La prière de Jésus dans l’évangile de Jean conclut les discours d’adieu à ses disciples, introduisant ainsi le récit de la Passion. Elle vient manifester la solidarité et la communion du Père à l’égard du Fils qui livre sa vie par amour (17,1-11a), et garantit l’unité des disciples qui devront faire face aux épreuves (17,11b-19).
Dans ces versets conclusifs, la prière de Jésus s’élargit au-delà du cercle des premiers disciples. Elle s’adresse à toutes les communautés. Leur unité, fondée en l’amour du Père et du Fils, représente leur identité et leur mission.
Que tous soient un (17,20-23)
Jn 17, 20 Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi. 21 Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. 22 Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes UN : 23 moi en eux, et toi en moi. Qu’ils deviennent ainsi parfaitement un, afin que le monde sache que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé.
Pas seulement pour ceux qui sont là
De manière explicite, cette fois-ci, l’évangéliste élargit le cercle des bénéficiaires de la prière de Jésus au-delà des premiers disciples présents à cette scène. La prière de Jésus n’appartient pas au passé, elle rejoint l’aujourd’hui et l’actualité de toute communauté chrétienne. C’est le Christ qui agit en leur faveur.
L’unité définit l’identité de la communauté
Le texte de l’évangile laisse apparaître un crescendo : que tous soient un (v.21a), qu’ils soient un en nous (v.21b), qu’ils soient un comme nous… (v.22) Qu’ils deviennent parfaitement un (v.23). L’insistance sur ce thème permet de comprendre combien cette unité est non seulement vitale, mais représente l’identité même de la communauté des disciples. L’existence de la communauté doit sa pérennité à son attachement indéfectible au Christ, comme entre ses membres, y compris dans les épreuves et les passions subies.
Comme toi, comme nous
L’identité de la communauté devient alors le reflet vivant de l’unité du Père et du Fils. La qualité de cette union prend sa source dans la Révélation. Dans le contexte immédiat, l’unité ne concerne pas seulement leur identité divine, mais représente surtout leur implication dans le monde et leur inscription au sein de la communauté. Comme le Père et le Fils sont unis, et cela jusqu’au cœur de la Passion, ainsi les membres de la communauté sont invités à vivre parfaitement de cette communion. L’amour du Père et du Fils devient le ciment des relations communautaires. Comme le Christ est unit au Père, de même le Fils s’unit à ses disciples : moi en eux, et toi en moi.
Afin que le monde sache
Cette unité fondamentale représente dès lors le témoignage missionnaire de la communauté : pour que le monde croie que tu m’as envoyé (v.21b), afin que le monde sache que tu m’as envoyé (v.23). L’unité des disciples n’est donc pas un en-soi et encore moins un entre-soi. L’amour mutuel, vécu à l’aune de l’amour de Dieu, a pour destination ce monde qui pourtant harcèle cette communauté ecclésiale. L’unité fraternelle est à la fois le fruit de l’amour du Christ et la réponse à ses détracteurs. Car, cette union parfaite et accomplie entre les disciples puise sa force à la croix qui en révèle tout le sens. Elle sera ce lieu de glorification et de révélation.
Père juste (17,24-26)
17, 24 Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi, et qu’ils contemplent ma gloire, celle que tu m’as donnée parce que tu m’as aimé avant la fondation du monde. 25 Père juste, le monde ne t’a pas connu, mais moi je t’ai connu, et ceux-ci ont reconnu que tu m’as envoyé. 26 Je leur ai fait connaître ton nom, et je le ferai connaître, pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et que moi aussi, je sois en eux. »
Je veux que là où je suis
A la supplique insistante, succède la demande express : je veux. La présence des disciples aux côtés du Christ constitue un impératif. S’adressant au Père juste, le Christ fait appel à la justice du Père. Il est celui qui vient rétablir toute justice face au mal et à la mort. Cette demande pressante peut s’entendre de diverses manières qui ne s’opposent pas. En priant le Père pour que ses disciples soient en sa présence, le Christ peut faire référence, par anticipation, à sa place au côté de Dieu : là où je suis… avant la fondation du monde… qu’ils contemplent ma gloire. L’image suggère alors ce rassemblement eschatologique attendu lors du jugement final et promis aux élus. Cependant, dans le style johannique, l’élévation et la glorification sont aussi étroitement associées à la croix où se contemple tout l’amour de Dieu pour les siens. La prière de Jésus exprime alors la nécessité de recevoir cet amour depuis le mystère la croix, le lieu du don ultime et salvateur.
Pour que l’amour soit en eux comme moi aussi
La passion proche est ainsi définie en termes de don : pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et que moi aussi, je sois en eux. Quoique marchant vers la croix, ou, justement, parce que marchant vers la croix, le Christ s’affirme comme celui qui fait vivre sa communauté, garantit son unité et sa communion au Père. La prière de Jésus donne sens à la mission ecclésiale en l’inscrivant dans son amour livré. Dès lors la croix devient don de vie et d’espérance pour des communautés déchirées, en lui ouvrant un avenir, une résurrection promise.