Parallèle : aucun
La parabole ci-dessous s’insère dans un contexte de controverses entre Jésus et les grands-prêtres. Une fois encore, comme pour la parabole précédente (Mt 20,1-16), le décor sera celui d’un vignoble. Et ce n’est pas un hasard.
La parabole (21,28-31a)
21, 28 Quel est votre avis ? Un homme avait deux fils. Il vint trouver le premier et lui dit : “Mon enfant, va travailler aujourd’hui à la vigne.” 29 Celui-ci répondit : “Je ne veux pas.” Mais ensuite, s’étant repenti, il y alla. 30 Puis le père alla trouver le second et lui parla de la même manière. Celui-ci répondit : “Oui, Seigneur !” et il n’y alla pas. 31a Lequel des deux a fait la volonté du père ? » Ils lui répondent : « Le premier. »
La vigne
C’est sans doute dans l’évangile de Matthieu que nous trouvons le plus de vignes. La parabole des ouvriers de la onzième heure (20,1-16), cette parabole des fils envoyés à la vigne (21,28-31), et bientôt, la parabole des vignerons homicides (21,33-43). A cela, il nous faudrait ajouter, l’évocation d’un passage de l’écriture à propos de l’ânon qui servit pour l’entrée de Jésus à Jérusalem.
Effectivement, l’ânesse et l’ânon attachés et la liesse de l’accueil pouvait orienter le lecteur vers la prophétie de Jacob (Gn 49,10-11) envers son fils Juda (ancêtre de la Judée) : Le sceptre ne s’écartera pas de Juda, ni le bâton de commandement d’entre ses pieds jusqu’à ce que vienne celui auquel il appartient et à qui les peuples doivent obéissance. Lui qui attache son âne à la vigne et au cep le petit de son ânesse, il a foulé son vêtement dans le vin et sa tunique dans le sang des grappes.
Toujours dans le même ordre d’idée, Matthieu reprendra également lors de la Cène, la parole de Jésus déclarant : je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai, nouveau, avec vous dans le Royaume de mon Père. (Mt 26,29)
Vigne et royaume sont particulièrement liés dans l’évangile selon Matthieu. Reprenant la tradition biblique, la vigne, ses vendanges et ses fruits, comme le vin, deviennent pour l’évangéliste, le signe et symbole de l’avènement du Règne et Royaume de Dieu, c’est à dire l’espace où Dieu agit et s’implique. Je vous renvoie encore à l’épisode du podcast concernant la vigne dans la Bible.
Un homme avait deux fils
Comme pour les ouvriers de la onzième heure, la parabole met en scène un homme appelant au travail de sa vigne. Mais au lieu d’un maître et ses ouvriers, nous voici en présence d’un père et ses deux fils. Les deux sont opposés dans leur réaction au père. Le premier refuse la demande paternelle avant de se repentir, le second accepte des lèvres mais n’accomplit pas le travail.
Mais, dans une lecture allégorique qui représente qui ? Est-ce une métaphore sur la conversion des Nations en faveur de l’Évangile contre le refus des fils d’Israël ? Pas si sûr, si l’on tient compte du milieu juif de Matthieu. Les deux fils pourraient dès lors représenter les judéo-chrétiens contre le refus de leurs frères juifs à l’annonce de l’avènement du Règne. Mais l’interprétation de Jésus va nous orienter dans une autre direction.
Jean, les publicains et les prostituées (21,31b-32)
Mt 21 31b Jésus leur dit : « Amen, je vous le déclare : les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu. 32 Car Jean le Baptiste est venu à vous sur le chemin de la justice, et vous n’avez pas cru à sa parole ; mais les publicains et les prostituées y ont cru. Tandis que vous, après avoir vu cela, vous ne vous êtes même pas repentis plus tard pour croire à sa parole.
Croire à sa parole
Au trio du père et ses deux fils, se superpose la figure de Jean le baptiste, des grands prêtres et des publicains et prostituées. L’image est audacieuse. Jésus situe d’emblée le baptiste du côté de Dieu que symbolise le père. La parole de Jean annonçait en effet l’avènement du Règne : Repentez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche (Mt 3,2). Cette correspondance entre l’annonce du Royaume et le baptiste, permet d’accuser davantage la surdité des responsables religieux du Temple. Car la parabole n’oppose pas ces derniers aux disciples de Jésus, mais aux publicains et aux prostituées (qui ont pu aussi devenir disciples de Jésus, mais là n’est pas la question).
L’écart ne peut être plus grand entre ces catégories sociales et religieuses. Les publicains et les prostituées n’appartiennent pas au rang des gens reconnus publiquement « pieux ». Au contraire, par leurs vies dissolues et leur intime proximité avec le monde païen, ils sont considérés comme des personnes impures, et peu fréquentables. Et pourtant, quoiqu’à l’écart, des publicains et des prostituées, à l’écoute du baptiste – et de l’Évangile – ont mis leur foi dans cet avènement du Royaume. A l’inverse, les grands prêtres quoi qu’étant au plus proche du Saint des Saints, fidèles à la Loi, n’ont su accueillir cette annonce, et ne font preuve d’aucun repentir.
Matthieu – et Jésus – fait appel à Jean le baptiste pour souligner que le prochain et funeste refus de la venue du Messie, de la part des responsables religieux, s’enracine dans une obstination contre l’avènement du Royaume. L’opposition à Jésus rejoint, pour Matthieu, la surdité du Temple vis-à-vis du baptiste.
Mais surtout, la parabole révèle aussi la réelle bonne nouvelle du Royaume du Père qui ne souhaite exclure aucun de ses fils et enfants, qu’ils soient publicains, prostituées ou même grands prêtres. La parole du père, dans la parabole, s’adresse de la même manière aux deux fils. La vraie réponse n’est pas dans un « oui » récité mais dans un vrai déplacement vers la vigne du royaume. Une venue qui demande bien des conversions à l’inouï du Royaume.