La Passion selon Jean : présentation (Jn 18-19)

Vendredi saint, Jn 18,1-19,42

Le récit de la Passion du quatrième évangile comporte nombreuses particularités qui le distingue des synoptiques Marc, Matthieu et Luc.

Lovis Corint, Deposition de la croix, 1895

Les éléments communs

Bien évidemment, le récit suit les grandes lignes de la passion des autres évangiles : trahison par Judas, comparution devant les instances religieuses, reniement de Pierre, procès face à Pilate, condamnation, crucifixion et mise au tombeau. Nous retrouvons les grandes étapes de la passion ainsi que les mêmes personnages secondaires : Judas, Caïphe, Pilate et la soldatesque romaine, Pierre, Barabbas. L’ensemble se déroule dans les mêmes lieux que sont le mont des Oliviers, le prétoire où se tient Pilate et le Golgotha désignant le lieu de la crucifixion. Tout cela résulte, bien évidemment, de ce que la tradition commune rapporte de l’histoire. Cependant, par sa mise en scène et son vocabulaire, le quatrième évangile manifeste une véritable originalité.

Les particularités johanniques

En Jean, et cela est manifeste dès le début, Jésus surplombe et dirige l’ensemble de la Passion. Il semble mener sa propre arrestation et son propre interrogatoire. Le quatrième évangile laisse, ainsi, Jésus porter sa croix seul sans l’intervention du Simon de Cyrène des synoptiques. Sur la croix, c’est encore lui qui invite son disciple à accueillir sa mère. Il est l’acteur – celui qui agit – de sa Passion. Le déplacement au sanhédrin est omis. Jésus est emmené chez un grand-prêtre qui n’est plus en activité. Hanne est le beau-père de Caïphe qui n’a ici qu’un rôle mineur. Nous verrons pourquoi. A l’inverse, Jean donne une place conséquente à la comparution de Jésus devant Pilate.

Le passage le plus particulier au quatrième évangile est sans doute celui de la crucifixion. Alors que les évangiles synoptiques, donnent à voir Jésus abandonné de tous, exceptées quelques femmes, mais au loin, Jean nous donne à entendre une scène plus intime avec la mère de Jésus et le disciple qu’il aimait. Je ne vais pas développer ici toutes ces particularités que nous découvrirons avec les articles suivants.

Chronologie

Un autre point concerne la chronologie de la Passion. Avec les synoptiques, Jean s’accorde sur le fait que Jésus est arrêté un jeudi soir, crucifié le vendredi, veille du sabbat, et ressuscité le dimanche. Cependant, il se distingue en plaçant la date de la Pâque juive le même jour que le sabbat, et non le vendredi comme la tradition synoptique. Ces deux versions offrent deux dates possibles à la mort de Jésus : le 27 avril de l’an 31, si l’on suit la chronologie synoptique, ou le 7 avril de l’an 30 si l’on s’appuie sur l’évangile de Jean, hypothèse majoritairement partagée.  

La stratégie narrative

Cette différence nous amène, justement, à la question de l’historicité des récits. Aucun ne permet de remettre en cause l’événement historique de la Passion, mais qui des quatre récits s’en rapproche le mieux ? Tous. Mais tous, aussi, raconte la Passion en fonction de leur propre stratégie narrative : développant certains détails, omis par d’autres, ou donnant plus de poids à une scène particulière, ajoutant çà et là, des paroles, des dialogues qui donnent sens à la Passion. L’ensemble des récits a pour but de nourrir la foi des communautés auxquelles ils s’adressent. Tous s’accordent pour exprimer, et illustrer au mieux, la nécessaire foi au Christ crucifié et ressuscité. L’ensemble des évangiles soulignent combien, la Passion est le lieu de la révélation divine et l’inauguration des temps derniers. Nous verrons ainsi, pourquoi Jean insiste sur tel ou tel point plus que les autres. Et si l’on porte un regard d’ensemble sur son récit de la Passion, nous pouvons déjà observer une certaine progression.

Rembrandt, 1638, Marie Madeleine et le Ressuscité

D’un jardin à l’autre

En fonction de la géographie et des personnages, l’ensemble de la Passion johannique comporte cinq tableaux, qui nous font aller d’un jardin à un autre : du jardin de la trahison au mont des Oliviers (18,1) au jardin du tombeau neuf (19,41). Il ne s’agit pas d’un détail. Ce passage d’un jardin à un autre fait allusion au jardin d’Eden, et veut montrer combien la Passion du Christ vient préparer un “nouveau jardin”, loin de celui de la faute. La Passion prépare une réconciliation, une Alliance nouvelle, au matin de Pâques où, en ce même lieu, Marie de Magdala confondra Jésus avec le jardinier (20,15).

La mention des jardins n’est donc pas une donnée topographique. Elle permet au lecteur de progresser au travers la passion dans un crescendo qui va de la condamnation par le grand-prêtre (18,13-27), au salut offert à la croix (19,17-37). Au jugement des instances religieuses œuvrant pour condamner à mort le Christ, répond le jugement salvifique de ce dernier, offrant sa vie à ceux qui aiment, son disciple et sa mère, symbole de la communauté ecclésiale. De même au reniement de Pierre répond l’amour donné au disciple. C’est donc à la croix que se joue le Salut.

Au centre de ces cinq tableaux, Jean nous offre la magnifique scène de la comparution devant Pilate, qui indécis, hésite (pour un temps) entre les autorités religieuses et Jésus. Là où les évangiles synoptiques étaient assez brefs, l’évangéliste a déployé ce récit du prétoire. Mais c’est d’abord dans un premier jardin que nous sommes invités à nous rendre.

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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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