Le récit de la rencontre entre Marie de Magdala avec le Ressuscité (20,11-18) est en fait une triple rencontre : celle avec deux anges, celle avec un jardinier (qui n’est autre que Jésus), et celle avec Jésus que Marie finit par reconnaître.
Cet article est disponible au format podcast (cf. ci-dessous). Marie de Magdala et le jardinier (3/7) Jn 20,11-18
Femme, pourquoi pleures-tu ? (20, 11-13)
20, 11 Marie Madeleine se tenait près du tombeau, au-dehors, tout en pleurs. Et en pleurant, elle se pencha vers le tombeau. 12 Elle aperçoit deux anges vêtus de blanc, assis l’un à la tête et l’autre aux pieds, à l’endroit où avait reposé le corps de Jésus.13 Ils lui demandent : « Femme, pourquoi pleures-tu ? » Elle leur répond : « On a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a déposé. »
Marie et les deux anges
Les pleurs de Marie de Magdala sont des pleurs liés au deuil comme en Jn 11 à propos des sœurs de Lazare défunt. Mais la références à ces pleurs annoncent déjà l’accomplissement des paroles de Jésus lui-même : En vérité, en vérité, je vous le dis, … vous serez tristes, mais votre tristesse se changera en joie (16,20). Les pleurs cesseront bientôt avec la rencontre du Seigneur (20,15), mais déjà pointe un signe, une espérance que Marie de Magdala ne va pas tout de suite saisir.
Nous sommes en présence de deux anges vêtus de blanc, assis l’un à la tête et l’autre aux pieds, à l’endroit où avait reposé le corps de Jésus. Cette vision est plus suggestive que descriptive. Car elle évoque un élément biblique particulier qu’est le propitiatoire, ou couvercle, de l’arche d’Alliance, présent autrefois, dans le Saint des Saints, et sur lequel le Seigneur se manifestait.
Ex 25,17 Puis tu feras un propitiatoire en or pur, long de deux coudées et demie, large d’une coudée et demie. 18 Et tu feras deux chérubins en or; tu les forgeras aux deux extrémités du propitiatoire. 19 Fais un chérubin à une extrémité, et l’autre chérubin à l’autre extrémité; […] 22 Là, je te rencontrerai et, du haut du propitiatoire, d’entre les deux chérubins situés sur l’arche de la charte, je te dirai tous les ordres que j’ai à te donner pour les fils d’Israël.
La position des anges donne au tombeau vide un caractère de sanctuaire, c’est-à-dire de lieu de rencontre avec le Seigneur – ce qui sera le cas – mais surtout ces anges rappellent l’Alliance que l’arche contenait. Cette arche d’Alliance, mémorial de la sortie d’Égypte, qui a disparu du Temple, réapparaît désormais en ce matin de Pâques. Mais Marie de Magdala ne comprend pas encore. Elle cherche son Seigneur : On a enlevé mon Seigneur, et je ne sais où on l’a mis.
Qui cherches-tu ? (20,14-18)
20, 14 Ayant dit cela, elle se retourna ; elle aperçoit Jésus qui se tenait là, mais elle ne savait pas que c’était Jésus. 15 Jésus lui dit : « Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? » Le prenant pour le jardinier, elle lui répond : « Si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as déposé, et moi, j’irai le prendre. »
Marie et le jardinier
Chez Jean, le tombeau est situé dans un lieu spécifique : le jardin. A l’endroit où Jésus avait été crucifié il y avait un jardin, et dans ce jardin un tombeau tout neuf où jamais personne n’avait été déposé (19,41). Cette mention est propre à l’évangéliste. Elle nous renvoie au jardin de la trahison (18,1) permettant de clôturer le récit de la passion, d’un jardin à un autre. Mais ce jardin de Pâques nous renvoie surtout à un autre jardin : celui de l’Eden en Gn 2. Le Seigneur Dieu planta un jardin en Eden, à l’orient, et il y plaça l’homme qu’il avait formé. (Gn 2,8)… Ayant chassé l’homme, il posta les chérubins à l’orient du jardin d’Eden. (Gn 3,24) Telle en sera la lecture patristique. Le Christ crucifié, livré, est le nouvel Adam. Ce jardin de la rencontre sera celui de la réconciliation définitive entre le Seigneur et les hommes qu’il appellera ses frères. Avec la résurrection, c’est le salut édénique du monde qui est restauré.
Pour l’instant Marie ne le reconnaît pas, car elle cherche encore le cadavre. Elle prend Jésus pour le gardien du jardin. Ce qu’il n’est pas de manière narrative mais ce qu’il est de manière symbolique : le gardien qui ouvre les portes de l’Eden. L’ironie se poursuit jusque dans l’attitude de Marie de Magdala qui pense pouvoir prendre à elle seule le corps de son Seigneur : ce qu’elle aura à porter ce n’est pas un corps mais un message.
Ne me retiens pas (20,16-18)
20, 16 Jésus lui dit alors : « Marie ! » S’étant retournée, elle lui dit en hébreu : « Rabbouni ! », c’est-à-dire : Maître. 17 Jésus reprend : « Ne me retiens pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Va trouver mes frères pour leur dire que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. »18 Marie Madeleine s’en va donc annoncer aux disciples : « J’ai vu le Seigneur ! », et elle raconta ce qu’il lui avait dit.
Marie et Jésus Ressuscité
À l’appel du Christ, Marie se retourne une seconde fois (20,14.16). Ce n’est pas logique. Car si elle se retourne deux fois, cela signifie qu’elle vient de faire un tour complet et tourne le dos à Jésus pour s’adresser à Lui. Des Pères de l’Église ont noté cette bizarrerie et ont interprété ce second retournement comme celui d’un retournement intérieur, c’est-à-dire une conversion. Cependant, il ne faudrait pas écarter un second retournement spatial. Marie de Magdala, en se retournant encore, fait face à ce tombeau vide, signe de la nouvelle Alliance. Elle doit se détacher du corps visible pour reconnaître non plus ‘son’ Seigneur mais le Seigneur de l’Alliance.
Ne me retiens pas
Ne me retiens pas !lui dit Jésus. Pour certains commentateurs, cette interjection doit être comprise littéralement : Marie se prosterne et saisit les jambes du Seigneur. Le Christ lui ordonne de le lâcher car elle a maintenant une mission à accomplir. Cependant cette interprétation est influencée par le récit de Matthieu (28,9) où les femmes saisissent les pieds de Jésus Ressuscité. Or ici, il n’en est rien. À aucun moment il nous est dit que Marie de Magdala saisit les pieds de Jésus. Ce « ne me retiens pas » doit recevoir une autre interprétation. Il a, comme souvent chez Jean, un sens métaphorique. Marie doit se dessaisir de l’image de son Rabounni pour accueillir celle du Fils glorifié. C’est dans l’absence qu’il doit être reconnu, ou plus exactement par sa parole. Ainsi le message de Jésus à Marie dit sans ambiguïté qu’il est ce Fils qui monte vers le Père : la résurrection est interprétée comme une glorification de Dieu.
Marie reçoit la mission d’aller auprès des disciples. C’est la première fois où ces derniers sont assimilés par Jésus à ses frères. La victoire du Christ sur la mort entraîne une transformation radicale de l’identité des disciples. La vie du Fils Ressuscité leur est donné pleinement. Grâce au Christ, au sein de cette communauté chrétienne, ils sont frères et fils de Dieu, leur Père.
J’ai vu le Seigneur
Si Marie a vu le Seigneur, ce voir immédiatement associé à la Parole. Elle raconte non ce qu’elle a vu mais ce qu’elle a entendu. Ce n’est donc pas la vision de Jésus qui importe mais Sa Parole qui seule demeure visible et donne vie. Il y a ainsi une renaissance pour Marie de Magdala qui ne cherche plus son Seigneur mais annonce la Parole du Fils, vivant désormais auprès du Père. Elle met en pratique ce que l’évangéliste nous donnait à entendre, par la bouche de la mère de Jésus, durant les noces de Cana : « faites tout ce qu’il vous dira » Jn 2,5.