Désert 38 – Au désert, vos pères ont mangé la manne et ils sont morts (Jn 6)

Avec ce Jeudi Saint, nous entrons dans ce Triduum Pascal, ces trois derniers jours de Passion. Aujourd’hui nous suivons Jésus lors de son dernier repas avec ses disciples, un repas qui veut donner tout le sens de sa Passion et de sa vie. Un repas où deux gestes nous sont offerts : la fraction du pain et le lavement des pieds.

La récolte de la manne, 1470, à la Chartreuse de Douai

La manne et la mort

Moi, je suis le pain de la vie. Au désert, vos pères ont mangé la manne, et ils sont morts ; mais le pain qui descend du ciel est tel que celui qui en mange ne mourra pas. Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du mondeJn 6,48-51.

Au désert, vos pères ont mangé la manne et ils sont morts. On ne peut plus être provocateur. Dans ce discours du pain de vie, Jésus rappelle à ses auditeurs l’inachèvement ou l’insuffisance de l’ancienne Alliance. Au désert vos pères ont manne la manne et ils sont morts. Cette affirmation peut s’entendre sous différents angles.

D’un point de vue historique et temporel, Jésus rappelle que la génération de celles et ceux que Dieu lui-même a conduit au désert a disparu. Mais en rester à cette interprétation demeure insuffisant : la manne n’a jamais été un produit d’immortalité, ni une fontaine de jouvence.

Jésus évoque ici cette génération morte suite au refus de la manne, ce don de Dieu en ce quelque chose de fin à la surface du désert (Ex 16). Ils n’y ont vu qu’une nourriture misérable (Nb 21,5). Cette mort dont parle Jésus n’est pas celle due au temps qui passe, mais au péché, celui de cette génération au désert qui ont méprisé la manne, qui ont refusé de reconnaître en Dieu Celui qui donne bien autre chose qu’une alimentation mais le salut en Terre Promise. Cette génération mourra au désert, laissant l’entrée en Canaan à leur descendant, une autre génération, comme le Seigneur l’avait lui-même déclaré :

Oui, tous ces hommes qui ont vu ma gloire et mes signes accomplis en Égypte et dans le désert, qui m’ont mis à l’épreuve dix fois déjà et n’ont pas écouté ma voix, eh bien, jamais ils ne verront le pays que j’ai juré de donner à leurs pères. Aucun de ceux qui me méprisent ne le verra. Nb 14,22-23.

En refusant le Seigneur, ils se sont refusés au salut.

Gérard de Lairesse, institution de l'Eucharistie, 1665

Ancienne manne et nouveau pain

Au désert, vos pères ont mangé la manne et ils sont morts. mais le pain qui descend du ciel est tel que celui qui en mange ne mourra pas. Jésus ne propose pas littéralement comme une nouvelle manne. Il se présente comme le pain de vie ou le pain vivant, descendu du Ciel. Si le vocabulaire change, le sens également. Ce pain qu’il donne, c’est lui-même. Notre marche en ces trente-huit déserts nous avait fait entendre le lien entre la manne et la Loi, la Parole de Dieu. Or, la loi n’a pas permis aux fils d’Israël de demeurer fidèle à l’Alliance. Que ce soit en raison de leur inclinaison au péché mais aussi, parfois, à cause de leur souci scrupuleux de la Loi, les hommes ont manqué l’essentiel : la rencontre avec Dieu.

La manne n’était que provisoire. Elle cessa de tomber lors de l’entrée en Canaan.

À partir de ce jour, la manne cessa de tomber, puisqu’ils mangeaient des produits de la terre. Il n’y avait plus de manne pour les fils d’Israël, qui mangèrent cette année-là ce qu’ils récoltèrent sur la terre de Canaan. Jos 5,12.

La manne était toute orientée vers ce salut terrestre que fut Canaan et la terre promise. La manne attendait la terre, comme la Loi attendait la grâce. C’est ce que nous déclare saint Paul dans sa lettre aux Romains :

En effet, quand Dieu a envoyé son propre Fils dans une condition charnelle semblable à celle des pécheurs pour vaincre le péché, il a fait ce que la loi de Moïse ne pouvait pas faire à cause de la faiblesse humaine. Rm 8,3.

Je suis le pain vivant si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Un pain surgit dans nos déserts. Ce pain de vie est cette rencontre entre les pécheurs que nous sommes et leur sauveur. Jésus se donne encore à son peuple et à ceux qui tendent les mains vers lui dans la foi. En son fils, Dieu se livre pleinement. Ce pain ne se réduit pas à des commandements, ni une sagesse, ni une philosophie et ni même à des prières. Ce pain bien vivant est la Parole, le verbe fait chair (Jn 1,14). Il se donne à rencontrer dans toute sa personne, son histoire, sa parole, sa passion… Ce pain de vie auquel nous communion n’est pas seulement du pain, ni seulement un Jésus-hostie livré à nos dévotions. C’est le Christ vivant, agissant, lui-même qui se donne en partage pour que nous vivions de Dieu et en Dieu. Dans cette sainte fraction du pain, il se brise et s’abaisse pour son peuple, encore, pour nous, indignes pourtant de le recevoir. En communiant à sa vie, nous prenons tous part à son amour et à son abaissement pour le Salut du monde.

icône du lavement des pieds

Un pain vivant

L’évangéliste Jean narre lors du dernier repas, ce geste du lavement des pieds. Jésus s’abaisse jusqu’à s’humilier devant ses propres disciples. Accueillir ce pain vivant c’est accueillir son abaissement, son humiliation, pour y reconnaître l’amour de Dieu.

Il arrive donc à Simon-Pierre, qui lui dit : « C’est toi, Seigneur, qui me laves les pieds ? » Jésus lui répondit : « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. » Pierre lui dit : « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi. » Jn 13,6-8.

Le lavement des pieds n’est pas un gentil service rendu aux autres. Nous pouvons tirer de la gloire, de la reconnaissance de nos services rendus, et nous pouvons aussi asseoir notre pouvoir par notre prétention à être servilement indispensable. Mais dans ce lavement, il s’agit plus d’humiliation que de service. Jusqu’où sommes-nous capables d’aller pour faire découvrir l’amour du Père ? Pourrions-nous aller jusqu’à nous humilier aux pieds des plus fragiles voire même être soi-même humilié ? Et sommes-nous déjà capables de nous laisser laver les pieds par le Christ, de nous laisser prendre à son amour ?

Quand il leur eut lavé les pieds, il reprit son vêtement, se remit à table et leur dit : « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ? Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. Jn 13,12-15.

Ce n’est pas seulement de lavage et de service dont parle Jésus mais d’abandon à l’amour du Père pour le monde et d’abandon au monde pour l’amour du Père. Que vous fassiez vous aussi comme j’ai fait pour vous une parole qui nous oriente déjà vers la Croix.


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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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