Marcher dans la foi, sur la mer (Mt 14,22-36)

Parallèles : Mc 6,47-56 | Jn 6,16-23

19ème dim. ord. (A) : Mt 14,22-33

Les récits précédents ont souligné ces vives oppositions que subissait l’avènement du Royaume dès ses débuts, depuis le baptiste jusqu’à Nazareth. Cependant, les foules rassasiées par quelques pains et poissons multipliés ont aussi montré combien la marche de l’Évangile poursuivait sa course, malgré les obstacles et en s’appuyant sur la pauvreté des disciples. Ce sont ces mêmes disciples qui sont maintenant l’objet de tribulations lors d’une tempête nocturne.

Mosaïque, Jésus en prière

Le soir, la montagne et la barque (14,22-24)

14 , 22 Aussitôt [après avoir nourri la foule dans le désert,] Jésus obligea les disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules. 23 Quand il les eut renvoyées, il gravit la montagne, à l’écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul. 24 La barque était déjà à une bonne distance de la terre, elle était battue par les vagues, car le vent était contraire.

Seul à l’écart

Ces premiers versets dessinent le cadre et viennent séparer les protagonistes. Jésus oblige ses disciples à embarquer sans lui. De même les foules sont renvoyées à leur domicile. Chacun est placé dans un cadre très différent : la mer pour les disciples, la terre pour les foules, la montagne pour Jésus.  Il y a ici comme une dispersion, qui ne sera que temporaire : les disciples devant le précéder sur l’autre rive, où nous attendent d’autres foules.

La montagne représente ici le lieu biblique de la rencontre avec Dieu, comme ce fut le cas pour Moïse (Ex 19) ou Élie (1R 19). Elle manifeste ce lien singulier qui unit Jésus à son Père. Il est à l’écart, seul pour le prier… Et la nuit vient.

Le récit introduit une dramatique. Les disciples sont abandonnés au gré des vents, des vagues et de cette mer dont on sait qu’elle symbolise bibliquement le danger et la mort. Ils sont loin, et de la terre des hommes, et de la montagne de Dieu, à cause de cette tempête qui semble les figer. Ce récit anticipe ou éclaire la situation de ces premiers chrétiens, au temps de Matthieu, qui n’ont plus ‘charnellement’ leur Seigneur à leur côté, et qui face à des vagues de persécutions et des vents d’oppositions, se sentent abandonnés, et de Dieu, et des hommes. C’est le soir, la nuit ne fait que commencer. Bientôt, avec les ténèbres, ils ne verront plus rien, ni personne, sauf peut-être la mort.

François Boucher, 1766

Jésus marche sur la mer (14,25-27)

14, 25 Vers la fin de la nuit, Jésus vint vers eux en marchant sur la mer. 26 En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent bouleversés. Ils dirent : « C’est un fantôme. » Pris de peur, ils se mirent à crier. 27 Mais aussitôt Jésus leur parla : « Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur ! »

Une barque en difficulté

Les difficultés de la barque ecclésiale durent ainsi toute la nuit. Une vraie nuit de ténèbres, de peur, de crainte, de dangers. Jésus vient donc comme pour annoncer le jour, marchant sur la mer, tel victorieux de la mort. Le récit emprunte beaucoup au langage pascal que nous entendrons à la fin de l’évangile : une nuit, un matin, une manifestation et des disciples bouleversés. Avec ces allusions, Matthieu déjà anticipe Pâques et la vie de la communauté postpascale. Les disciples ont suivi les ordres de Jésus. Ils se sont embarqués à sa Parole, mais doivent affronter bien des dangers. Ils rament, seuls, en vain, sans pouvoir atteindre l’autre rive.

Jésus marche sur la mer et se manifeste à eux. Loin de les rassurer, cette vision génère encore plus de peur. Leur remarque ‘C’est un fantôme’ exprime leur désespérance : est-ce la mort et le shéol qui viennent à eux ? Leur combat est-il perdu ?

Par cette marche sur les eaux, Matthieu entend montrer que le Christ demeure présent à ses disciples. Il vient à eux, sans attendre qu’ils le rejoignent, au milieu de cette mer toujours démontée. Plus que sa présence, c’est sa parole qui retentit comme un appel à l’espérance.

Alexandre Ivanov 1850

La négociation de Pierre (14,28-31)

14, 28 Pierre prit alors la parole : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux. » 29 Jésus lui dit : « Viens ! » Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus. 30 Mais, voyant la force du vent, il eut peur et, comme il commençait à enfoncer, il cria : « Seigneur, sauve-moi ! » 31 Aussitôt, Jésus étendit la main, le saisit et lui dit : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? »

Les doutes

Ce passage de Pierre marchant sur les eaux est propre à l’évangéliste Matthieu et sert à souligner le manque de foi des disciples, dont les plus éminents, au milieu des difficultés. De quoi Pierre a-t-il douté ? Qu’il pouvait marcher lui aussi sur les eaux tempétueuse de la mort ? Peut-être. Mais le récit de Matthieu introduit ce ‘manque de foi’ et ce ‘doute’ dès le début de ce passage (v.25-26).

La parole de Pierre est très ambiguë, mêlant l’impératif et le conditionnel. Ce faisant, en demandant à Jésus de lui ordonner de marcher sur la mer, n’est-ce pas Pierre qui ordonne, exige une preuve de son Seigneur ? S’il doute, ce n’est pas de marcher sur les eaux : il montre à ce propos aucune hésitation. Son scepticisme porte sur la présence même de Jésus au milieu d’une tempête, que lui-même, bon marin, n’a pu maîtriser.

Pierre demande un miracle. Jésus appelle à une rencontre : Viens ! Pierre voit la force du vent et il sombre. Le miracle ne vaut rien pour lui-même. Et Pierre doit désormais se tourner non vers un thaumaturge, ou une puissance divine, mais vers son Sauveur et surtout se laisser saisir par lui.

La situation s’est donc inversée. Pierre exigeait un miracle de Jésus, désirant lui aussi vaincre cette mer à l’image d’un Dieu. Mais il n’est qu’un homme. C’est pourtant dans cette faiblesse humaine et au milieu de la tempête que Pierre s’adresse à Jésus en reconnaissant en lui son sauveur et Seigneur qui lui tend la main.  

Cornelis de Wael, La tempête apaisée, XVIIe

Fils de Dieu (14,32-33)

14, 32 Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba. 33 Alors ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui, et ils lui dirent : « Vraiment, tu es le Fils de Dieu ! »

La reconnaissance

Dans le récit de Matthieu, ce n’est que lorsque Jésus, reconnu Sauveur et Seigneur, monte dans la barque, que le vent tombe. Pas de parole contre le vent, pas de geste sur la mer. Sa seule présence au milieu des siens, dans la foi, est déjà une victoire. « Vraiment, tu es le Fils de Dieu ». Cette profession de foi nous renvoie à la croix au pied de laquelle le centurion et ses soldats reconnaîtront: Vraiment, celui-ci était Fils de Dieu.  (Mt 27,54). Ainsi, si la proclamation des disciples reconnaît en Jésus ce Messie et Fils de Dieu, elle intègre à cette foi et à ce Salut, la nécessaire place de la croix.

Génésareth (14,34-36)

14, 34 Après la traversée, ils abordèrent à Génésareth. 35 Les gens de cet endroit reconnurent Jésus ; ils firent avertir toute la région, et on lui amena tous les malades. 36 Ils le suppliaient de leur laisser seulement toucher la frange de son manteau, et tous ceux qui le faisaient furent sauvés.

La foi

Et voilà que nos protagonistes du début se retrouvent réunis : Jésus, les disciples et d’autres foules. La tempête n’empêche pas Jésus de poursuivre sa mission. Paradoxalement, ces habitants de Génésareth reconnaissent plus aisément Jésus que les disciples dans la tempête, pour en attendre un salut. Ces gens de Génésareth font preuve autant d’ardeur missionnaire que de foi : ils avertissent la région, et les malades n’exigent pas de grands gestes : seulement toucher la frange de son manteau. Celle-ci peut évoquer la foi juive de Jésus en ce Dieu sauveur:

Tu diras aux fils d’Israël qu’ils se fassent une frange aux pans de leurs vêtements … Vous aurez donc une frange ; chaque fois que vous la regarderez, vous vous rappellerez tous les commandements du Seigneur … vous serez saints pour votre Dieu. Je suis le Seigneur votre Dieu, moi qui vous ai fait sortir du pays d’Égypte pour être votre Dieu. (Nb 15,38-40)

Mais la frange du manteau peut aussi être le signe de ce temps du Royaume attendu :

Ainsi parle le Seigneur de l’univers : En ces jours-là, dix hommes de toute langue et de toute nation saisiront un Juif par son vêtement et lui diront : « Nous voulons aller avec vous, car nous avons appris que Dieu est avec vous. » (Za 8,23)

Le chapitre suivant mettra en scène ces deux thèmes :  Jésus face à des questions de Loi (15,1-20) et face à une femme d’une autre nation (15,21-28)

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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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