La marche sur la mer (Jn 6,16-23)

Parallèles : Mt 14,22-36 | Mc 6,47-56

Le récit de la multiplication se terminait par un malentendu quant à la royauté de Jésus. Le signe de la marche sur les eaux vient le dissiper, du moins aux yeux des disciples. Au refus d’être fait roi par une foule, Jésus manifeste une autre royauté, reçu du Père.

Julius Sergius Von Klever, Le christ marchant sur les eaux,1880

En marchant sur les eaux (6,16-21)

Jn 6, 16 Le soir venu, ses disciples descendirent jusqu’à la mer. 17 Ils s’embarquèrent pour gagner Capharnaüm, sur l’autre rive. C’était déjà les ténèbres, et Jésus n’avait pas encore rejoint les disciples. 18 Un grand vent soufflait, et la mer était agitée. 19 Les disciples avaient ramé sur une distance de vingt-cinq ou trente stades (c’est-à-dire environ cinq mille mètres), lorsqu’ils virent Jésus qui marchait sur la mer et se rapprochait de la barque. Alors, ils furent saisis de peur. 20 Mais il leur dit : « C’est moi. N’ayez plus peur. » 21 Les disciples voulaient le prendre dans la barque ; aussitôt, la barque toucha terre là où ils se rendaient.

La version de Jean

L’évangéliste reprend les mêmes éléments que la tradition synoptique (Mc 6 ; Mt 14,) : la mention du soir, la barque, le vent et la mer agitée, la marche de Jésus sur les eaux et sa parole aux disciples affolés : C’est moi : n’ayez pas peur ! Cependant, il s’en distingue par certains éléments. Ainsi, les disciples s’embarquent d’eux-mêmes et non sur ordre de Jésus, et le récit ne dramatise pas la situation des disciples, au milieu de la mer, qui ne prennent pas Jésus pour un fantôme. De plus, la finale du récit est tout à fait propre au quatrième évangile et surprend le lecteur : le rivage est aussitôt atteint alors que les disciples s’apprêtent à recevoir Jésus en leur barque. Les disciples voulaient le prendre dans la barque ; aussitôt, la barque toucha terre là où ils se rendaient.

Un signe indissociable du précédent

Le récit associe la mention du soir et des ténèbres à la décision des disciples de partir pour Capharnaüm, en l’absence de Jésus. Livrés à eux-mêmes, sans Jésus, les disciples connaissent les ténèbres. De leur seule initiative et par leurs propres moyens, les disciples embarqués peinent dans la tempête. Cette barque unique, chez Jean, lui confère un caractère éminemment ecclésial. Si la tentative de la foule de se saisir de Jésus pour le faire roi anticipait la croix, le récit de la marche sur les eaux évoque, quant à lui, la victoire annoncée de Jésus sur la mort. Le discours du pain de vie sera donc à entendre dans une dimension résurrectionnelle que la fête de la pâque, proche, lui donnait déjà.

Henry Ossawa Tanner, Les disciples voyant le Christ marcher sur les eaux, v. 1907

Jésus l’insaisissable

Le récit de la marche sur les eaux montre également l’impossibilité de se saisir du Christ, d’avoir une emprise sur lui y compris pour ses proches disciples : ils veulent le faire entrer dans la barque que, déjà, ils sont sur le rivage. Toute la primauté est donnée au Christ : lui, et lui seul, agit pour les siens. Le texte souligne l’identité de celui qui a multiplié les pains : le signe incompris par la foule est maintenant donné à voir aux disciples. La marche sur les eaux, lieux de la mort et du chaos, identifie Jésus avec le Dieu, créateur, et libérateur  :

Gn 1,1 Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. 2 La terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux.

Ex 14, 21 Moïse étendit le bras sur la mer. Le Seigneur chassa la mer toute la nuit par un fort vent d’est ; il mit la mer à sec, et les eaux se fendirent. 22 Les fils d’Israël entrèrent au milieu de la mer à pied sec, les eaux formant une muraille à leur droite et à leur gauche.

Le rivage

L’arrivée soudaine sur le rivage montre combien la Parole de Jésus a, d’emblée, aboli les eaux de la mort et a ouvert un passage salutaire aux disciples. À l’épiphanie de la multiplication des pains succède celle de la marche sur les eaux. L’évangéliste affirme, une fois encore, l’identité divine de Jésus en empruntant le ‘Je suis’ divin d’Exode 3,14 Tu parleras ainsi aux fils d’Israël : “Celui qui m’a envoyé vers vous, c’est : JE-SUIS”. À travers le ‘je suis’ (traduit par : c’est moi) s’exprime la présence même de Dieu par son Fils. Un Fils qui met fin à la crainte des siens. Cependant, la reconnaissance de cette identité divine par ses disciples n’ira pas de soi : la fin de ce chapitre montera la défection de beaucoup d’entre eux, après le discours du pain de vie.

Multiplication des pains et marche sur les eaux, 1386

Le lendemain (6,22-23)

6, 22 Le lendemain, la foule restée sur l’autre rive se rendit compte qu’il n’y avait eu là qu’une seule barque, et que Jésus n’y était pas monté avec ses disciples, qui étaient partis sans lui. 23 Cependant, d’autres barques, venant de Tibériade, étaient arrivées près de l’endroit où l’on avait mangé le pain après que le Seigneur eut rendu grâce.

Le retour de la foule

Deux lieux sont, pour l’instant, opposés. L’évangéliste nous place, ici, à l’endroit où l’assemblée prend plus d’ampleur avec de nouveaux arrivants. Ils sont ceux qui ont suivi Jésus à cause des signes et qui veulent le faire roi. Et puis, il y a cet autre endroit où se trouve ses disciples, là-bas. Mais, Jésus demeure l’absent… Un absent des yeux, qui va bientôt rassembler la foule et les disciples.

Ces versets servent ainsi de transition. Ils permettent de réunir les deux signes précédents, avec la seule barque des disciples et ces autres qui viennent là où Jésus les avait nourris.

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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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