Désert 37 – Qui me donnera un gîte au désert ? (Jr 9)

Depuis lundi nous avons évoqué vaguement le personnage de Judas et l’annonce de sa traîtrise. L’évangile d’aujourd’hui nous donne à entendre ce récit de trahison.

Le paiement de Judas, fresque de Padoue

Le prix de la trahison

En ce temps-là, l’un des Douze, nommé Judas Iscariote, se rendit chez les grands prêtres et leur dit : « Que voulez-vous me donner, si je vous le livre ? » Ils lui remirent trente pièces d’argent. Et depuis, Judas cherchait une occasion favorable pour le livrer. Mt 26,14-16

Ainsi commence le récit de la trahison de Judas précédant immédiatement le dernier repas de Jésus. Il n’est rien dit du motif exact. La mention des trente pièces d’argent, ou trente sicles, soit trois mois de salaire pour un simple journalier, ne constitue pas un motif raisonnable. Ces pièces soulignent le contraste avec le parfum de grand prix gaspillé par amour pour Jésus lors de l’onction royale à Béthanie chez Simon le lépreux selon, la version de Matthieu (26,6-13). Mais ces trente pièces d’argent évoquent également le prix d’une rupture d’alliance selon le prophète Zacharie. Dans une parabole, ce prophète explique que le berger divin souhaite se débarrasser de ses brebis qui lui font perdre patience.

Puis je pris mon bâton « Faveur » et je le brisai pour rompre mon alliance, celle que j’avais conclue avec tous les peuples. Ce jour-là, elle fut rompue, et les marchands de brebis qui m’observaient surent que c’était là une parole du Seigneur. Je leur dis alors : « Si cela vous semble bon, donnez-moi mon salaire, sinon n’en faites rien. » Ils pesèrent mon salaire : trente pièces d’argent. Le Seigneur me dit : « Jette-le au fondeur, ce joli prix auquel ils m’ont apprécié ! » Alors je ramassai les trente pièces d’argent et je les jetai au fondeur dans la Maison du Seigneur. Za 11,10-13.

L’acte de Judas, brisant l’alliance et l’amitié qui l’unissaient à Jésus, vient ici s’opposer à celui-là même qui vient rétablir, coûte que coûte, l’Alliance entre Dieu et les hommes comme il le signifiera lors de la dernière cène : voici le sang de l’Alliance, versé pour la multitude en rémission des péchés. 26,28.

L’ami et le traître

Quelque fut le motif, Matthieu soulignera cette alliance, cette amitié, brisée et trahie. Elle rejoint ce désert évoqué par le prophète Jérémie où le Seigneur n’en peux plus des trahisons de son peuple :

Qui me donnera un gîte au désert ? Je veux abandonner mon peuple et m’en aller loin d’eux, car ils sont tous adultères, une bande de traîtres. Avec le mensonge, ils arment leur langue comme un arc ; par la déloyauté, ils sont devenus forts dans le pays, car ils vont de méfait en méfait ; mais moi, ils ne me connaissent pas – oracle du Seigneur. Gardez-vous chacun de votre compagnon, défiez-vous de tout frère, car tout frère ne pense qu’à supplanter, et tout compagnon sème la calomnie. Jr 9,1-3.

La maison des amis et des frères n’est plus un lieu sûr, et il serait dès lors si tentant pour le Seigneur de fuir et trouver au désert un lieu plus hospitalier. Mais la fidélité du Seigneur ne sera pas vaincue par la traîtrise de celui qu’il a appelé hier pour être de ses douze apôtres. Bien au contraire, c’est lui-même qui fournit à ses disciples dont Judas, Pierre et les autres, un gîte hospitalier dans un désert d’amitié. Ils célébreront la Pâque ensemble, en dépit des trahisons, des reniements et des abandons.

Le premier jour de la fête des pains sans levain, les disciples s’approchèrent et dirent à Jésus : « Où veux-tu que nous te fassions les préparatifs pour manger la Pâque ? » Il leur dit : « Allez à la ville, chez untel, et dites-lui : “Le Maître te fait dire : Mon temps est proche ; c’est chez toi que je veux célébrer la Pâque avec mes disciples.” » Les disciples firent ce que Jésus leur avait prescrit et ils préparèrent la Pâque. Le soir venu, Jésus se trouvait à table avec les Douze. Pendant le repas, il déclara : « Amen, je vous le dis : l’un de vous va me livrer. » Profondément attristés, ils se mirent à lui demander, chacun son tour : « Serait-ce moi, Seigneur ? » 26,17-22.

Car il n’y a pas qu’un seul homme faible et faillible dans le lot des Douze. Ainsi lorsque Jésus annonce : L’un de vous va me livrer, leur réponse signe leur possible culpabilité : ils se mirent à lui demander, chacun son tour : «Serait-ce moi, Seigneur ?». Mais si les apôtres doutent quant à la solidité de leur foi en Jésus, ce dernier jamais ne les abandonnera, comme il le déclarera un peu plus loin :

Cette nuit, je serai pour vous tous une occasion de chute ; car il est écrit : Je frapperai le berger, et les brebis du troupeau seront dispersées. Mais, une fois ressuscité, je vous précéderai en Galilée. 26,31-32.

Simon Vouet, la Cène, 1615

Son amitié infaillible

Dans l’évangile selon Matthieu, lors de l’arrestation, Jésus déclare à Judas qui accompagne la troupe venue se saisir de lui : Mon ami, ce que tu es venu faire, fais-le ! 26,50. Le terme ici employé pour ‘ami’ est plutôt rare dans la bible. Ce familier/étaïros en grec (ἑταῖρος) évoque parfois ce faux-ami, celui qui trahit au moment décisif, comme ces compagnons de Samson (Jg 14,11.20),  ou celui que désigne le livre de Ben Sira le sage : Si l’ami n’est qu’un compagnon de plaisir, au temps de la fête, que vienne la détresse, il changera de camp (Si 37,4). C’est bien ce que Jésus semble suggérer lors de ce dernier repas : « Celui qui s’est servi au plat en même temps que moi, celui-là va me livrer. Le Fils de l’homme s’en va, comme il est écrit à son sujet ! »

Comme il est écrit à son sujet. Cette écriture-là ne concerne pas seulement l’annonce de la trahison, du reniement ou de l’abandon au moment de la croix, mais aussi ce départ de Fils de l’Homme, marchant sciemment plein d’amour et de pardon, jusqu’à la croix, marchant délibérément vers le Père afin que nous soyons relevés de nos faillites par son amitié indéfectible. Le voici qui s’en va ce Fils de l’Homme pour révéler le pardon du Père par le sang de l’Alliance, versé pour la multitude en rémission des péchés.

C’est ce repas de la Cène que nous évoquerons évidemment demain.


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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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