Pour vous qui suis-je ? (Lc 9,18-27)

Parallèles : Mt 16,13-20 | Mc 8,27-30

12ème dim. ord. (C) Lc 9,18-24

Le récit de la multiplication des pains (9,10-17) ne mentionnait aucune réaction de la foule, et encore moins des disciples. Cependant, justement, la scène sert, en partie, à éclairer la profession de foi de Pierre.

Remise des clefs à saint Pierre, Ingres, 1820

Au dire des foules (9,18-19)

9, 18 En ce jour-là, Jésus était en prière à l’écart. Comme ses disciples étaient là, il les interrogea : « Au dire des foules, qui suis-je ? » 19 Ils répondirent : « Jean le Baptiste ; mais pour d’autres, Élie ; et pour d’autres, un prophète d’autrefois qui serait ressuscité. »

En prière à l’écart

L’association des termes en ce jour-là (en grec Il advint, égénéto, ἐγένετο ) et de la prière de Jésus confère au récit une réelle solennité. Comme je l’ai déjà souligné, l’évangéliste associe sa prière à un événement de haute importance, lié à la révélation et à l’avènement du règne : la théophanie du Jourdain (3,21), le choix des Douze (6,12), comme aussi, plus loin, lors de la Transfiguration (9,28.29), pour le don du Notre Père (11,1), avant son arrestation au mont des Oliviers (22,41). La prière de Jésus n’est pas seulement un instant solitaire. Comme au Jourdain elle inscrit l’action et la parole de Jésus dans une pleine communion au dessein de Dieu. La prière de Jésus est tout autant liée au miracle des pains multipliés qu’à la question de Jésus à ses disciples : elle souligne la question de la reconnaissance du Christ.

Qui suis-je ?

La question de l’identité de Jésus coure depuis le début de son ministère. Tous s’interrogent : les habitants de Nazareth (4,14 N’est-ce pas là le fils de Joseph ?), les pharisiens (5,21 Qui est-il celui-là ?), Jean le baptiste (7,19 Es-tu celui qui doit venir ?), et plus récemment encore, ses propres disciples (8,25 Qui est-il donc… ?), sans oublier Hérode (9,9 Quel est cet homme ?).

Cette fois-ci, Jésus prend l’initiative, auprès de ces disciples, qui depuis la tempête apaisée s’interrogeait. Jésus interroge le qu’en-dira-t-on populaire. Cette première question, au dire des foules, permet de faire le lien avec l’interrogation d’Hérode (9,7-9). La réponse de la foule est assez similaire que celles des conseillers du roi. Toutes deux posent un regard extérieur sur Jésus et ses activités. Il est ainsi toujours comparé à Jean le baptiste, Élie et un autre prophète ressuscité.

La résurrection ne correspond pas seulement à un retour à la vie, mais, manifeste, dans la foi juive, l’inauguration du jugement divin. Avec l’avènement des temps messianiques advient, selon certaines croyances, surtout pharisiennes, la résurrection des morts. La présence de Jésus est alors perçue comme le début des temps derniers.

Raphaël, 1515

Messie de Dieu et Fils de l’homme (9,20-22)

9, 20 Jésus leur demanda : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Alors Pierre prit la parole et dit : « Le Christ, le Messie de Dieu. » 21 Mais Jésus, avec autorité, leur défendit vivement de le dire à personne, 22 et déclara : « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, le troisième jour, il ressuscite. »

Pour vous, qui suis-je ?

Jésus a interrogé ses disciples sur le regard extérieur de la foule. Maintenant, ce sont eux qu’il interroge, eux qui l’ont suivi dans cette annonce de la Bonne Nouvelle. La question de Jésus renvoie, également, à leur première interrogation, lors de la tempête apaisée : 8,25 Qui est-il donc, celui-ci, pour qu’il commande même aux vents et aux flots, et que ceux-ci lui obéissent ? Les signes donnés sur le lac (8,22-25), sur la rive gérasénienne (8,26-39), auprès de Jaïre (8,40-56) ainsi que le succès de la mission des Douze (9,1-6) et la multiplication des pains (9,10-17) constituent, au sein du récit lucanien, un cadre qui a permis aux disciples de trouver la réponse à leur question, dans la proximité avec Jésus et l’expérience de la Bonne Nouvelle.

Ainsi, alors que, face aux rumeurs, Hérode s’interrogeait, curieux et méfiant, les disciples, par la voix de Pierre, font œuvre de profession de foi. Le prophète ressuscité de la rumeur et l’homme énigmatique d’Hérode laisse place au Christ de Dieu.

Christ de Dieu

C’est la première qu’est prononcé publiquement le christ à propos de Jésus, durant son ministère. Ce terme (christos, χριστός), équivaut au mot messie (de l’hébreu : mashiah, מָשִׁיחַ ) et signifiant, tous deux, celui qui a reçu l’onction. Le lecteur de Luc en était déjà informé dès l’annonce de la naissance de Jésus aux bergers: Aujourd’hui, il vous est né un Sauveur qui est le Christ Seigneur (2,11). Le mot avait été prononcé à propos du baptiste, titre qu’il refusait et destinait à un plus fort que lui (3,15).

Cependant, lors de la prédication de Jésus à Nazareth, ce dernier avait lu ce passage du prophète Isaïe (Is 61,1) : 4,18 le Seigneur m’a consacré par l’onction, suscitant la première interrogation à son sujet. En reconnaissant en Jésus, le Christ de Dieu, Pierre accorde à Jésus ce titre reçu du Seigneur. Il reconnaît en Jésus celui qui vient accomplir le règne de Dieu, annonçant la Bonne Nouvelle, offrant une libération aux captifs et ce temps favorable de grâce (4,18-19). Pierre reconnaît en Jésus non pas les prémices annonciatrices du royaume, comme Jean ou Élie, mais l’aujourd’hui du royaume. La foi de Pierre représente une réelle reconnaissance du Christ en Jésus et de l’avènement actuel du règne.

Du Christ à la Passion

Le Christ est proclamé par Pierre. Contrairement à Marc et Matthieu, Luc ne mentionne aucune réaction de ce dernier à l’annonce de la mort de Jésus. Cependant, comme pour les autres évangélistes, il faudra attendre le séjour à Jérusalem (20,41 ;22,67), le procès et la crucifixion (23,2.35.39) et surtout la résurrection (24,26.46) pour réentendre ce mot qui aura alors pris tout son sens. C’est bien pourquoi, la profession de foi de Pierre est suivie aussitôt par l’annonce de la Passion du Fils de l’Homme, un titre déjà entendu et associé à l’avènement du jugement dernier. Le silence demandé aux disciples les oblige, ainsi que les lecteurs, à attendre la pleine révélation pour mieux définir ce mot : Christ de Dieu.

Le Caravage, l'appel d'André et Pierre, 1603.

Qui veut marcher à ma suite (9,23-25)

9, 23 Il leur disait à tous : « Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive. 24 Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera. 25 Quel avantage un homme aura-t-il à gagner le monde entier, s’il se perd ou se ruine lui-même ?

Sauver sa vie

La proclamation de foi de Pierre et l’annonce de la Passion se déploient dans un discours sur la vie du disciple. Confesser Jésus, Christ de Dieu, c’est se mettre à sa suite, à la lumière de sa Passion et de sa résurrection. Il ne s’agit pas d’un appel au martyr,  ni d’une invitation au dolorisme. Les paroles de Jésus indiquent les conditions de vie auxquelles les disciples devront se soumettre, en raison de leur foi en lui. Suivre Jésus, dans la foi, c’est prendre le chemin de la renonciation, de l’abaissement et du dénuement, jusque dans les épreuves crucifiantes et humiliantes. Et pourtant, il s’agit bien d’accueillir le salut, jusque dans l’oblation d’une vie.

La conquête et la réussite, sur un plan mondain, n’amènent que la ruine et la perte du croyant : le contraire de l’objectif personnel désiré. La vie humble du disciple, dans le dénuement ou l’épreuve, n’est pas glorieuse pour qui cherche à se faire valoir aux yeux du monde. Elle est pourtant, selon Luc, salutaire. On sait qu’en ce premier siècle, dans le monde gréco-romain de Luc notamment, la recherche des honneurs et du respect était capital pour celles et ceux qui voulaient compter et exister dans ce monde. À l’inverse, l’humilité était avilissante. Ainsi, le discours de Jésus à ses disciples invite, a contrario, à perdre de sa vie, de son honneur, aux yeux de hommes et regarder l’unique salut obtenu de Dieu

Le Nain, Le reniement de Pierre, v. 1648

Celui qui a honte de moi (9,25-27)

9, 26 Celui qui a honte de moi et de mes paroles, le Fils de l’homme aura honte de lui, quand il viendra dans la gloire, la sienne, celle du Père et des saints anges. 27 Je vous le dis en vérité : parmi ceux qui sont ici présents, certains ne connaîtront pas la mort avant d’avoir vu le règne de Dieu. »

Voir le règne de Dieu

Les paroles de Jésus prennent un autre ton et s’adressent à ceux qui – surtout au temps de Luc – ne peuvent associer cet avènement du règne avec un certain abaissement des disciples. Car dans l’optique décrit plus haut, il n’est guère glorifiant de suivre Jésus … en portant sa croix. La honte, dont il est question, représente donc ce rejet d’une telle perspective et la déception de suivre une voix qui ne mène pas à la victoire et la gloire aux yeux des hommes. La seule gloire mentionnée ici, est celle justement du Fils de l’homme, celui qui part affronter sa Passion humiliante. C’est ce Fils de l’homme, humilié ici-bas, qui vient accomplir ce jugement eschatologique. Ce dernier n’est pas reporté à un futur lointain, mais s’accomplit du vivant des premiers disciples de Jésus, promis à voir le règne de Dieu.

Cette dernière expression peut s’entendre de différentes manières. Luc renvoie le lecteur aux premiers témoins de la passion et de la résurrection du Christ rendant compte de la victoire de Dieu et de la Bonne Nouvelle. Mais, dans l’immédiat, ceux qui vont voir, sont ceux qui seront invités à contempler Jésus lors de la Transfiguration (9,37-45).

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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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