Désert 39 – Comme le serpent de bronze élevé dans le désert (Jn 3)

Ce Vendredi Saint nous invite à suivre Jésus sur son chemin de croix, depuis son arrestation jusqu’au tombeau. Nous sommes en ce jour au cœur du mystère même de la foi qu’est celui de la croix. Une croix nous est donnée à contempler comme signe visible du Salut de Dieu : n’est-ce pas paradoxal ?

Jésus et Nicodème par Crijn Hendricksz, 1645

Nicodème

Comme le serpent de bronze élevé par Moïse dans le désert Jn 3,14

Je ne commenterai pas l’ensemble de la Passion selon Jean. C’est un peu dommage mais l’entendre et la « vivre » à nos célébrations suffit déjà pour saisir, il me semble, le dessein admirable du Seigneur. Les paroles de Jésus en disent déjà beaucoup depuis ses premiers mots à l’arrestation :  Qui cherchez-vous ? (Jn 18,4) jusqu’à ses dernières paroles : Tout est accompli (19,30) qui nous invitent à reprendre tout l’évangile pour saisir le sens de cette croix. Un homme peut cependant nous aider à éclairer cette mort de Jésus et sa vie donnée. Il se nomme Nicodème. Dans l’évangile selon Jean, il intervient par trois fois (3,1; 7,50 ; 19,39). Lors de la première venue de Jésus à Jérusalem, ce notable pharisien interroge Jésus sur le sens de sa mission.

Il y avait un homme, un pharisien nommé Nicodème ; c’était un notable parmi les Juifs. Il vint trouver Jésus pendant la nuit. Il lui dit : « Rabbi, nous le savons, c’est de la part de Dieu que tu es venu comme un maître qui enseigne, car personne ne peut accomplir les signes que toi, tu accomplis, si Dieu n’est pas avec lui. » Jésus lui répondit : « Amen, amen, je te le dis : à moins de naître d’en haut, on ne peut voir le royaume de Dieu. » Nicodème lui répliqua : « Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il entrer une deuxième fois dans le sein de sa mère et renaître ? » Jn 1,3-4.

Nicodème cherche à comprendre le lien entre les signes miraculeux de Jésus et son rapport avec Dieu (Jn 1,3-4). La réponse de Jésus le déroute tout autant que nous. D’une part, pour Jésus, les signes accomplis le sont non pour asseoir son autorité de Messie mais pour être les prémices du Royaume. Or pour comprendre et voir l’avènement de ce Royaume, cet accès à Dieu, il faut que le croyant renaisse d’en-haut ! Il lui faut naître à nouveau. L’expression étrange associe ainsi l’avènement de Dieu dans l’histoire à un changement radical du croyant, à une nouvelle identité qui implique donc l’abandon d’une part de lui-même. Nicodème, le notable pharisien ce maître qui enseigne Israël (3,10), doit ainsi renaître, redevenir ‘enfant’, pour aller à la rencontre de ce Fils de l’homme messianique. C’est bien ce que Jésus lui signifiera :

Nul n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme. De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle. Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Jn 3,13-17.

Le Christ sur la croix, P.P. Rubens, Musée royal des beaux-arts d'Anvers, 1630

Ainsi faut-il ? La croix n’est pas un accident de parcours dans la mission du Christ. Il faut, il fallait que le fils de l’homme soit élevé. Jésus évoque à Nicodème ce serpent de bronze que Moïse dressa en haut d’un mât (Nb 21) pour le salut de son peuple (désert 29). L’élévation du Christ et son exaltation se confondent sur la croix selon l’évangéliste Jean. Celle-ci devient ainsi le signe visible de la présence de Dieu et l’avènement de son Royaume.

C’est à la fois atroce et admirable. Atroce car une croix est synonyme de condamnation par les hommes, de souffrance, d’humiliation et de mort. Sur la croix on expose un homme condamné, souffrant et nu aux regards des autres, au milieu des pleurs et des quolibets. D’autant plus atroce que sur cette croix, est cloué l’envoyé du Père, son fils unique. Fallait-il donc tout cela ?

La croix met fin à toutes les prétentions de l’homme à approcher Dieu par le savoir, la pureté, l’éthique, la sagesse ou la piété… car tout homme est limité et faillible, là où le Seigneur est éternel et éternellement bon et fidèle. Or sur la croix, il n’y a plus rien de ces prétentions, il n’y a qu’un homme cloué, il n’y a que le Fils qui s’abaisse au plus bas pour rejoindre l’humanité jusque dans ses souffrances. La croix surgit et s’élève au cœur même de nos déserts. Là il dévoile ce visage du Père qui ne cesse de se donner pour nous, en dépit de notre faiblesse et de nos ignorances.

Sur la croix, Jésus de Nazareth, roi des Juifs, révèle la véritable royauté de Dieu, celle d’aimer jusqu’au bout en donnant tout pour que l’homme puisse le connaître, jusqu’à son titre de fils : Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » (19,26-27). Il se donne jusque dans la mort : un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau. (19,34)

Si nous sommes appelés à renaître à porter non plus le titre de disciple mais de fils aimé, c’est par cette vie divine qui jaillit de la croix en cette eau baptismale et ce sang eucharistique, dons de Dieu permanent. Ainsi Nicodème le pharisien d’hier, venu le rencontrer de nuit, doit se plonger maintenant dans une autre nuit, celle de la mort et du tombeau.

The Entombment, Antonio Ciseri, 1883

Nicodème et la déposition de Jésus

Après cela, Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret par crainte des Juifs, demanda à Pilate de pouvoir enlever le corps de Jésus. Et Pilate le permit. Joseph vint donc enlever le corps de Jésus. Nicodème – celui qui, au début, était venu trouver Jésus pendant la nuit – vint lui aussi ; il apportait un mélange de myrrhe et d’aloès pesant environ cent livres. Ils prirent donc le corps de Jésus, qu’ils lièrent de linges, en employant les aromates selon la coutume juive d’ensevelir les morts. À l’endroit où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin et, dans ce jardin, un tombeau neuf dans lequel on n’avait encore déposé personne. À cause de la Préparation de la Pâque juive, et comme ce tombeau était proche, c’est là qu’ils déposèrent Jésus. Jn 19,38-42.

Nicodème offre ce qu’il y a de mieux l’aloès et de la myrrhe, ce qu’il y a de précieux et cela en quantité : cent livres, soit près de trente-cinq kilos. Les funérailles de ce rabbi d’hier, sont des funérailles royales. Rien n’est trop beau, rien n’est trop pur, blanc, ni trop neuf, rien n’est trop pour celui qui les a aimés jusqu’au bout. Tout est fait pour embaumer au mieux et à jamais ce corps, et ralentir vainement le travail de la mort. Et dans ce jardin au parfum d’Éden (désert 1), Dieu déjà agît pour élever jusqu’à lui, son propre Fils et lui rendre sa véritable innocence et sa véritable identité, et nous appeler à renaître avec lui… mais il est encore trop tôt pour en parler.


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