L’incompréhensible Transfiguration (Mt 17,1-9)

Parallèles : Mc 9,2-10 | Lc 9,28-36

2ème dim. Carême (A)
Transfiguration (A)

Dans l’évangile selon Matthieu, comme en Marc (9,2-10) et Luc (9,28-36), l’épisode de la transfiguration de Jésus à ses disciples, se situe immédiatement après la profession de foi de Pierre et sa réaction à l’annonce de la Passion. C’est un épisode assez étrange. Car, s’il pourrait constituer une réponse positive à la révélation seigneuriale et divine du Christ à ses proches disciples, il suscite plus de questionnements que de foi.

Transfiguration, Francesco Zuccarelli, 1788

Elie et Moïse (17,1-3)

17, 1 Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmène à l’écart, sur une haute montagne. 2 Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière. 3 Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui.

Un récit commun aux évangiles

Le récit appartient à la tradition synoptique. Je l’ai déjà per ailleurs commenté dans sa version marcienne et lucanienne. La montagne, lieu de rencontre biblique entre Dieu et ses élus, réunit ici Jésus et ses disciples. L’éclatante et céleste transfiguration du Nazaréen révèle son identité divine et annonce la Résurrection. D’autant que le récit suit immédiatement l’annonce de sa passion.

L’Écriture, Le Messie et la Résurrection

Les personnages d’Élie et de Moïse éclairent triplement l’interprétation de cet événement. A eux deux, ils symbolisent l’unité de l’Écriture : la Torah (Le Pentateuque ou Loi de Moïse) et les prophètes. Jésus est celui qui dialogue avec les Écritures et leur donne sens. Il est celui qui vient les accomplir, comme le discours sur la montagne nous l’a dévoilé.

Mais Élie et Moïse sont aussi deux personnages associés à la venue du Messie. Le Seigneur annonce ainsi « un prophète comme toi [Moïse] ; je mettrai dans sa bouche mes paroles, et il leur dira tout ce que je lui prescrirai. » Dt 18,18. De son côté, Malachie  prophétise « Voici que je vais vous envoyer Élie le prophète, avant que vienne le jour du Seigneur, jour grand et redoutable. Il ramènera le cœur des pères vers leurs fils, et le cœur des fils vers leurs pères, pour que je ne vienne pas frapper d’anathème le pays ! » Ml 3,23-24.

Bien plus, aux côtés de Jésus, se tient Élie, celui qui fut enlevé au ciel dans le divin char de feu (2R 2,11). Le livre du Deutéronome (Dt 34,6) raconte que Moïse fut enterré dans la vallée qui est en face de Beth-Péor, au pays de Moab. Mais aujourd’hui encore, personne ne sait où se trouve son tombeau. La littérature juive inter-testamentaire connaît aussi la tradition de son assomption, tradition attestée dans le livre du Testament de Moïse. Bref, ces deux prophètes annoncent déjà la résurrection glorieuse de Jésus, à la droite de Dieu. Tout paraît évident…

Transfiguration, Aelbrecht Bouts, 1500

Faisons donc trois tentes (17,4)

17 , 4 Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. »

Une réaction surprenante

Malgré la solennité céleste de la scène, les disciples demeurent dans une certaine incompréhension. La remarque de Pierre le souligne. La révélation – et c’est le paradoxe – de Jésus transfiguré, entouré des deux plus grands prophètes, ne suscite qu’une vulgaire question de tentes. La réaction de Pierre annonce déjà l’incompréhension des disciples à la Résurrection. Les manifestions du Christ céleste et ressuscité demeurent incompréhensibles si elles ne sont éclairées par la Parole de Dieu. Il n’y a rien d’évident qui s’impose de fait. Et c’est bien la Parole du Père qui suscite enfin une réaction de foi chez les disciples.

Transfiguration, Carl Bloch, 1800

Celui-ci est mon Fils (17,5-9)

17 , 5 Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre, et voici que, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! » 6 Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d’une grande crainte. 7 Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et soyez sans crainte ! » 8 Levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul. 9 En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. »

Jésus les toucha

Enfin les disciples tombent à terre, saisis d’une grande crainte. Cette attitude révèle leur compréhension de l’aspect divin d’une telle manifestation. Pourtant Jésus semble les ramener à la réalité aussitôt : Jésus les toucha. Cette particularité matthéenne est bien singulière. En effet, chez Matthieu, le verbe toucher est exclusivement affecté aux récits de guérisons ou d’exorcismes. Sa parole pourrait aller aussi en ce sens : « Relevez-vous » Ce relèvement annonce un changement, une rénovation, tout comme ses guérisons. Nul besoin de rester sous les tentes. Une vie nouvelle et itinérante attend les disciples. La reconnaissance du Ressuscité, du Fils du Dieu vivant, constitue en soi, une action de Dieu et une re-création, et une mission pour les disciples, celle du témoignage.

Rembrandt, Jesus et ses disciples, 1634

Pas avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts.

Ce témoignage devra attendre la clef de compréhension ultime de l’identité du Christ et du Royaume : la Passion. La résurrection et la révélation de Jésus ne peuvent se comprendre qu’à la lumière de la croix, l’abaissement du divin.

Ce n’est pas un hasard, si l’ordre de Jésus advient lors de la descente de la montagne. C’est dans ce mouvement d’abaissement que peut se comprendre l’incarnation du Christ. Il faut d’ailleurs remarquer que le récit – et cela est vrai dans les trois évangiles synoptiques – est plus prolixe sur la descente de la montagne que sur son ascension. La montée vers la Transfiguration est à peine décrite. C’est lors de la descente que le récit prend son temps. Et celle-ci ne relate pas la foi assurée des disciples mais révèle encore plus de questionnements comme le montrera la suite de ce récit (Mt 17,10 -13).

Bref, la révélation éclatante du Fils de l’Homme – qui aurait pu faire jaillir chez les disciples le cri victorieux de la foi – invite à encore plus d’humilité et d’interrogation.

François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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