d’un ‘repentir’ comme l’on pourrait s’y attendre, l’attitude des vignerons devient criminelle. L’envoi du Fils vient donc se situer, mais différemment, à la suite des serviteurs. La parabole souligne cette persévérance de Dieu envers sa vigne malgré la dureté des vignerons. Y compris le fils qui est envoyé non pour sévir mais toujours pour récolter.

Si l’auditoire sait reconnaître qui se cachent derrière les serviteurs prophétiques et le fils messianique, l’identité des vignerons est plus floue. A la question de Jésus, la réaction du public est celle de gens qui ne se sentent pas concernés par la parabole : « quand le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons ?  … – Ces misérables, il les fera périr misérablement. Il louera la vigne à d’autres vignerons, qui lui en remettront le produit en temps voulu. »

Effectivement à ce stade du récit, les vignerons -qui ont la gestion de la vigne – peuvent représenter le gouvernement politique : celui des hérodiens, ou du pouvoir romain. Le jugement de Dieu reviendrait donc à une restauration d’un gouvernement véritablement judéen, c’est-à-dire d’autres vignerons qui remettront le produit de la vigne au Seigneur : un peuple fidèle à la Loi et au Temple. Une telle interprétation mettrait d’accord pharisiens et sadducéens. Mais ce n’est pas cette vision politique que choisit Jésus dans ce passage de l’évangile. Les versets suivants viseront explicitement la culpabilité des chefs religieux de Jérusalem.

	Speculum Humanae Salvationis v1360

La pierre d’angle (21,42-44)

21, 42 Jésus leur dit : « N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux ! 43 Aussi, je vous le dis : Le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire ses fruits. 44 Et tout homme qui tombera sur cette pierre s’y brisera ; celui sur qui elle tombera, elle le réduira en poussière ! »

Et un temple sans Dieu

Jésus poursuit la réponse des grands prêtres lesquels attendaient du propriétaire un jugement pour supprimer les mauvais gestionnaires de sa vigne. Un changement aura bien lieu mais il concerne en premier les chefs religieux de Jérusalem. L’image des bâtisseurs ignorants et des pierres évoquent le Temple dans lequel se situe ce débat. Mauvais vignerons, les grands prêtres sont aussi de mauvais bâtisseurs incapables de reconnaître la valeur d’une pierre qui n’a pas la forme voulue, mais qui pourtant est essentiel au bâtiment. Jésus reprend ici un verset du psaume 117/118, un chant acclamant la victoire de Dieu pour le peuple humilié :

Ouvrez-moi les portes de justice : j’entrerai, je rendrai grâce au Seigneur. « C’est ici la porte du Seigneur : qu’ils entrent, les justes ! » Je te rends grâce car tu m’as exaucé : tu es pour moi le salut. La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux. Voici le jour que fit le Seigneur, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie ! Donne, Seigneur, donne le salut ! Donne, Seigneur, donne la victoire ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient !  (Ps 117/118,17-24)

La victoire du Seigneur n’est pas dans un jugement vengeur envers les mauvais vignerons – comme l’espérait les grands prêtres – elle est ici dans la fidélité de Dieu à son Fils, pierre rejetée et pierre angulaire, une victoire qui annonce déjà celle de la résurrection. La pierre d’angle est aussi pierre d’achoppement : le Christ et Fils de Dieu, rejeté hier, est ainsi institué comme juge eschatologique.

L’avènement de Royaume vient condamner l’orgueil de la caste sacerdotale. Pour autant, les grands prêtres ne sont pas – dans l’image utilisée par Jésus – supprimés, ni écartés du Temple, mais dépossédés de leur mission. La parole de Jésus est encore plus cinglante à leurs égards : le Royaume de Dieu se déplace loin de ce Temple sadducéen. Finalement les grands prêtres restent dans un Temple sans Dieu qui a préféré une autre nation. Ce terme désigne généralement un territoire païen. L’avènement du Royaume ne substitue pas une caste sacerdotale à une autre. Il se déploie, hors des murs d’un sanctuaire, au sein d’un peuple dont les limites ne sont plus circonscrites à l’appartenance aux fils d’Israël.

James tissot, le fils de la vigne, 1894

Grands prêtres et pharisiens (21,45-46)

21, 45 En entendant les paraboles de Jésus, les grands prêtres et les pharisiens avaient bien compris qu’il parlait d’eux. 46 Tout en cherchant à l’arrêter, ils eurent peur des foules, parce qu’elles le tenaient pour un prophète.

Une opposition grandissante

Ce ne sont plus seulement les grands prêtres qui sont concernés mais les deux partis religieux majoritaires : pharisiens et sadducéens. L’opposition envers Jésus grandit. Leur désir de l’arrêter, de se saisir de lui pour un jugement, donne raison à la parabole. Ils n’ont pas reconnu en lui le Fils… de même que la foule qui ne voit là qu’un prophète. Mais cette remarque de Matthieu va plus loin qu’un simple constat. Il reprend avec les mêmes termes, le projet meurtrier d’Hérode à propos du baptiste : Hérode cherchait à le faire mourir, mais il eut peur de la foule qui le tenait pour un prophète. (14,5) Et malgré la foule, Jean fut décapité.

  1. Évocations qu’on peut lire dans la lettre aux Hébreux (He 11,37) et dans la tradition juive du martyre d’Isaïe reprise par l’apocryphe chrétien de l’Ascension d’Isaïe. ↩︎
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