La Pentecôte et l’homélie de saint Pierre (11)

Du bruit, des langues pareilles à du feu, des disciples qui parlent des dialectes divers selon leurs interlocuteurs. Qu’est-ce que cela signifie ? Telle était la question de la foule, qui pourrait bien être aussi la nôtre. C’est le discours de Pierre (Ac 2,14-37) qui nous éclairera à ce sujet.

Johann Spillenberger, discours de Pierre à la Pentecôte, 1675

L’organisation du discours

C’est un long discours, bien construit que l’apôtre Pierre adresse à la foule diverse, présente devant la maison des disciples. Cette prise de parole a des accents d’homélie : elle se situe à l’occasion de la fête de la Pentecôte devant une assemblée. Le discours de Pierre suit immédiatement les réactions de cette foule après l’événement du don de l’Esprit Saint. Nous pouvons aisément repérer les trois sections qui composent ce passage. Elles sont chacune introduites par une adresse à la foule :

  • Vous, Juifs, et vous tous qui résidez à Jérusalem, sachez bien ceci, prêtez l’oreille à mes paroles (2,14).
  • Hommes d’Israël, écoutez les paroles que voici (2,22).
  • Frères, il est permis de vous dire avec assurance… (2,29).

Ces trois interpellations permettent de distinguer trois contenus. Le premier (2,14-21) prend appui sur l’oracle du prophète Joël. Le second (2,22-28) rappelle la vie de Jésus, sa Passion et sa Résurrection. Le troisième (2,29-36), s’appuyant sur la figure de David, rend compte de la seigneurie du Christ et son Ascension auprès de Dieu. Le discours de Pierre est alors suivi de la réaction, cette-fois ci positive, de la foule (2,37-41).

Il est déjà intéressant de remarquer que le discours fait appel à deux personnages qui viennent entourer la mention du Christ : le prophète Joël et le roi-prophète David. Comme l’épisode de la Transfiguration avait fait appel à Moïse et Élie (Lc 9,28-36) pour asseoir l’identité divine et filiale de Jésus, il en est de même ici où le prophète et le roi viennent tous deux désigner le Sauveur divin attendu.

Jean REstoud, Penteôte, 1732

L’oracle de Joël.

Ce n’est pas tant la personne même du prophète Joël du V°-IV° s. avant notre ère qui nous intéresse que ses paroles (Jl 3,1-5) reprise par Pierre :

Ac 2, 14 Alors Pierre, debout avec les onze autres Apôtres, éleva la voix et leur fit cette déclaration : « Vous, Juifs, et vous tous qui résidez à Jérusalem, sachez bien ceci, prêtez l’oreille à mes paroles. 15 Non, ces gens-là ne sont pas ivres comme vous le supposez, car c’est seulement la troisième heure du jour. 16 Mais ce qui arrive a été annoncé par le prophète Joël : 17 Il arrivera dans les derniers jours, dit Dieu, que je répandrai mon Esprit sur toute créature : vos fils et vos filles prophétiseront, vos jeunes gens auront des visions, et vos anciens auront des songes. 18 Même sur mes serviteurs et sur mes servantes, je répandrai mon Esprit en ces jours-là, et ils prophétiseront. 19 Je ferai des prodiges en haut dans le ciel, et des signes en bas sur la terre : du sang, du feu, un nuage de fumée. 20 Le soleil sera changé en ténèbres, et la lune sera changée en sang, avant que vienne le jour du Seigneur, jour grand et manifeste.21 Alors, quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé.

Le prophète Joël (Jl 3,1-5) attendait et annonçait la victoire définitive de Dieu sur les nations païennes en faveur d’Israël. Le jour du Seigneur inaugure alors un temps nouveau où l’ensemble du peuple juif depuis les jeunes filles jusqu’aux anciens deviendront, par l’Esprit de Dieu, les prophètes du Seigneur, c’est-à-dire les porteurs et les garants de sa parole et de son message. Le don de l’Esprit Saint, au jour de la Pentecôte, vient donc accomplir cet oracle prophétique. Ce jour, annoncé par Joël, où le soleil s’obscurcit nous renvoie également à la crucifixion où l’obscurité se fit sur toute la terre jusqu’à la neuvième heure, car le soleil s’était caché.  (Lc 23,44-45)

Colinj de Coter, Ascension du Christ, 1500

Jésus est Seigneur

Le don de l’Esprit Saint rend compte donc de cet accomplissement du dessein de Dieu. Désormais le Salut se résume dans la foi au Seigneur lui-même. Mais qui donc est ce Seigneur annoncé sinon Jésus comme l’affirme Pierre dans la seconde partie de son discours (2,22-28) :

Ac 2,22 Hommes d’Israël, écoutez les paroles que voici. Il s’agit de Jésus le Nazaréen, homme que Dieu a accrédité auprès de vous en accomplissant par lui des miracles, des prodiges et des signes au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes. 23 Cet homme, livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu, vous l’avez supprimé en le clouant sur le bois par la main des impies. 24 Mais Dieu l’a ressuscité en le délivrant des douleurs de la mort, car il n’était pas possible qu’elle le retienne en son pouvoir.25 En effet, c’est de lui que parle David dans le psaume : Je voyais le Seigneur devant moi sans relâche : il est à ma droite, je suis inébranlable. 26 C’est pourquoi mon cœur est en fête, et ma langue exulte de joie ; ma chair elle-même reposera dans l’espérance : 27 tu ne peux m’abandonner au séjour des morts ni laisser ton fidèle voir la corruption. 28 Tu m’as appris des chemins de vie, tu me rempliras d’allégresse par ta présence.

Pierre ne rappelle pas seulement les éléments de la vie de Jésus, son ministère et sa mort sur la croix. Il affirme, à la lumière du mystère pascal, que ce Jésus de Nazareth n’est autre que le Seigneur, titre divin et royal. Sa résurrection devient pour Pierre le signe de la victoire de Dieu sur la mort, l’injustice et l’impiété. L’affirmation est de taille : un homme est déclaré Seigneur et Messie, désormais assis à la droite de Dieu comme l’annonçait David, prophète et roi. Le Nom divin (Yahvé), traditionnellement imprononçable, reçoit maintenant un nom et une figure humaine : Jésus. Il est facile, et surtout provocateur, de l’affirmer encore faut-il argumenter. C’est l’objet de la troisième partie du discours.

Gerard van Honthorst, le Roi David jouant de la harpe, 1622

David et l’Esprit

Dans cette section, Pierre ne s’adresse plus à la foule comme à des pèlerins juifs (première partie 2,14-21), ni à des hommes d’Israël (seconde partie 2,22-28), mais à des frères. Ce faisant, il ne s’exclut pas de cette foule, ni ne se place en opposition. Au contraire, il s’adresse à eux comme à ses frères dans la foi d’Israël, à cause du Christ. Il s’appuie sur la figure prophétique de David, traditionnellement reconnu pour l‘auteur des psaumes cités ici.

Ac 2, 29 Frères, il est permis de vous dire avec assurance, au sujet du patriarche David, qu’il est mort, qu’il a été enseveli, et que son tombeau est encore aujourd’hui chez nous. 30 Comme il était prophète, il savait que Dieu lui avait juré « de faire asseoir sur son trône un homme issu de lui ». [Ps 131,11] 31 Il a vu d’avance la résurrection du Christ, dont il a parlé ainsi : « Il n’a pas été abandonné à la mort, et sa chair n’a pas vu la corruption. » [Ps 15,10] 32 Ce Jésus, Dieu l’a ressuscité ; nous tous, nous en sommes témoins. 33 Élevé par la droite de Dieu, il a reçu du Père l’Esprit Saint qui était promis, et il l’a répandu sur nous, ainsi que vous le voyez et l’entendez. 34 David, en effet, n’est pas monté au ciel, bien qu’il dise lui-même : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : “Siège à ma droite, 35 jusqu’à ce que j’aie placé tes ennemis comme un escabeau sous tes pieds.” [Ps 109,1] 36 Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude : Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié. »

L’appel aux psaumes de David (Ps 131 ; 15 ; 109) dans le discours homilétique de Pierre n’est pas anodin. Il permet d’asseoir la seigneurie du Christ sur trois éléments. D’une part, comme pour l’oracle de Joël, la venue du Messie, sa passion et sa résurrection viennent accomplir, accréditer, le dessein de Salut de Dieu en Jésus. Sa mort et sa résurrection font partie du plan divin. C’est une première chose.  Mais cette résurrection et cette élévation à la droite de Dieu, permettent désormais, grâce à l’Écriture, d’associer la personne même de Jésus crucifié à la figure du Messie. Il ne s’agit pas d’élever un homme à la droite de Dieu, mais d’affirmer qu’en Jésus, Dieu s’est manifesté lui-même aux hommes pour leur Salut.

Enfin, troisièmement, l’appui sur les écrits d’un prophète et d’un roi, tous deux morts, permet d’affirmer l’identité divine et éternelle de Jésus qu’on ne plus réduire à un simple prophète ou un roi. Il est à jamais vivant et sa souveraineté s’enracine dans la croix, signe visible de son amour et de son désir de salut pour tous les hommes. Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié. Le don de l’Esprit Saint vient de ce Christ toujours Vivant : Élevé par la droite de Dieu, il a reçu du Père l’Esprit Saint qui était promis, et il l’a répandu sur nous, ainsi que vous le voyez et l’entendez.

La conversion au Christ comme accomplissement de la Promesse.

À l’écoute des paroles de Pierre la foule a littéralement le cœur transpercé cela en raison de la méconnaissance et du mépris d’hier envers Jésus.

Ac 2 37 Les auditeurs furent touchés au cœur ; ils dirent à Pierre et aux autres Apôtres : « Frères, que devons-nous faire ? » 38 Pierre leur répondit : « Convertissez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés ; vous recevrez alors le don du Saint-Esprit. 39 Car la promesse est pour vous, pour vos enfants et pour tous ceux qui sont loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera. » 40 Par bien d’autres paroles encore, Pierre les adjurait et les exhortait en disant : « Détournez-vous de cette génération tortueuse, et vous serez sauvés. » 41 Alors, ceux qui avaient accueilli la parole de Pierre furent baptisés. Ce jour-là, environ trois mille personnes se joignirent à eux.

En condamnant à mort le Messie, la foule s’est placée dans une situation pécheresse vis-à-vis de Dieu. Mais rien n’est perdu. Cette foule se reconnaît déjà comme frères. Un retour au salut est toujours possible même pour ceux qui sont loin. Cette conversion demandée par Pierre n’est pas d’ordre moral mais théologique : il s’agit d’une adhésion, signifiée par le baptême, envers Jésus reconnu comme Seigneur et Christ rendant visible et audible le Nom même de Dieu et se donnant même à rencontrer par le don de l’Esprit Saint et le témoignage des Apôtres.

La communauté des disciples est maintenant, grâce au don de l’Esprit Saint, le témoignage et la preuve vivante du Salut de Dieu apporté par son Fils.

Références et citations

François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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