Le discours du pain de Vie (Jn 6) a eu pour conséquence de voir se réduire conséquemment le nombre des disciples de Jésus. Sa parole le désignant comme le pain de vie descendu du ciel se donnant en nourriture n’a pas fait pas l’unanimité, y compris dans ses propres rangs. Avec ce nouveau chapitre, ce sont maintenant ses frères qui ne croient pas en lui (7,5).
L’unité des chapitres 7 et 8
Ce passage confrontant Jésus et ses frères va nous permettre de rendre compte de l’unité cohérente que forment les chapitres 7 et 8 de l’évangile. Ces dix premiers versets vont ramener le lecteur depuis la Galilée jusqu’à Jérusalem dans l’ambiance de la fête des Tentes (7,2.11.14.37). Succédera, alors, une fête tout aussi automnale : celle de la Dédicace (10,22). Les actions de ces chapitres 7-10 se déroulent majoritairement dans le Temple où Jésus enseigne (7,14.25.35) ; 8,2.20.28) et fait face à la contestation, que ce soit celle de ses frères, de la foule, des juifs de Jérusalem, des pharisiens et des grands prêtres. Les paroles de Jésus questionnent autant qu’elles suscitent de vives réactions. Accusé par tous, l’ensemble de ces chapitres ressemblent bien à un véritable procès à son encontre. Un procès que subira, aussi, l’aveugle-né (Jn 9). Cette opposition va crescendo. L’évangéliste, après avoir rappelé que les juifs de Jérusalem cherchent à tuer Jésus (7,1.19), montrent que ces derniers essaient de saisir de lui (7,30.32.44) avant de tenter de le lapider (8,59).
La fête des Tentes
Tout cela se situe donc à l’occasion de la fête des Tentes. Celle-ci, également appelée en hébreu souccot, est célébrée du 15 au 21 Tishri, soit aux environs de septembre-octobre. Fête joyeuse et très populaire, souccot fait mémoire de la marche des hébreux au désert après la sortie d’Égypte (Ex 23,13 / Lv 23, 23-24). Les familles dressent, chez eux, durant la fête des huttes ou des tentes rappelant le temps avant l’arrivée en terre promise. La fête des tentes est aussi un temps lié à l’attente messianique et eschatologique, selon la parole du prophète Zacharie :
Za 14, 16 Alors tous les survivants des nations qui auront marché contre Jérusalem monteront année après année se prosterner devant le Roi Seigneur de l’univers, et célébrer la fête des Tentes.
La venue et le règne du Seigneur et Roi rend compte du jour du Seigneur qui, victorieux, voit les nations venir à lui. Le contexte de la fête des Tentes permet de comprendre la réflexion de ses frères : il faut te manifester au monde (7,4). La fête permettra aussi de mieux saisir la parole de Jésus : Je suis la lumière du monde (8,12), et la guérison de l’aveugle de naissance s’étant lavé à la piscine de Siloé. En effet, en ce premier siècle, la fête comportait un rite de la lumière où des chandeliers étaient placés près du Trésor. Enfin, lors du dernier jour de la fête des Tentes (7,37), un prêtre puisait de l’eau à la piscine de Siloé, et montait, en procession, afin la répandre sur l’autel des sacrifices.
Organisation
Les chapitres 7 et 8 peuvent se subdiviser en quatre sections interrompues par l’épisode de la femme adultère (8,1-11). La première partie (7,1-11) se situe avant souccot (7,2.10) et permet à Jésus de se rendre à Jérusalem. La deuxième partie (7,12-53) se déroule pendant la fête (7,14.37), et les deux suivantes (8,12-30 et 8,31-59), après celle-ci, mais toujours à Jérusalem. Notre péricope constitue ainsi l’introduction à l’ensemble de ces chapitres.
L’incroyance des frères et le temps de Jésus (7,1-5)
Jn 7, 1 Après cela, Jésus parcourait la Galilée : il ne voulait pas parcourir la Judée car les Juifs cherchaient à le tuer. 2 La fête juive des Tentes était proche. 3 Alors les frères de Jésus lui dirent : « Ne reste pas ici, va en Judée pour que tes disciples aussi voient les œuvres que tu fais. 4 On n’agit pas en secret quand on veut être un personnage public. Puisque tu fais de telles choses, il faut te manifester au monde. » 5 En effet, les frères de Jésus eux-mêmes ne croyaient pas en lui.
Ses frères ne croyaient pas en lui
Ce passage mentionne, pour la première et dernière fois dans l’évangile de Jean, la présence des frères de Jésus. Après les Galiléens puis les disciples, se sont maintenant ceux que l’on pouvait penser ses plus proches qui sont décrits en termes de non-foi. D’une certaine manière, l’incroyance de sa parenté rejoint celle des disciples qui l’ont abandonné au chapitre précédent. Dans ce dernier (Jn 6) Jésus y affirmait son identité de « pain descendu du ciel » questionnant, pour une part, son auditoire quant à son origine. La mention des frères permet à l’évangéliste de montrer combien, même ceux qui l’ont vu vivre et grandir au milieu d’eux, ne prennent pas au sérieux ses prétentions. Dès lors, si eux ne croient pas, qui pourrait le croire ?
Se manifester au monde
Selon ses frères, il est nécessaire que Jésus se manifeste au monde ouvertement pour que ses disciples – dont beaucoup l’ont abandonné – croient en lui grâce à ses œuvres. L’occasion de la fête des Tentes, liée à cette attente messianique, est trop belle. Jésus est invité par ses frères à s’imposer par des œuvres ostentatoires. Mais cela Jésus s’y refuse. Ce refus peut s’interpréter de diverses manières. L’évangéliste avait invoqué que la Judée cherchait à le tuer : dès lors le retour en Galilée et la volonté d’y rester peut apparaître comme une crainte légitime. Cependant telle n’est pas la réponse de Jésus.
Le moment venu (7,6-10)
7, 6 Jésus leur dit alors : « Pour moi, le moment n’est pas encore venu, mais pour vous, c’est toujours le bon moment. 7 Le monde ne peut pas vous haïr, mais il a de la haine contre moi parce que je témoigne que ses œuvres sont mauvaises. 8 Vous autres, montez à la fête ; moi, je ne monte pas à cette fête parce que mon temps n’est pas encore accompli. » 9 Cela dit, il demeura en Galilée. 10 Lorsque ses frères furent montés à Jérusalem pour la fête, il y monta lui aussi, non pas ostensiblement, mais en secret.
Mon temps n’est pas encore accompli
Jésus invoque par deux fois que son temps n’est pas encore accompli, mais de manière différente. Sa révélation ne dépend pas de la volonté des hommes et ni d’un calendrier liturgique. Le dessein de Dieu, qu’accomplit Jésus, n’est pas subordonné à des considérations chronologiques. Cet épisode est, en quelque sorte, une mise en abyme des objections développées par la suite. Ce ne sont ni les Écritures, ni les prophéties, ni le désir des croyants qui déterminent l’identité et la venue du Christ. Jésus, envoyé par le Père, préside à son propre destin. Il se rendre bien à Jérusalem, mais pas à ce moment, ni sur ordre de ses frères. Il préfère obéir au dessein de Dieu. Le temps opportun (en grec kairos/καιρὸς) sera celui de la croix, où il manifestera l’inattendu de la Révélation. Jésus part donc à Jérusalem, en secret, loin des ostensibles miracles… pourtant il lui sera difficile de rester anonyme, comme le montrera la suite des ces versets.