La parabole précédente de la veuve et du juge appelait à tenir dans les épreuves, à prier sans se décourager. Une nouvelle parabole fait comprendre l’importance de cette prière. Avec celle de la veuve, l’évangéliste définit la prière non comme la solution, ni même comme un moyen de négociation, mais comme un cri de foi. Avec ces versets, concernant l’attitude d’un pharisien et d’un publicain, la prière est maintenant décrite comme un lieu de vérité et de rencontre salutaire.
À ceux qui étaient convaincus d’être des justes (18,9-10)
18, 9 À l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient les autres, Jésus dit la parabole que voici : 10 « Deux hommes montèrent au Temple pour prier. L’un était pharisien, et l’autre, publicain (c’est-à-dire un collecteur d’impôts).
Du juge inique au faux justes
Le verset introductif permet à l’évangéliste de préciser un des points auquel la parabole de la veuve et du juge n’avait peut-être pas répondu. Si la veuve a fait entendre sa prière, nous ne savons rien du jugement et son verdict. Les deux paraboles se succèdent avec pour points communs : la prière et l’opposition de deux personnages. Ici le cadre est d’ordre cultuel. Nous sommes au Temple, lieu sacré de la présence divine. La prière au Temple est l’occasion de connaître la plaidoirie de deux hommes face au Seigneur. Dans cette section de l’évangile, Luc fait de la prière un prétexte à une réflexion sur le jugement et la justification. Qu’est-ce que cela signifie être juste aux yeux de Dieu ?
Être juste
Être juste peut se comprendre de diverses manières qui ne sont pas incompatibles. Est déclaré juste celui qui œuvre pour la justice et le bien. Mais dans le langage biblique, est juste celui qui est ajusté à la volonté du Seigneur, et qui demeure fidèle à sa Parole et ses commandements. Ainsi, on se souvient de Noé qui fut un homme juste, parfait. Noé marchait avec Dieu (Gn 6,9) et d’Abraham qui eut foi dans le Seigneur et le Seigneur estima qu’il était juste (Gn 15,6). Être juste c’est être garanti d’un salut (comme à travers le déluge) et d’une bénédiction divine pour soi et sa maison.
Le choix des personnages dans cette parabole va dans ce sens. Le pharisien est un homme qui met un soin scrupuleux à suivre, dans la foi, les volontés du Seigneur à travers ses lois et commandements. A l’opposé, le collecteur d’impôt est un juif qui met ses compétences au service du pouvoir romain. Il collecte les taxes auprès de ses coreligionnaires au bénéfice de Rome en prenant, en sus, sa libre part de rémunération, selon ses besoins ou ses envies. Autant dire qu’il n’est pas bien vu parmi les autres Judéens ou Galiléens. Sa proximité avec le monde païen fait de lui un homme infréquentable pour les justes.
La prière du pharisien (18,11-13)
18, 11 Le pharisien se tenait debout et priait en lui-même : “Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes – ils sont voleurs, injustes, adultères –, ou encore comme ce publicain. 12 Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne.” 13 Le publicain, lui, se tenait à distance et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : “Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis !”
Pas comme les autres
Le pharisien peut être satisfait de ses actes. Il remercie le Seigneur car sa pratique fidèle de la Loi, comme le jeûne ou l’offrande, lui permet de se sentir ajusté à Dieu, et loin du péché. Il a bien agi et se situe du bon côté, celui que de la faveur et de la bénédiction divine et non du côté du mal et du péché. D’une manière rationnelle et objective, le pharisien est bon et juste, et cela grâce à sa fidélité aux commandements.
La prière du publicain
L’attitude du pécheur publicain est décrite de manière opposée. Il est à distance. Si le pharisien se tenait debout, les mains levées au ciel comme tout bon priant, le collecteur d’impôt baisse les yeux dans une attitude de contrition. Sa prière est courte, concise. Les mots sont rares mais pleins de vérité.
Là est la différence. La prière du pharisien se contente d’un je ne suis pas comme… et d’une liste de bonnes œuvres exprimée dans ce je fais. Son action de grâce n’a que JE pour sujet. Il ne manque qu’une chose à sa prière, une chose que le publicain livre pleinement : un je suis et un tu fais. Un aveu, un regard plein de vérité sur lui-même, sur ce qu’il a de plus lourd et de moins avouable.
Pourtant pécheur, il sait qu’il ne peut compter que sur Dieu. Lui seul pourra le sauver. Le pharisien identifiait son salut à ses bonnes actions. Le publicain reconnaît humblement son Salut dans la seule action miséricordieuse de Dieu. Le riche collecteur d’impôt livre ici sa pauvreté d’homme et d’âme. Face à Dieu, il se sait pécheur, mais espère que le Seigneur aura un regard bienveillant à son encontre. Là est toute sa foi.
L’homme juste (18,14)
18, 14 Je vous le déclare : quand ce dernier redescendit dans sa maison, c’est lui qui était devenu un homme juste, plutôt que l’autre. Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. »
Qui s’élève sera abaissé
Par définition l’homme juste s’oppose au pécheur, car il est celui qui marche dans les voies du Seigneur (Gn 6,9), et est accordé à sa volonté et à ses lois (Ez 18,5). La parabole de Jésus, propre à Luc, renverse une fois de plus les perspectives. Car, selon les pharisiens, leur fidélité à la Loi leur garantit d’être des justes, à l’inverse de ces pécheurs et publicains. Or voilà qu’un de ces derniers est déclaré juste uniquement en raison de sa prière. À l’inverse le pharisien qui a mis tout en œuvre pour obéir à la volonté du Seigneur, y compris dans l’aumône et la charité, ne reçoit pas ici ce titre de juste.
Cela est inconcevable et voire scandaleux. À quoi bon tant faire, si rien qu’une prière de pécheur (qui plus est, collecteur d’impôt) rend juste ?
Les actes du pharisien ont davantage nourri son arrogance que sa foi et sa miséricorde envers le pécheur d’à côté. Sa rectitude est même devenue un mur de mépris qui ne laisse rien passer aux autres. Le publicain de la parabole ne peut donc compter que sur Dieu seul, Celui qui entend son mal-être et son désir d’obtenir sa faveur. L’accès à la justice ne se mesure donc plus aux œuvres bonnes, mais à l’humble sincérité d’une seule : la foi en la grâce à Dieu.
Magnifique et profond commentaire de cet étonnant passage.
Leur coeur est loin de moi….Dieu recherche une proximité, un coeur à coeur avec les hommes
Possible en faisant appel à sa miséricorde ce que ne fait pas le pharisien “juste”
Ajoutons que Jésus décrit un pécheur plein de contrition, en vérité avec lui même et regrettant d être non conforme à l attente de Dieu.
Ce n est pas un homme qui se réjouit d être ainsi et qui a l intention de continuer en abusant de la miséricorde de Dieu. Son regret est sincère et Dieu qui voit dans le secret du coeur est ému.