Le discours du pain de vie (4) (Jn 6,60-71)

Parallèles en 6,67-71

21ème dim. Ord. (B) Jn 6,60-69

Après les paroles de Jésus sur le pain de vie, le récit se conclut par la réaction, non de la foule, mais des disciples eux-mêmes. Et celle-ci à de quoi nous surprendre.

Raffaellino del Garbo, Multiplication des pains et des poissons, 1500 (détail)

Cette parole est rude (6,60-62)

Jn 6, 60 Beaucoup de ses disciples, qui avaient entendu, déclarèrent : « Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? » 61 Jésus savait en lui-même que ses disciples récriminaient à son sujet. Il leur dit : « Cela vous scandalise ? 62 Et quand vous verrez le Fils de l’homme monter là où il était auparavant !…

Un cheminement

Nous voici au terme de ce chapitre six de l’Évangile selon Jean. Nous sommes ainsi passés d’une foule au bord d’un lac (scène en extérieur 6,1-40), aux juifs pieux de la synagogue de Capharnaüm (scène d’intérieur 6,41-59) pour nous retrouver, maintenant, au sein du cercle des disciples (scène intimiste). Même le pain semble aussi suivre ce même mouvement de focalisation : les pains d’orge multipliés deviennent le pain descendu du ciel, nouvelle manne en Jésus-Christ. Puis, le pain symbolique a fait place au véritable pain divin, en sa chair et son sang, donné pour la vie éternelle. Tout nous oriente vers le mystère du Christ lui-même s’offrant pour le salut de tous.

Le scandale

Pourtant, la réaction à ce discours ne vient pas de la foule avide de miracles, ni de la synagogue pointilleuse en matière d’orthodoxie. Ce sont ses disciples, beaucoup de ses disciples, qui sont scandalisés par ses propos. L’unité autour de la multiplication et de la fraction des pains semble oubliée pour faire place à la friction et à la division des disciples. Que s’est-il donc passé ?

Ainsi, le récit de Jean ne pointe pas l’incompréhension de la foule du bord du Lac, ni les doutes des juifs pieux de Capharnaüm. L’évangéliste souligne davantage les protestations et l’indignation des disciples. La parole de Jésus est rude non du fait qu’elle serait difficile à comprendre mais parce qu’elle vient en contradiction avec leur schéma de pensée. Jésus après avoir multiplié les pains se présentait comme celui qui est descendu du ciel. Or celui-là même qui s’affirme comme ce Fils de l’homme, l’envoyé céleste de Dieu, ne présente pas l’avènement du Seigneur tel un Jugement apocalyptique, mais comme une démarche de foi en sa chair et son sang livrés… tout ce qu’il y a de faillible dans l’homme. Rien de glorieux. Les disciples ont bien compris que Jésus parlait de sa mort mais n’en ont pas saisi la portée salvatrice.

Un mouvement eucharistique

La première réponse de Jésus reprend pourtant cette affirmation : il est le Fils de l’homme mais son action n’est plus définie en termes de descente mais de montée… là où il était auparavant. Jésus décrit ici l’objectif même de sa mission : non pas seulement descendre, de manière éclatante, pour juger le monde (3,17) mais rejoindre l’humanité dans sa faiblesse pour monter et l’attirer vers le Père (6,44). Ce mouvement eucharistique ne saurait exclure la croix.

Alexandre Ivanov 1850

L’esprit fait vivre (6,63-66)

6, 63 C’est l’esprit qui fait vivre, la chair n’est capable de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie. 64 Mais il y en a parmi vous qui ne croient pas. » Jésus savait en effet depuis le commencement quels étaient ceux qui ne croyaient pas, et qui était celui qui le livrerait.65 Il ajouta : « Voilà pourquoi je vous ai dit que personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père. » 66 À partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de l’accompagner.

La désertion

Si Jésus oppose ici l’esprit à la chair, c’est pour mettre en contradiction le discernement (l’esprit) de la volonté de Dieu au savoir et au désir mondain (la chair). Par sa seule pensée, par ses seuls moyens, son seul savoir, l’humanité ne peut accéder à cette vie éternelle promise. Celle-ci se trouve dans la foi en Christ Jésus dont le mystère de la croix est suggéré, paradoxalement, par ces disciples qui ne croyaient pas et celui qui le livrerait. Ainsi l’évangéliste nous invite à recevoir le mystère du Christ jusque dans son oblation totale, comme il le réaffirmera plus loin : et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes (12,32). Cette foi en Christ Jésus, divin et humble, céleste et humilié, est donnée, par le Père, dans cette contemplation : elle n’est pas l’objet d’un savoir mais d’une grâce et d’une relation à Dieu qui se révèle comme Père livrant son fils par amour. Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. (3,16).

Rubens, La charge confiée à Pierre, 1616

A qui irions-nous ? (6,67-71)

Parallèles : Mt 16,13-20 | Mc 8,27-9,1 | Lc 9,18-21

6, 67 Alors Jésus dit aux Douze : « Voulez-vous partir, vous aussi ? »68 Simon-Pierre lui répondit : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. 69 Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu. ». 70 Jésus leur dit : « N’est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous, les Douze ? Et l’un de vous est un diable ! » 71 Il parlait de Judas, fils de Simon Iscariote ; celui-ci, en effet, l’un des Douze, allait le livrer.

Plus que douze

L’abandon de beaucoup de disciples rend compte de la difficulté à accueillir le Christ comme celui qui se donne entièrement, sans autre gloire que la croix et l’amour du Père. Simon-Pierre et les Douze semblent – à cet instant – les seuls à avoir perçu l’indicible mystère du Christ. Si d’autres partent à cause de l’horizon de la croix, les Douze restent attachés à la personne même de Jésus qui est leur unique Seigneur et le Saint de Dieu, celui qui “dit” tout du Père Créateur de toute vie. La foi de ce petit reste représente une parole d’Alliance avec le Verbe de Dieu fait chair (1,14) et qui a les paroles de la vie éternelle. Simon-Pierre, avec les Douze, croit, non par naïveté, non par crédulité mais parce qu’ils ont su reconnaître en Jésus celui qui, jusqu’en sa chair et son sang, saura vaincre la haine et la mort pour redonner vie. Ils croient parce qu’ils ont su l’aimer en tout.

La profession de foi de Pierre, au nom des Douze, est aussitôt suivie par l’évocation de la trahison de Judas. Dans un premier temps, Jésus affirme combien leur foi naît de l’élection gracieuse et divine du Christ. Pour autant, le don total du Christ, en sa chair et son sang, sera aussi une épreuve pour la communauté des Douze.

François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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