Tu es Pierre (Mt 16,13-20)

Parallèles : Mc 8,27-30 | Lc 9,18-21 | Jn 6,67-71

21ème dim. ord. (A)

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La géographie de ce passage est plutôt déconcertante. Après Tyr et Sidon, puis le retour en Galilée, Matthieu nous a fait aborder le territoire de Magadâne (lieu inconnu et parfois assimilé à Magdala). Et maintenant à peine embarqués, nous voici déjà à proximité de Césarée de Philippe, en Iturée. C’est donc loin de la Judée et hors de la Galilée qu’aura lieu la profession de Pierre.

Saomé, Le Caravage, 1600

Pour vous qui suis-je ? (16,13-16)

16 ,13 Jésus, arrivé dans la région de Césarée-de-Philippe, demandait à ses disciples : « Au dire des gens, qui est le Fils de l’homme ? » 14 Ils répondirent : « Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes. » 15 Jésus leur demanda : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » 16 Alors Simon-Pierre prit la parole et dit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! »

Trois prophètes et le Fils de l’Homme

Encore une fois, la version de Matthieu diffère de celle de Marc (Mc 8,27-32). En Matthieu, la première question porte sur la figure du Fils de l’Homme, sa représentation selon les dires des uns et des autres. La seconde question porte, de manière directe, sur Jésus lui-même. C’est une façon de réaffirmer ici l’identification du Fils de l’Homme en la personne de Jésus. Mais pas seulement.

Matthieu propose trois personnages identifiables avec ce Fils de l’Homme : Jean, Élie et Jérémie. Ce passage ne vient pas rendre compte des croyances sur le Fils de l’Homme à l’époque de Jésus. Il évoque trois figures qui justement éclairent l’identité de ce personnage dont le prophète Daniel en décrit la gloire et la puissance (Dn 7). Un des points communs entre Jean, Élie et Jérémie est certes cette attente d’un temps de restauration et de règne divin. Mais ces trois figures sont celles aussi qui ont eu à se confronter au pouvoir et à la persécution.

Jean, le dernier en date, fut décapité par Hérode en raison de ses propos (Mt 14,10). Élie dû fuir maintes fois la colère des rois et de la reine Jézabel (1R 17-2R 1). Quant à Jérémie, il fut attaché au pilori (Jr 20,1) avant de séjourner au fond d’une fosse pour avoir prophétisé la chute de Jérusalem et l’exil (Jr 38). Ces serviteurs de la Parole de Dieu qui appelaient à la conversion, se sont confrontés à la surdité et l’aveuglement des puissants et parfois même du peuple. Ainsi les noms de ces prophètes, donnés par les disciples, ne sont pas des mauvaises réponses. Ils orientent la figure du Fils de l’Homme vers le don de sa vie.

Raphaël, 1515

Du Fils de l’Homme au Fils du Dieu vivant

Mais à la seconde question de Jésus, la réponse sera différente. Cette interrogation pour vous qui suis-je ? permet d’abord son identification avec le Fils de l’Homme évoqué à l’instant. Cependant, le fait de ne pas reprendre les mêmes termes, suggère qu’avec Jésus, il y a bien plus que l’avènement de ce Fils de l’Homme. Pierre, encore nommé Simon, ne s’y trompe pas. Il est celui que Jésus a appelé au bord du Lac pour être plus tard l’un des Douze, mais aussi celui que Jésus tira des eaux en furies. Il porte en lui l’expérience de l’appel et de l’abandon, des épreuves et du salut, et peut reconnaître, dans la foi, en Jésus ce Christ et Fils du Dieu vivant.

Ces deux titres n’en font qu’un. Simon-Pierre reconnaît en Jésus le Messie attendu, auquel il donne un caractère divin. Pour l’apôtre, Jésus est bien celui que le peuple d’Israël attend, cette figure éminente, l’oint du Seigneur. L’expression est doublée par ce qualificatif filial qui exprime l’intimité et la singulière relation qui unit Dieu à Jésus. La profession de foi de Pierre concerne l’identité messianique et divine de Jésus mais aussi sa mission. Il est le Fils du Dieu vivant, c’est-à-dire, du Dieu qui donne et redonne vie. C’est le sauveur qui est ainsi désigné.

Si les réponses précédentes étaient approximatives mais éclairantes, celle de Pierre, conforme, ne serait-elle pas ambivalente ? Trois personnages ont déjà qualifié Jésus de Fils de Dieu : le tentateur au désert (Mt 4,3.6) et les deux démoniaques de Gadara (Mt 8,29)… Ce titre était jusque-là réservé au monde des ennemis de l’Évangile. Il ne faut pas pour autant faire de Pierre un de ces opposants maléfiques, ce serait contradictoire avec les récits précédents le concernant. Mais sa profession de foi, qui est aussi celle du groupe des disciples, demande à être éclairée. Ce que va faire Jésus lui-même avec une intervention étonnante.

Tu es Pierre (16,17-20)

16, 17 Prenant la parole à son tour, Jésus lui dit : « Heureux es-tu, Simon fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. 18 Et moi, je te le déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle.19 Je te donnerai les clés du royaume des Cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux. » 20 Alors, il ordonna aux disciples de ne dire à personne que c’était lui le Christ.

Fils de Yonas

Ainsi le Fils de Dieu répond à Pierre en le renvoyant lui aussi à son identité filiale. Il s’adresse à l’homme simple celui qui était encore, il y a peu, pêcheur en Galilée. En cela, il n’est ni scribe, ni sage, ni savant. En cela, sa foi ne vient pas d’un savoir extérieur, mais d’abord de sa proximité avec son Seigneur et son Père. La profession de foi de Pierre naît de cette relation, lui le petit de Galilée.

Et c’est pourtant à lui, que Jésus confie son Église. C’est sur lui, apôtre et galiléen, en sa fidélité comme en ses faiblesses, que Jésus s’appuie. Pierre devient le roc pour cette construction dont Jésus est l’unique bâtisseur. Bien évidemment, au temps de Matthieu l’église pétrinienne et romaine est encore en gestation. Et ce n’est pas ce qui est visé.

Pierre vient de reconnaître en Jésus le Christ et le Fils du Dieu vivant. Celui dont la figure dépasse celle du Fils de l’Homme. Il pourrait être celui dont on attend le jugement divin et la victoire. Mais ici, il se dépouille de tout ornement et de tout pouvoir. Il donne une promesse de Vie pour son Église, sa communauté rassemblée, mais bien plus. Il remet entre les mains du premier et humble disciple, et avec lui à toute l’Église, tout ce qui revient de droit au Fils : les clés du Royaume et le pouvoir du jugement. C’est dans cette humilité du don que peut dès lors se comprendre l’Évangile du Fils. Et si Jésus demande à cette Église des disciples de ne rien dire, c’est qu’ils ont encore à entendre et à voir pour comprendre la valeur du mot Christ.

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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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