L’impureté et les pharisiens (Mt 15,1-20)

Parallèle : Mc 7,1-23

Comme pour l’évangéliste Marc (Mc 7,1-23), ce passage sur la question du pur et de l’impur se situe aussitôt la marche sur les eaux. Les disciples sont confrontés à une autre tempête : ils sont accusés de ne pas suivre les préceptes de la tradition en matière de pureté, d’être de mauvais pratiquants.

Ces versets mêlent deux questions. D’abord celle de la loi de pureté soulevée par les pharisiens (15,1-2) et à laquelle Jésus répond en s’adressant à la foule (15,10-11) puis à Pierre (15,15-20). Ils forment une unité cohérente. Mais Mathieu y a inséré un autre débat qui concerne l’autorité hypocrite des pharisiens (15,3-9) reprise avec la remarque des disciples (15,12-14).

Lavage de mains (15,1-2)

15, 1 Alors des pharisiens et des scribes venus de Jérusalem s’approchent de Jésus et lui disent : 2 « Pourquoi tes disciples transgressent-ils la tradition des anciens ? En effet, ils ne se lavent pas les mains avant de manger. »

La tradition des anciens

Matthieu fait venir ici des pharisiens et leurs scribes depuis Jérusalem, soulignant davantage l’opposition à venir entre l’autorité du judaïsme de la capitale face aux prétentions des disciples du Galiléen. Deux mondes vont ainsi s’affronter, dont la frontière n’est pas géographique ou sociale, mais théologique. Ce premier débat porte sur la question des règles de pureté rituelle. Les pharisiens sont très scrupuleux en la matière, tout comme les esséniens. La Loi de Moïse prescrit le lavage des mains pour des raisons cultuelles.

Les traditions orales des Pharisiens (reçues selon eux de Dieu, de Moïse et de ses successeurs) élargissent cette pratique au repas domestique et quotidien. Le repas revêtant un aspect cultuel avec la bénédiction. Les disciples de Jésus ne semblent pas avoir retenu de telles pratiques. Ils sont ici accusés de transgresser cette tradition, c’est-à-dire, dans la pensée des pharisiens : la volonté et le commandement de Dieu. C’est donc moins l’acte du lavage des mains qui ici en cause que leur rapport aux lois de pureté, et plus fondamentalement à la Loi elle-même.

Les Dix commandements 1923 Cecil B de Mille

Honore ton père et ta mère (15,3-9)

15, 3 Jésus leur répondit : « Et vous, pourquoi transgressez-vous le commandement de Dieu au nom de votre tradition ? 4 Car Dieu a dit : Honore ton père et ta mère. Et encore : Celui qui maudit son père ou sa mère sera mis à mort. 5 Et vous, vous dites : “Supposons que quelqu’un déclare à son père ou à sa mère : “Les ressources qui m’auraient permis de t’aider sont un don réservé à Dieu.” 6 Dans ce cas, il n’aura plus à honorer son père ou sa mère.” Ainsi, vous avez annulé la parole de Dieu au nom de votre tradition ! Hypocrites ! 7Isaïe a bien prophétisé à votre sujet quand il a dit : 8Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. 9C’est en vain qu’ils me rendent un culte ; les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains. »

Transgresseurs de la Loi

Jésus ne répond pas directement à la question de la pureté, mais ouvre un autre débat : celui du statut des préceptes, commandements et traditions. Face aux traditions orales des Anciens, Jésus s’appuie sur celle de l’Écriture : le commandement de Dieu. Il ne les oppose pas mais subordonne les premières à la Torah écrite. Deux conceptions de la Loi de Moïse s’affrontent : celle des pharisiens qui y intègrent les traditions orales, qu’on retrouvera plus tard au sein de la Mishnah et du Talmud ; et celle des disciples de Jésus qui n’en tiennent pas compte.

Jésus cite ici deux passages de l’Écriture. Le premier, sur le respect des parents, est l’un des dix commandements que Dieu a confiés à Moïse (Ex 20,12 ; Dt 5,16). Un précepte vital et incontournable puisque Jésus y associe un verset condamnant ses transgresseurs (Ex 21,17). Or, dans la tradition orale, un homme pouvait offrir à Dieu, la somme (en tout ou partie) servant au soutien de ses parents nécessiteux. Cette règle était l’objet de débats au sein du Judaïsme au temps de Jésus, comme au sein des pharisiens. Jésus met ici en contradiction cette tradition orale avec l’un des dix premiers commandements auquel rien ni personne ne devrait s’opposer.

Faux culte

En démontrant cette opposition, Jésus fait de ces pharisiens de Jérusalem des transgresseurs de la Loi de Moïse, qui à cause leur tradition maudisse leur père et leur mère (Ex 21,17). Jésus insiste encore en reprenant un passage du prophète Isaïe (Is 29,13). Non seulement leur tradition fait de ces pharisiens des transgresseurs de la Loi, mais elle les détourne d’un culte sincère. Ils sont ainsi accusés d’être plus fidèles à de faux préceptes qu’à Dieu. Les accusations sont graves.

Jésus enseigne (15,10-11)

15, 10 Jésus appela la foule et lui dit : « Écoutez et comprenez bien ! 11 Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur ; mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui rend l’homme impur. »

Ce qui sort de la bouche …

Jésus semble mettre fin au débat en s’adressant directement à la foule. Sa posture enseignante affirme son autorité vis-à-vis des pharisiens jérusalémites. Son premier mot ‘Écoutez’ fait écho à l’impératif de Moïse donnant à son peuple ses Lois : Écoute, Israël (Dt 6,4). Son enseignement donne une interprétation de la Loi de pureté pour le quotidien du croyant. Ce n’est pas ce qui entre, mais ce qui sort de la bouche qui rend impur. La phrase renvoie celui-ci non à des règles à suivre (pour soi), mais à des paroles à donner. Dans ce contexte, la parole de Jésus peut viser nos pharisiens qui sont à l’écoute. Par leur fausse accusation, leurs mauvais enseignements, ils se rendent impurs en dépit de leurs mains scrupuleusement propres.

Scandale (15,12-14)

15, 12 Alors les disciples s’approchèrent et lui dirent : « Sais-tu que les pharisiens ont été scandalisés en entendant cette parole ? » 13 Il répondit : « Toute plante que mon Père du ciel n’a pas plantée sera arrachée. 14 Laissez-les ! Ce sont des aveugles qui guident des aveugles. Si un aveugle guide un aveugle, tous les deux tomberont dans un trou. »

L’ensemencement du Royaume

Les disciples ont bien compris que les paroles de Jésus étaient destinées aux pharisiens. Pour ce dernier, il devient une occasion de scandale et de chute. Ses propos les choquent mais surtout, selon leur point de vue, ils pervertissent le peuple. La réponse de Jésus ne situe plus maintenant sur des questions de Loi et de traditions. Il met en avant son autorité de Fils annonçant le Royaume et le Jugement du Père, Dieu unique. Dans cette ensemencement du Royaume, les pharisiens sont comparés à l’ivraie de la parabole (Mt 13,24-43). Sans conversion, leur obstination aveugle les conduira à leur perte.

De la bouche au cœur (15,15-20)

15, 15 Prenant la parole, Pierre lui dit : « Explique-nous cette parabole. »16Jésus répliqua : « Êtes-vous encore sans intelligence, vous aussi ? 17 Ne comprenez-vous pas que tout ce qui entre dans la bouche passe dans le ventre pour être éliminé ? 18 Mais ce qui sort de la bouche provient du cœur, et c’est cela qui rend l’homme impur. 19 Car c’est du cœur que proviennent les pensées mauvaises : meurtres, adultères, inconduite, vols, faux témoignages, diffamations. 20 C’est cela qui rend l’homme impur, mais manger sans se laver les mains ne rend pas l’homme impur. »

Pierre et la parabole

On aurait pu penser que Jésus éclaire le passage précédent concernant les aveugles guidant un aveugle. Mais il n’interprète pas cette parabole-là. Le fait que ce soit Pierre qui interroge Jésus, nous renvoie à la foi en celui qu’ils ont reconnu Fils de Dieu et qui les a guidés dans la tempête vers le salut. Il n’est nul besoin d’autres réponses. Du moins pour le moment.

Jésus préfère revenir à la question de pureté avec une autre interprétation. Ce n’est plus la bouche mais le cœur qui est ici source de pureté et d’impureté. Dans le langage biblique et sémitique, le cœur n’est pas le symbole de l’amour ou du sentiment. Il est le siège du discernement, de la pensée, de la raison. Jésus définit ainsi le critère de pureté non sur des aspects extérieurs (lavage de mains…) mais sur une disposition intérieure.

C’est même en ce cœur que se joue l’appel à suivre les commandements. En citant le meurtre, l’adultère, l’inconduite, le vol et le faux témoignage, Jésus fait référence encore aux dix commandements et faisant suite à celui sur les parents.

Ex 20 13 Tu ne commettras pas de meurtre.14 Tu ne commettras pas d’adultère. 15 Tu ne commettras pas de vol. 16 Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain. 17 Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain ; tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne : rien de ce qui lui appartient. »

La véritable pureté est ainsi associée au souci de la vie du prochain, de son entourage et de ses biens. L’impureté se définit, à l’inverse, par un manquement vis-à-vis de la Loi de Dieu ET vis-à-vis du prochain. C’est le cœur, et non les mains, qui est appelé à se convertir à l’avènement du Royaume et l’annonce de l’Évangile du seul et unique Père. Cependant, mais pour des raisons d’hygiène, il est toujours bon de se laver les mains avant de manger.

François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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