De l’Assomption à la Croix

Assomption Lc 1,39-56 

Ne cherchez pas le récit de l’Assomption de Marie, mère de Jésus, dans les évangiles ou les Actes des Apôtres : vous ne le trouverez pas. Ce récit appartient aux traditions chrétiennes, plurielles et plus tardives.

Il ne s’agit pas ici, comme le veut la ligne éditoriale de ce site, de faire un commentaire spirituel de cette solennité. D’autres lieux sont plus compétents que moi en la matière, je me contenterai d’un éclairage historique et biblique.
Pour le récit d’évangile commenté, lire : Lc 1,39-56 La Visitation

Turino Vanni, Assomption dela vierge, 1400

Dormition et Assomption

Les églises occidentales, dont celle de la Rome catholique, évoquent ce mystère de l’Assomption où la vierge Marie est élevée, en son corps, au ciel à la fin de sa vie, sans connaître la corruption de la mort. Cette tradition se retrouve dans les vitraux du moyen-âge, illustrant le couronnement céleste de la Vierge. A l’orient, la tradition orthodoxe préfère parler de la Dormition, où Marie, entourée des apôtres, meurt avant de bénéficier de la Résurrection des morts, promise à la fin des temps.

Les traditions de la Dormition et Assomption de Marie se sont surtout développées après le IV° s. et ont donné naissance à nombreux textes. L’un d’eux, considéré comme l’un des plus anciens, datant du V° s., relate avec un langage propre aux textes apocalyptiques cette tradition :

Icône, Uspenie Bogorodicy. Konec, XVIe s.

Dormition du Pseudo-Jean (V° s.)

Ce même dimanche, la mère du Seigneur dit aux apôtres : « jetez de l’encens, car le Christ vient avec une armée d’anges. » Et voici, le Christ se présenta, assis sur le trône des chérubins. Et, pendant que nous étions tous en prière, apparurent une multitude innombrable d’anges et le Seigneur, arrivé au-dessus des chérubins avec une grande puissance. Et voici qu’un éclat de lumière se porta sur la grande Sainte Vierge par la venue de son Fils unique. Toutes les puissances célestes se prosternèrent et l’adorèrent. Le Seigneur appela sa mère et lui dit : « Marie ! » Elle répondit : « Me voici, Seigneur ! » Et le Seigneur lui dit : « Ne t’afflige pas, mais que ton cœur se réjouisse et soit dans l’allégresse, car tu as obtenu la faveur de contempler la gloire qui me fut donnée par mon Père. » […] Et pendant que sortait cette âme irréprochable, le lieu fut rempli d’un parfum et d’une huile indicible. Et voici qu’on entendait une voix céleste qui disait : « Bienheureuse es-tu parmi les femmes. » Pierre et moi – Jean – avec Paul et Thomas, nous nous empressons d’embrasser ses précieux pieds pour être sanctifiés. Les douze apôtres, alors, déposèrent son corps précieux et saint dans un cercueil et l’emportèrent. […] et le déposèrent à Gethsémani, dans un tombeau neuf […] Et le troisième jour achevé, on n’entendit plus les voix. Dès lors nous sûmes tous que son corps irréprochable et précieux avait été transféré au paradis. »

« Dormition du Pseudo-Jean », trad. Simon Claude Mimouni, in Écrits Apocryphes Chrétiens, NRF/Galimard, coll. La pléiade, 1997, p.171-188

Antoine Sallaert, Assomption de la vierge, 1620

Des références évangéliques

Cette scène se déroule à Jérusalem, après que Marie, âgée, ait reçu le message de l’ange Gabriel : « … Dans peu de temps, tu laisseras le monde et tu partiras vers les Cieux auprès de ton fils, pour la vie véritable et éternelle. » Le texte ci-dessus emprunte au vocabulaire apocalyptique (trônes, chérubins, …) et utilise quelques phrases puisées dans les récits de la nativité de l’évangile selon saint Luc. On y retrouve cette même armée céleste qu’auprès des bergers (2,13), l’invitation faite à Marie de se réjouir (1,28.30) comme lors de l’Annonciation, et la dénomination : « bienheureuse » que l’on entend aussi lors de la Visitation (Lc 1,48). L’élévation du corps reprend également le vocabulaire de la résurrection du Christ : ce troisième jour, dans un tombeau neuf (Lc 23,53 ; Jn 19,41).

Ce procédé permet ainsi de faire le lien entre la dormition de Marie et le mystère du Christ, envoyé et né en ce monde, et ressuscité d’entre les morts.

L’Assomption et la résurrection

Très tôt, les commentaires des Pères de l’Église vont s’appuyer sur cette tradition de l’Assomption de Marie pour évoquer le mystère de la Résurrection. Celui-ci n’est pas seulement destiné à l’unique Fils de Dieu, Jésus-Christ, mais est également promis à l’humanité réconciliée avec le Christ. Marie, que les églises reconnaissent vierge et immaculée, bénéficie, par anticipation, de cette résurrection des morts promise à tous les croyants, à la fin des temps. Ce lien entre Marie et l’Église n’est pas nouveau. Les textes bibliques proposés à l’occasion de la fête de l’Assomption nous le rappellent.

Beatus Facundus, San Isidoro De Leon, 1047

La femme et le Dragon Ap 11,19a ; 12,1-6.10a

Ap 11, 19a Le sanctuaire de Dieu, qui est dans le ciel, s’ouvrit, et l’arche de son Alliance apparut dans le Sanctuaire. […] 12, 1 Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. 2 Elle est enceinte, elle crie, dans les douleurs et la torture d’un enfantement. 3 Un autre signe apparut dans le ciel : un grand dragon, rouge feu, avec sept têtes et dix cornes, et, sur chacune des sept têtes, un diadème. 4 Sa queue, entraînant le tiers des étoiles du ciel, les précipita sur la terre. Le Dragon vint se poster devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer l’enfant dès sa naissance. 5 Or, elle mit au monde un fils, un enfant mâle, celui qui sera le berger de toutes les nations, les conduisant avec un sceptre de fer. L’enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son Trône, 6 et la Femme s’enfuit au désert, où Dieu lui a préparé une place. […] 10a Alors j’entendis dans le ciel une voix forte, qui proclamait : « Maintenant voici le salut, la puissance et le règne de notre Dieu, voici le pouvoir de son Christ ! »

Pour ce passage, je vous renvoie à l’épisode, plus complet, sur le livre de l’Apocalypse :

La femme de l’Apocalypse de Jean, en résumé :

Certaines interprétations voient en cette femme, la figure de la Vierge Marie, d’autant que ce texte est lu pour le jour de l’Assomption, au 15 août. Mais est-ce bien l’intention de l’auteur ? En réalité, la majorité des commentaires de ce passage, depuis les Pères de l’Église, tel Hyppolite de Rome, y reconnaissent le symbole de l’Église. Et quand quelques-uns évoquent Marie c’est pour aussitôt l’associer à sa signification ecclésiale : Marie figure et mère de l’Église. Mais que nous dit le texte exactement ?

Dans l’Apocalypse de Jean, la plupart des images décrites sont puisées dans les Écritures ou dans les apocalypses juives. Il est en est de même ici. Dans l’Ancien Testament, Jérusalem ou les fils d’Israël sont comparés une femme, la fiancée de Dieu, la fille de Sion, l’épouse du Seigneur. Une expression qui veut souligner l’Alliance qui unit le peuple à Dieu, comme le rappelle ici la vision de l’arche d’Alliance. La femme ainsi décrite porte un caractère collectif. Le soleil et la lune reprenne la description de la fiancée du cantique des cantiques, figure d’Israël, qui est belle comme la lune, resplendissante comme le soleil. Au livre de la Genèse, dans le songe de Joseph, les douze fils de Jacob sont comparés à douze étoiles. L’ensemble du vocabulaire renvoie à l’image d’Israël, dont les communautés judéo-chrétiennes de Jean sont héritières.

Avec cette description, le lecteur reconnaît dans l’enfant, le messie attendu qui doit mener paître toutes les nations avec un sceptre de fer. Une référence au psaume 2 qui chante aussi l’engendrement du Messie : Tu es mon fils bien-aimé dit le Seigneur, Moi aujourd’hui je t’ai engendré. Maintenant ce Messie royal, issu du peuple de Dieu et a été élevé auprès du Père. Le texte ne suggère pas tant la naissance du Sauveur, que cette autre naissance qu’est la Passion, suggérée par les douleurs de l’enfantement. Le désert dans lequel la femme se réfugie, pour un temps, revêt une double signification en nous renvoyant au désert biblique. Celui-ci est à la fois un temps d’épreuve pour le peuple ; mais également un temps où se révèle la miséricorde de Dieu. Ce temps au désert, représente – dans le livre de l’Apocalypse – la vie des églises postpascales qui doivent se nourrir de la foi, mais aussi se nourrir de la Passion pour vivre ces épreuves et persécutions qu’elles subissent. Et l’épreuve ici, à laquelle il faut échapper, c’est ce dragon, la figure même du Mal, opposé au projet de Dieu.

A l’inverse la femme représente ce dessein même de Dieu, révélé en ce Fils, pour offrir aux siens le salut. En cela, la figure de Marie chez Luc, rejoint cette femme ecclésiale de l’Évangile, portant, non pour elle-même, mais pour son peuple, le projet bénéfique de Dieu.

Giotto, La visitation

Élisabeth (1,39-45)

Lc 1, 39 En ces jours-là, Marie se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée. 40 Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth. 41 Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint, 42 et s’écria d’une voix forte : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. 43 D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? 44 Car, lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi. 45 Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. »

En ces jours là… l’Esprit Saint

L’épisode de la Visitation de Marie à Élisabeth se situe à la suite du récit de l’Annonciation de la naissance de Jésus. Ce récit précédent suit un schéma de vocation prophétique où l’intéressée demande une confirmation concrète de la promesse qui lui est faite. Si Marie ne demanda rien, l’ange lui indique ce qu’il est advenu à sa parente Élisabeth : 1, 36 Or voici que, dans sa vieillesse, Élisabeth, ta parente, a conçu, elle aussi, un fils et en est à son sixième mois, alors qu’on l’appelait la femme stérile.

La femme stérile à qui Dieu offre de lui obtenir, avec son époux, un enfant est un schéma biblique traditionnel qu’on retrouve avec Sara mère d’Isaac, avec Anne mère de Samuel, etc… (cf. Il est né le biblique enfant). Chez Luc, l’annonce de la naissance de Jean le Baptiste revêtait un caractère eschatologique : Élisabeth, la femme, désormais prophétesse, et bénie de Dieu prenant le premier rôle au détriment de son époux, et prêtre du Temple. Les temps nouveaux espérés adviennent. Cf. Il est né le biblique Jean (2) L’Annonciation faite à Marie viendra le confirmer avec la naissance prochaine du Fils et Christ de Dieu.

Aussi, l’entrée narratif de ce passage n’est pas anodin : En ces jours-là, est une expression que l’on retrouve chez les prophètes pour annoncer l’avènement et le jugement de Dieu. Il en est de même pour la mention de l’Esprit Saint.

Tu es bénie entre toutes les femmes

La salutation d’Élisabeth devient dès lors, non pas une salutation destinée à la venue de Marie, mais une interprétation de l’annonce angélique. Élisabeth confirme ce que l’ange a annoncé à la jeune fille de Nazareth : elle est la mère du Seigneur, le mot Seigneur étant à entendre en son sens divin. La  joie d’Élisabeth rejoint la réaction de son enfant, destiné à ouvrir le chemin du Messie : il marchera devant, en présence du Seigneur (Lc 1,17).

Dès lors l’action de grâce de Marie, appelé traditionnellement le Magnificat, devient lui-même une réponse à l’annonce angélique. Il déploie en cela le « Oui » de Marie lorsqu’elle disait : Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole ( Lc 1,38). Mais bien plus, à travers sa prière, Marie exprime ici le projet de Dieu pour son peuple.

Philippe de Champaigne, Visitation, 1648.

Magnificat (1,46-56)

Lc 1, 46 Marie dit alors : « Mon âme exalte le Seigneur, 47 exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ! 48 Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse. 49 Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom ! 50 Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. 51 Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. 52 Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. 53 Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. 54 Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour, 55 de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et sa descendance à jamais. » 56 Marie resta avec Élisabeth environ trois mois, puis elle s’en retourna chez elle.

Il s’est penché sur son humble servante

L’ensemble du Magnificat présente deux parties. Dans un premier temps, Marie exprime la grâce qui lui a été faite (46-49), mais aussitôt, dans un second temps (50-55), le discours englobe l’ensemble du destin d’Israël avec l’avènement du Christ.

Marie demeure la jeune fille de Nazareth ( Lc 1,38) que l’évangéliste la désigne par ce titre humble servante du Seigneur. Cette expression nous renvoie à la figure même du serviteur de Yahvé que sont Moïse et David. Ce sont les principales figures de la Bible à être nommés ainsi. Cette désignation de serviteur souligne une attitude d’écoute et de fidélité à l’égard de la Parole de Dieu, malgré un statut social élevé : prophète ou roi, ou ici bienheureuse parmi les âges, les générations. Marie se soumet donc à l’inattendu du projet de Dieu, lui le Puissant et le Saint, qui n’a pas choisi une femme de haut rang, ni de classe sacerdotale, n’habitant aucun lieu prestigieux. Comme pour Moïse, l’exilé, et, le trop jeune David, la grâce de Dieu prend des chemins assez déroutants pour manifester son dessein de Salut. Et c’est bien ce dessein du Sauveur que le texte entreprend déjà de décrire.

Master of the Drapery, Dormition de la Vierge, 1590

Il disperse les superbes

La succession des titres divins permet de qualifier l’action de Dieu à l’égard de son peuple. S’il est le Puissant, le Saint, c’est d’abord sa miséricorde qui s’exprime pour son peuple dont Marie se fait l’écho. L’humble servante se fait la porte-parole, la prophétesse du serviteur Israël. La voix de Marie, qui est aussi pour l’évangéliste, la voix d’Israël et de l’Église, vient rendre compte de l’avènement de la Justice divine en des termes assez combattifs : la force de son bras disperse les superbes ; il renverse les puissants de leurs trônes, renvoie les riches les mains vides…  Le texte reprend les images apocalyptiques du jugement dernier, où le Messie de Dieu vient rétablir son peuple dans la Justice, le droit et l’équité. Le Puissant intervient pour sauver son peuple des oppressions comme au temps des Hébreux esclaves de Pharaon. En filigrane apparaît ainsi la dimension pascale du salut promis. Pour autant, le magnificat veut d’abord faire référence à la promesse faite à Abraham d’avoir une descendance aussi nombreuse que le sable, et en qui sont bénies toutes les nations (Gn 12,2 ;15,5). L’avènement de Jésus est ainsi lié au rassemblement des fils d’Abraham et d’Israël en lien avec cette bénédiction des nations.

Aussi cette intervention divine, terrifiante au premier abord, est mise sous l’autorité de l’amour de Dieu et de son Alliance. Ce bouleversement attend son accomplissement, que la Parole du Christ et sa Passion vont révéler. Le Christ, bras de Dieu qui élève les humbles, autrement dit, les humiliés, qui comble de biens les affamés, invitera donc ces riches, ces puissants, comme tous ceux qu’il rencontrera, à tout laisser pour le suivre. Marie chante le dessein de Dieu en son Fils, et sa véritable puissance se dévoilera à la croix.

De même, dans la Tradition, Marie, figure de l’Église, est élevée en cette Assomption, en raison de son élection et de cet abaissement, cette humilité reçu de la Passion salvatrice du Fils Glorifié auprès du Père.

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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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