Une Transfiguration pour trois disciples (Lc 9,28-36)

Parallèles : Mt 17,1-9 | Mc 9,2-10  | (2P 1,17-18)

2ème dim. de Carême (C)
Transfiguration – 6 août (C)

Le récit de la Transfiguration offre une clé interprétative à la profession de Pierre : Tu es le Christ de Dieu (9,20). Pourtant, les trois disciples, privilégiés, ne semblent pas avoir tout saisi.

Alexandr Ivanov, Transfiguration, XIXe s.

Pendant qu’il priait (9,28-31)

9, 28 Environ huit jours après avoir prononcé ces paroles, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il gravit la montagne pour prier. 29 Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre, et son vêtement devint d’une blancheur éblouissante. 30 Voici que deux hommes s’entretenaient avec lui : c’étaient Moïse et Élie, 31 apparus dans la gloire. Ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem.

Huit jours après

La mention des huit jours ne vient pas établir une distance chronologique. Elle invite, au contraire, le lecteur à faire le lien entre la profession de foi de Pierre, et cette Transfiguration dont l’apôtre est aussi témoin. Comme pour ce précédent épisode, l’unité est également rappelée avec la prière. Mais celle-ci n’est plus à l’écart, Jésus invite trois disciples à partager ce moment qui l’unit au Père, comme au Jourdain.

Le récit comporte de nombreux liens avec la théophanie du baptême (3,21-22). Outre la prière, une voix se fera entendre depuis la nuée céleste. Cette seconde théophanie ouvre une nouvelle section de l’évangile : la marche de Jésus vers Jérusalem et sa Passion. De même la première théophanie (3,21-22) introduisait le ministère en Galilée, et qu’une troisième théophanie, lors de la prière au mont des Oliviers (à Gethsémani selon Marc), initie la Passion (22,43).

Pierre, Jean et Jacques

Le récit de la Transfiguration se déroule dans l’intimité. Elle fait écho à l’humilité décrite précédemment : la vision du Christ dans une gloire céleste ne s’impose pas glorieusement au monde. Cela serait contraire à la mission du Fils de l’homme et au message de l’évangile où le Christ annonce la bonne nouvelle aux pauvres et aux captifs, s’abaissant pour mieux les rejoindre. La scène de la Transfiguration vient d’abord confirmer la profession de foi au Christ de Dieu (9,20-22) et l’éclairer d’un jour nouveau.

Moïse et Élie

La montagne de cette théophanie renvoie le lecteur à deux autres manifestations divines. La première est celle où le Seigneur se fit voir à Moïse, lui offrant la Loi et l’Alliance Sinaï : Ex 19, 9 Je vais venir vers toi dans l’épaisseur de la nuée, pour que le peuple, qui m’entendra te parler, mette sa foi en toi, pour toujours. Enfin, l’Horeb, autre nom du Sinaï, où Dieu se manifesta au prophète Élie, non dans le feu, mais dans le murmure d’une brise légère (1R 19,12). Ces deux mêmes prophètes, nous l’avions déjà souligné, sont liés à l’attente du messie. Jésus est en dialogue avec eux, et confirme qu’il vient accomplir le dessein de Dieu, annoncé par ces prophètes.

Jésus révèle, par son vêtement blanc céleste, un visage tout autre. Autrement dit, il apparaît autrement que les apôtres le percevaient habituellement. Le Christ de Dieu se révèle dans cette vérité du Père qu’ils devront accueillir, non sans mal, à la résurrection. Ils ont encore tout à découvrir de lui.

Son départ pour Jérusalem

Luc mêle deux motifs. Le premier est cette vision céleste qui place Jésus dans une certaine gloire. Le second lui est associé : Élie et Moïse parlent de son départ, littéralement, en grec, de son exode (exodos, ἔξοδος). Ce mot évoque, dans ce contexte céleste, l’ascension d’Élie (2R 2) mais aussi l’exode des Hébreux au temps de Moïse, libérés du joug de Pharaon et marchant vers la terre promise. Glorification et délivrance sont ainsi liés par ce seul mot. Et pour Jésus, cet exode, sera aussi plein de sens, autrement que géographique. Jérusalem sera le lieu de la confrontation avec le pouvoir religieux et politique, mais aussi, lors de la Passion, la manifestation du salut offert, y compris à l’un des malfaiteurs crucifiés.

A.N. Mironov, Transfiguration, 2018

Pierre et ses compagnons (9,32-33)

9, 32 Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ; mais, restant éveillés, ils virent la gloire de Jésus, et les deux hommes à ses côtés. 33 Ces derniers s’éloignaient de lui, quand Pierre dit à Jésus : « Maître, il est bon que nous soyons ici ! Faisons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il ne savait pas ce qu’il disait.

Accablés de sommeil

La scène est lourde de sens accablant le trio de sommeil. Cette lourdeur pourrait suggérer cette incompréhension qui qualifie également celle de Pharaon face aux signes de Moïse. Le verbe utilisé, accabler, est exactement le même (baréo, βαρέω) ; mais ce sommeil lourd, au sein d’une manifestation divine, pourrait bien renvoyer au sommeil de Jacob s’écriant Gn 28,16 Vraiment, le Seigneur était là et je ne le savais pas , ou au sommeil mystérieux qui tomba sur Abraham lors de l’Alliance avec le Seigneur (Gn 15,12) lorsqu’aussi une nuée le couvrit. En tout état de cause, le récit entre en résonance avec l’Écriture que vient accomplir Jésus-Christ.

Cependant les disciples résistent, et le texte fait succéder ces trois expressions : être accablé de sommeil, rester éveillé et voir la gloire, qui évoque et anticipe la Résurrection du Christ (24,26) mais aussi le jugement du Fils de l’homme et la rédemption promise (21,27).

Trois tentes

La réaction de Pierre révèle une réelle incompréhension. Alors que le récit développe les aspects célestes, la proposition de Pierre apparaît bien terre-à-terre. La remarque est le signe d’une incapacité, à ce moment, à unir la scène, c’est-à-dire à en saisir le sens. Il faut trois tentes, pour Jésus et les deux prophètes, comme s’il n’y avait guère de liens entre eux ; entre le judaïsme prophétique, de Moïse ou d’Élie, et celui de Jésus. Il n’y aura pas trois tentes. Même pas une. Pierre souhaite préserver cette vision céleste. Cependant, il lui faut y renoncer pour redescendre parmi les siens,  sur ce chemin nécessaire, vers Jérusalem, plus douloureux. Il ne montera pas de tente, c’est le Seigneur qui les prend au sein de la nuée.

Transfiguration, Francesco Zuccarelli, 1788

Celui-ci est mon Fils (9,34-36)

9, 34 Pierre n’avait pas fini de parler, qu’une nuée survint et les couvrit de son ombre ; ils furent saisis de frayeur lorsqu’ils y pénétrèrent. 35 Et, de la nuée, une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi : écoutez-le ! » 36 Et pendant que la voix se faisait entendre, il n’y avait plus que Jésus, seul. Les disciples gardèrent le silence et, en ces jours-là, ils ne rapportèrent à personne rien de ce qu’ils avaient vu.

Voix et silence

Les disciples ne sont pas seulement des témoins à part, muets. Ils sont accueillis dans la présence céleste. Leur crainte manifeste cette peur ancestrale, présente dans le Judaïsme : voir Dieu, c’est mourir (Jg 13,22). Pourtant, les disciples pénètrent dans la nuée comme on entre dans un temple. Ils sont associés désormais à la mission du Fils qu’ils doivent écouter. La voix divine retentit comme au Jourdain et désigne le Christ de Dieu, comme Fils. Dieu manifeste sa présence en ce Fils, humble, comme autrefois il se manifestait à Élie dans le murmure du silence. Dieu manifeste sa  Loi et sa Parole dans Celui qu’il convient d’écouter. Lui, et lui seul, désormais. Il est le Fils que le Père a choisi d’envoyer pour le salut des siens.

Le silence des disciples révèle le besoin d’avancer, avec le Christ, sur ce chemin vers Jérusalem, vers sa Passion et sa Résurrection, pour comprendre pleinement cette scène. Comme le montrera les péricopes du dernier chapitre de l’évangile.

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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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