Arrestation au jardin (Jn 18,1-12)

Parallèles : Mt 26,47-56 | Mc 14,43-50 | Lc 22,47-53

Vendredi saint, Jn 18,1-19,42

Le récit de la Passion suit immédiatement le discours testamentaire de Jésus et sa prière à son Père. La scène de l’arrestation donne déjà les clefs de lecture pour l’ensemble de la Passion en y engageant ici tous les acteurs et impliquant également la communauté postpascale de l’évangéliste.

Gerard Douffet, L'arrestation du Christ, 1620

La venue de Judas (18,1-3)

Jn 18, 1 Ayant ainsi parlé, Jésus sortit avec ses disciples et traversa le torrent du Cédron ; il y avait là un jardin, dans lequel il entra avec ses disciples. 2 Judas, qui le livrait, connaissait l’endroit, lui aussi, car Jésus et ses disciples s’y étaient souvent réunis. 3 Judas, avec un détachement de soldats ainsi que des gardes envoyés par les grands prêtres et les pharisiens, arrive à cet endroit. Ils avaient des lanternes, des torches et des armes.

Le jardin de la trahison

Géographiquement, la scène se situe au mont des Oliviers, de l’autre côté du Cédron, la rivière qui coule près du mur oriental de Jérusalem et du Temple. Mais, Jean préfère parler d’un jardin, là où les évangiles synoptiques précisaient le lieu proche de Gethsémani, au jardin des Oliviers.

Comme je l’ai souligné plus haut (Présentation de Jn 18-19), au jardin de l’arrestation succèdera, de l’autre côté de la ville, le jardin du tombeau, d’un tombeau vide à Pâques. Ici, ce jardin est d’abord celui de la trahison par l’un sien, Judas, et cela de manière brute, sans le baiser hypocrite des synoptiques. Ce n’est pas seulement Jésus qui est trahi mais également la communauté des disciples. Ce jardin représente le lieu où ils avaient l’habitude de s’assembler. La trahison de Judas vient briser l’unité des disciples. La Passion de Jésus implique déjà la communauté.

Soldats et gardes

La traduction liturgique évoque un détachement de soldats. Le texte grec est davantage précis. Il parle d’une cohorte de soldats. Le terme cohorte (speira, σπεῖρα) est un terme technique militaire, qui dans l’armée romaine du premier siècle, définit une troupe de six sent soldats, présents à Jérusalem. Ici, évidemment, il conviendrait d’entendre que ces soldats, qui peuvent être une dizaine, appartiennent à une cohorte. Mais l’évangéliste insiste justement sur ce régiment : une cohorte de soldats à laquelle il ajoute des gardes des grands prêtres, auxquels il associe les Pharisiens. Ils ont avec eux, des lanternes, des torches et des armes. Par cette description, insistant sur une multitude en armes, l’évangéliste montre ce monde hostile, ce monde des ténèbres, qui s’avance pour se saisir de Jésus. Ils se présentent armés pour arrêter celui qui promet sa paix (14,28-29), munis de lampes et de torches, lumières éphémères, pour se saisir de celui que l’évangile a désigné comme la lumière du monde (8,12).

Giulio Cesare Procaccini, L'arrestation du Christ, 1620

Qui cherchez-vous ? (18,4-9)

18, 4 Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver, s’avança et leur dit : « Qui cherchez-vous ? » 5 Ils lui répondirent : « Jésus le Nazaréen. » Il leur dit : « C’est moi, je le suis. » Judas, qui le livrait, se tenait avec eux. 6 Quand Jésus leur répondit : « C’est moi, je le suis », ils reculèrent, et ils tombèrent à terre. 7 Il leur demanda de nouveau : « Qui cherchez-vous ? » Ils dirent : « Jésus le Nazaréen. » 8 Jésus répondit : « Je vous l’ai dit : c’est moi, je le suis. Si c’est bien moi que vous cherchez, ceux-là, laissez-les partir. » 9 Ainsi s’accomplissait la parole qu’il avait dite : « Je n’ai perdu aucun de ceux que tu m’as donnés ».

Je le suis

Jésus surplombe toute la scène de l’arrestation. C’est lui qui s’avance vers cette armée et lui qui, le premier, interroge, lui qui libère les siens. Sa question « Qui cherchez-vous ? » n’est pas sans rappeler la première parole de Jésus dans l’évangile de Jean : « Que cherchez-vous ? » (1,38). Si la première question introduisait le récit de l’appel des disciples cherchant à demeurer avec le maître ; ici la réponse ne fait place à aucun motif de foi. Et pourtant, comme lors du premier chapitre, la parole de Jésus a pour dessein le salut des disciples : « Laissez-les partir ». Déjà, sa Passion à peine commencée offre le salut aux siens.

À l’inverse, la troupe armée, conduite par Judas, ne cherche nullement le salut, mais un homme appelé Jésus originaire de Nazareth. Par deux fois, Jésus reprend la même question, auquel il est fait aussi la même réponse. Ils sont venus pour arrêter ce Jésus de Nazareth et ce dernier, à chaque fois, de manière insistante, par deux fois, se présente, librement, avec les mêmes termes : C’est moi, je le suis, ou plus littéralement Je suis  (ego eimi/ἐγώ εἰμι ) ; une expression très souvent utilisée par Jésus, dans cet évangile, pour désigner son identité divine ; ce Je suis reprenant la révélation du Nom même de Dieu à Moïse (cf. 8,21-24). Ils sont venus pour se saisir l’homme, mais c’est bien le Fils de Dieu, le Verbe de Dieu fait chair, qui se livre, sans arme, sinon celle de sa Parole par laquelle tous reculèrent et tombèrent. Parole à laquelle, paradoxalement, tous se soumettent en laissant libres ses disciples. Par ce détail, l’évangéliste montre l’arme véritable du Christ : sa parole. Ni l’arrestation de Jésus, ni même sa crucifixion, ne peuvent mettre fin au Verbe de Dieu.

Jésus décide de son sort et celui des siens pour ainsi accomplir pleinement le dessein de Dieu. Ce terme d’accomplissement fut toujours, précédemment, associé à l’accomplissement de la parole des prophètes. Mais ici, l’évangéliste rappelle une parole de Jésus qu’il avait dite lui-même. Ainsi, la Parole du Christ, au sein de sa Passion, reçoit ici la même autorité que celles des prophètes et de la Torah. Sa présence au sein de la Passion et sa Parole accomplissent le dessein de salut.

L’ordre de Jésus : « Laissez-les aller (ἄφετε τούτους ὑπάγειν·) ! » reprend celui donné pour libérer Lazare de ses entraves : « Laissez-le aller (ἄφετε αὐτὸν ὑπάγειν) ! » Faisant ainsi, l’évangéliste souligne encore davantage l’amour et le salut du Christ dans le don de sa vie pour les siens, en sa Passion.

Matthiass Storm, L'arrestation du Christ, 1649

L’oreille coupée (18,10-12)

Jn 18, 10 Or Simon-Pierre avait une épée ; il la tira, frappa le serviteur du grand prêtre et lui coupa l’oreille droite. Le nom de ce serviteur était Malcus. 11 Jésus dit à Pierre : « Remets ton épée au fourreau. La coupe que m’a donnée le Père, vais-je refuser de la boire ? » 12 Alors la troupe, le commandant et les gardes juifs se saisirent de Jésus et le ligotèrent.

L’épée de Pierre

La scène de l’oreille coupée est reprise dans tous les évangiles, à quelques détails près. L’oreille est, par exemple, miraculeusement guérie par Jésus, le Sauveur, dans l’évangile de Luc. Ici, c’est le nom du serviteur qui nous est donné : Malcus. Il s’agit ici du serviteur du grand-prêtre. Et à travers lui, par l’entremise de Pierre, c’est bien cette instance religieuse qui est visée. La scène désigne l’opposant principal : la classe sacerdotale du Temple, qui refuse de se mettre à l’écoute du Christ, à qui l’oreille droite, celle du jugement, du discernement, ne sert à rien. Mais cela ne sert à rien, aussi, d’user d’une arme de fer pour défendre le Christ et sa Parole. Car Jésus sait que la révélation et la manifestation de l’amour du Père devra passer par la coupe de la croix. L’intervention de Pierre contredit le plan de Dieu et préfigure, pour une part, son proche reniement.

Et face à ce Je suis de ce jardin, qui s’avance librement, il ne faut pas moins de la cohorte – traduit ici par la troupe – du commandant et des gardes juifs pour ligoter un seul homme sans arme sinon celle de la Parole.

Partagez sur :
François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.