A la fête des Tentes (2/4) Il égare les foules (Jn 7,11-53)

Pentecôte (veille au soir) 7,37-39

La fête des Tentes, dans l’évangile selon Jean, sert de contexte narratif aux controverses opposant Jésus et les Juifs de Jérusalem. Le conflit porte sur l’identité messianique de Jésus, que l’épisode avec ses frères de Jésus (7, 1-10) avait introduit.

Il égare les foules (7, 11-13)

Jn 7, 11 Les Juifs le cherchaient pendant la fête, en disant : « Où donc est-il ? » 12 On discutait beaucoup à son sujet dans la foule. Tandis que les uns disaient : « C’est un homme de bien », d’autres répliquaient : « Mais non, il égare la foule. » 13 Toutefois, personne ne parlait ouvertement de lui, par crainte des Juifs.

Un crescendo

La manière de considérer Jésus comme un homme qui égare les foules sera aussi mentionnée au verset 47 à propos des auxiliaires, cependant non plus dans un contexte de désaccord (v.12) mais de divisions (v.43). Ainsi se présente à nous un récit développant un crescendo dramatique où l’incroyance et le rejet se font sentir davantage. Les Juifs de Jérusalem s’opposent ainsi de plus en plus durement à Jésus. La critique de ce dernier est parallèle au jugement sévère à l’égard de la foule. Dans ce passage, celle-ci, selon la critique, s’éloigne des préceptes de la Foi à cause ce Nazaréen qui l’égare. L’égarement dont il est question est à rapprocher, dans la tradition biblique, au fait de ne plus suivre les chemins de Dieu pour se tourner vers l’idolâtrie : la malédiction si vous n’écoutez pas les commandements du Seigneur votre Dieu, si vous vous égarez du chemin que je vous prescris aujourd’hui, pour suivre d’autres dieux que vous ne connaissez pas (Dt 11, 28)

Jésus, comme ceux qui vont croire en lui, est perçu, par certains, tel un individu détournant les Juifs de la volonté de Dieu. Ainsi, à la fin de cette section, une partie de la foule sera maudite : Quant à cette foule qui ne sait rien de la Loi, ce sont des maudits ! (v. 19) Ces versets soulignent cette opposition qui fait de Jésus un opposant à la Loi de Dieu. La crainte de représailles se fera donc de plus en plus sentir. Cette section montre combien l’opposition à Jésus, se double d’une opposition à ceux qui croient en lui. Les premiers destinataires de l’évangile, ces judéo-chrétiens exclus de la synagogue peuvent se sentir concernés. Où est donc Jésus : tel un homme de bien, c’est-à-dire du côté de Dieu, ou parmi ceux qui détournent le croyant de la volonté divine ?

James Tissot, Jésus et les pharisiens, 1891.

Au milieu de la fête, dans le Temple (7, 14-24)

7, 14 On était déjà au milieu de la semaine de la fête quand Jésus monta au Temple ; et là il enseignait. 15 Les Juifs s’étonnaient et disaient : « Comment est-il instruit sans avoir étudié ? » 16 Jésus leur répondit : « Mon enseignement n’est pas de moi, mais de Celui qui m’a envoyé. 17 Quelqu’un veut-il faire la volonté de Dieu, il saura si cet enseignement vient de Dieu, ou si je parle de ma propre initiative. 18 Si quelqu’un parle de sa propre initiative, il cherche sa gloire personnelle ; mais si quelqu’un cherche la gloire de celui qui l’a envoyé, celui-là est vrai et il n’y a pas d’imposture en lui. 19 Moïse ne vous a-t-il pas donné la Loi ? Et aucun de vous ne met la Loi en pratique. Pourquoi cherchez-vous à me tuer ? » 20 La foule répondit : « Tu as un démon. Qui donc cherche à te tuer ? » 21 Jésus leur répondit : « Pour une seule œuvre que j’ai faite, vous voilà tous dans l’étonnement. 22 Moïse vous a donné la circoncision – en fait elle ne vient pas de Moïse, mais des patriarches –, et vous la pratiquez même le jour du sabbat. 23 Eh bien ! Si, le jour du sabbat, un homme peut recevoir la circoncision afin que la loi de Moïse soit respectée, pourquoi vous emporter contre moi parce que j’ai guéri un homme tout entier le jour du sabbat ? 24 Ne jugez pas d’après l’apparence, mais jugez selon la justice. »

Instruit sans avoir étudié

En réponse à cette grave critique à l’égard de Jésus, l’évangéliste montre celui-ci enseignant au sein du Temple. Cependant, cet enseignement ne se résume pas à une instruction à propos des préceptes de la Loi. L’évangéliste ne donne pas le contenu de son enseignement mais des éléments permettent d’en deviner la qualité. La remarque Comment est-il instruit sans avoir étudié ? peut s’entendre de deux manières. Elle suggère l’étonnement quant à l’identité de Jésus : D’où tient-il ce discours ? Il ne s’inscrit pas dans la tradition des docteurs de Loi. Mais la remarque suggère aussi la défiance quant à l’autorité des paroles de Jésus. Ne serait-ce pas un élément à charge contre lui soupçonné d’égarer les foules ?

Certes, son enseignement diffère d’une instruction savante, cependant, elle s’inscrit bien dans la volonté divine. Ce n’est plus le contenu du discours qui importe dès lors, mais le locuteur : Jésus lui-même, non pas docteur de la Loi, mais Fils et serviteur de la Parole. Il se distingue ainsi ceux qui tirent leur propre gloire de leurs enseignements et de leur réputation en la matière. Leurs débats et discussions sur les 613 préceptes de la Torah, rendent impossible à mettre en pratique la Loi.

Tu ne tueras pas

Aussi, au savoir expert, Jésus oppose la relation au Père et à son envoyé. Sa parole, et sa vie, n’est pas autre chose que l’enseignement de Dieu qui inspira la Torah, la Loi de Moïse. Là encore, à ce propos, l’évangéliste opère un glissement signifiant. Il mentionne ainsi, de manière surprenante, le complot des Juifs de Jérusalem contre la vie même de Jésus. Or ce désir de le tuer s’oppose à la Loi de Moïse : Tu ne tueras pas (Ex 20,13). Dès lors, les accusateurs deviennent ceux qui égarent le peuple. Et tout aussi paradoxalement, c’est bien par sa mort que, dans l’évangile de Jean, Jésus va manifester au monde (7, 1-11), tout l’amour de Dieu et l’inauguration d’une alliance nouvelle. La vie et la mort de Jésus représentent ainsi tout l’enseignement du Père.

Vers la nouvelle Alliance

Le discours de Jésus introduit la mention de la circoncision, un jour de sabbat. La loi, bien comprise, permet de faire une œuvre bonne, la circoncision, en ce jour où toute activité est interdite. La circoncision, effectuée huit jours après la naissance, constitue la marque de l’entrée dans le peuple de l’Alliance. Elle prime et précède donc sur la Loi dont le commandement du sabbat. Dès lors, l’accueil de l’Époux eschatologique (3, 27-30) , Christ d’une alliance nouvelle, ne contredit pas la Torah, mais surpasse et commande tous les commandements. Ainsi, la guérison du paralytique à la piscine de Bethzatha (5, 1-47) représente l’œuvre de l’envoyé du Père, signe de l’Alliance nouvelle.

James Tissot, Jésus, les pharisiens et les sadducéens, 1892.

Le reconnaître comme Christ (7,25-36)

7, 25 Quelques habitants de Jérusalem disaient alors : « N’est-ce pas celui qu’on cherche à tuer ? 26 Le voilà qui parle ouvertement, et personne ne lui dit rien ! Nos chefs auraient-ils vraiment reconnu que c’est lui le Christ ? 27 Mais lui, nous savons d’où il est. Or, le Christ, quand il viendra, personne ne saura d’où il est. » 28 Jésus, qui enseignait dans le Temple, s’écria : « Vous me connaissez ? Et vous savez d’où je suis ? Je ne suis pas venu de moi-même : mais il est véridique, Celui qui m’a envoyé, lui que vous ne connaissez pas. 29 Moi, je le connais parce que je viens d’auprès de lui, et c’est lui qui m’a envoyé. » 30 On cherchait à l’arrêter, mais personne ne mit la main sur lui parce que son heure n’était pas encore venue. 31 Dans la foule beaucoup crurent en lui, et ils disaient : « Le Christ, quand il viendra, accomplira-t-il plus de signes que celui-ci n’en a fait ? » 32 Les pharisiens entendirent la foule discuter ainsi à son propos. Alors les grands prêtres et les pharisiens envoyèrent des gardes pour l’arrêter. 33 Jésus déclara : « Pour un peu de temps encore, je suis avec vous ; puis je m’en vais auprès de Celui qui m’a envoyé. 34 Vous me chercherez, et vous ne me trouverez pas ; et là où je suis, vous ne pouvez pas venir. » 35 Les Juifs se dirent alors entre eux : « Où va-t-il bien partir pour que nous ne le trouvions pas ? Va-t-il partir chez les nôtres dispersés dans le monde grec, afin d’instruire les Grecs ? 36 Que signifie cette parole qu’il a dite : “Vous me chercherez, et vous ne me trouverez pas, et là où je suis, vous ne pouvez pas venir” ? »

D’où est-il ?

L’évangéliste rappelle une fois encore le lieu du Temple comme celui de l’enseignement et du débat en cette fête des Tentes. La question de l’origine de Jésus revient sur le devant de la scène. L’identification de Jésus au Christ attendu pose question. Ce Jésus de Nazareth ne correspond pas à la représentation que l’ont avait alors du Christ dont on saura d’où il vient. A la connaissance supposée, et savante, des détracteurs, s’oppose la connaissance intime du Fils envers le Père. Ce ne sont pas ses frères, son origine, qui témoignent de l’identité du Christ, mais Dieu lui-même. Bien plus, l’évangéliste déjà annonce encore combien Jésus, Fils et Christ, ne se révélera pleinement qu’à la croix : son heure n’est pas encore venue. Le mot heure, chez Jean, renvoie toujours à celle de la Passion (13,1). Là encore, est mise à mal la représentation d’un Christ de Dieu, bras armé et vengeur lors du Jour Dernier. La présence de Jésus et sa parole soulèvent davantage de questions tant elles bouleversent les conventions. Vous me chercherez, et vous ne me trouverez pas, et là où je suis, vous ne pouvez pas venir. Ainsi, les Juifs de Jérusalem cherche Jésus selon leur propre critère, et ne peuvent le saisir lui qui tendu vers Dieu. Or ce n’est pas aux hommes de saisir qui est le Christ, c’est au Christ de révéler qui il est et qui est véritablement le Père.

Guercino, Le Christ et la Samaritaine, 1640.

Au dernier jour de la fête (7,37-39)

7, 37 Au jour solennel où se terminait la fête, Jésus, debout, s’écria : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive, 38 celui qui croit en moi ! Comme dit l’Écriture : De son cœur couleront des fleuves d’eau vive. » 39 En disant cela, il parlait de l’Esprit Saint qu’allaient recevoir ceux qui croiraient en lui. En effet, il ne pouvait y avoir l’Esprit, puisque Jésus n’avait pas encore été glorifié.

Publiquement

Le récit change de ton. A la contestation succède une affirmation aussi solennelle que ce dernier jour de fête. La parole de Jésus ne s’adresse pas à ses seuls disciples, ni à ses opposants, mais à l’ensemble des pèlerins. Il n’est plus question de parcourir secrètement à Jérusalem (7, 1-11). Jésus s’affirme publiquement au sein du Temple. C’est la parole du Christ attendu. Car, la fête des tentes est liée à l’attente messianique et eschatologique, selon la parole du prophète Zacharie où tous viendront à Jérusalem pour se prosterner devant le Roi Seigneur de l’univers, et célébrer la fête des Tentes (Za 14, 16.) De même en ce dernier jour, un prêtre puisait de l’eau à la piscine de Siloé, pour monter au Temple en procession, et la répandre sur l’autel des sacrifices. Et d’eau, il est bien question.

L’eau vive des prophètes

Ce qu’il avait annoncé à la femme de Samarie (4, 3-42), Jésus l’affirme aux Juifs rassemblés à Jérusalem. Il se propose comme celui qui donne l’eau vive promise par l’Écriture. La citation ne se trouve pas telle qu’elle dans la Bible et peut faire écho à plusieurs versets notamment dans le livre du prophète Isaïe :

Is 12,3 Vous puiserez de l’eau avec joie aux sources du salut.
Is 44,3 car je répandrai des eaux sur l’assoiffé, des ruissellements sur la desséchée; je répandrai mon Esprit sur ta descendance, ma bénédiction sur tes rejetons; 
Mais encore, au prophète Zacharie évoqué plus haut :
Za 14,8 En ce jour-là, des eaux vives sortiront de Jérusalem, moitié vers la mer Orientale, moitié vers la mer Occidentale. 

La parole de Jésus évoque ainsi l’accomplissement de la promesse de Dieu venant renouveler son peuple et son temple. Elle résonne comme une provocation : il se présente en lieu et place du Temple nouveau d’où, selon la vision du prophète Ézéchiel (Ez 47, 1), sortait de l’eau de dessous le seuil de la Maison, […] et l’eau descendait au bas du côté droit de la Maison, au sud de l’autel. Ainsi la présence de Jésus inaugure le temps eschatologique du salut. Pour l’évangéliste, il est celui qui accomplit, au nom du Père, une alliance nouvelle liée au don de l’Esprit de Dieu :

Ez 36  27 Je mettrai en vous mon propre Esprit, je vous ferai marcher selon mes lois, garder et pratiquer mes coutumes.

Jr 31 31 Des jours viennent– oracle du Seigneur – où je conclurai avec la communauté d’Israël– et la communauté de Juda– une nouvelle alliance. […] 33 Voici donc l’alliance que je conclurai avec la communauté d’Israël après ces jours-là– oracle du Seigneur : je déposerai mes directives au fond d’eux-mêmes, les inscrivant dans leur être; je deviendrai Dieu pour eux, et eux, ils deviendront un peuple pour moi.  34 Ils ne s’instruiront plus entre compagnons, entre frères, répétant: « Apprenez à connaître le Seigneur », car ils me connaîtront tous, petits et grands– oracle du Seigneur . Je pardonne leur crime; leur faute, je n’en parle plus.

Or cette alliance nouvelle, où la connaissance intime supplante le savoir, sera révélée pleinement lors de la Passion lorsque l’un des soldats, de sa lance, lui perça le côté et il sortit aussitôt du sang et de l’eau. (19, 34)

Jésus et Nicodème par Crijn Hendricksz, 1645

Il égare les auxiliaires. (7, 40-53)

7, 40 Dans la foule, on avait entendu ses paroles, et les uns disaient : « C’est vraiment lui, le Prophète annoncé ! » 41 D’autres disaient : « C’est lui le Christ ! » Mais d’autres encore demandaient : « Le Christ peut-il venir de Galilée ? 42 L’Écriture ne dit-elle pas que c’est de la descendance de David et de Bethléem, le village de David, que vient le Christ ? » 43 C’est ainsi que la foule se divisa à cause de lui. 44 Quelques-uns d’entre eux voulaient l’arrêter, mais personne ne mit la main sur lui. 45 Les gardes revinrent auprès des grands prêtres et des pharisiens, qui leur demandèrent : « Pourquoi ne l’avez-vous pas amené ? » 46 Les gardes répondirent : « Jamais un homme n’a parlé de la sorte ! » 47 Les pharisiens leur répliquèrent : « Alors, vous aussi, vous vous êtes laissé égarer ? 48 Parmi les chefs du peuple et les pharisiens, y en a-t-il un seul qui ait cru en lui ? 49 Quant à cette foule qui ne sait rien de la Loi, ce sont des maudits ! » 50 Nicodème, l’un d’entre eux, celui qui était allé précédemment trouver Jésus, leur dit : 51 « Notre Loi permet-elle de juger un homme sans l’entendre d’abord pour savoir ce qu’il a fait ? » 52 Ils lui répondirent : « Serais-tu, toi aussi, de Galilée ? Cherche bien, et tu verras que jamais aucun prophète ne surgit de Galilée ! » 53 Puis ils s’en allèrent chacun chez soi.

Divisions et contestations

La foule est divisée. Jésus suscite autant d’engouement que de contestations. Son origine galiléenne contredit la prophétie qui veut que le messie vienne de Bethléem, ville de David, comme l’annonçait la parole du prophète Michée : Et toi, Bethléem Ephrata, trop petite pour compter parmi les clans de Juda, de toi sortira pour moi celui qui doit gouverner Israël. (Mi 5, 1). Pour l’évangéliste, Jésus ne vient pas répondre à la lettre des prophètes, mais au dessein du Père quitte à bouleverser les représentations populaires ou pharisiennes du Messie davidique et glorieux. La réaction des gardes du Temple montre combien, plus que les signes, sa Parole interpelle. Cependant, même Nicodème (Jn 3) ne parvient pas à convaincre ses coreligionnaires qui l’admonestent, comme ils ont condamné la foule à l’ignorance. Le clan de notables juifs de Jérusalem devient celui des opposants à Jésus.

François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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