Les épis froissés (Lc 6,1-5)

Parallèles : Mt 12,1-50 | Mc 2,23-28

L’épisode vient à la suite des deux controverses avec les pharisiens lors du repas de Lévi (5,27-28 et 5,33-39). Il constitue un autre moment opposant Jésus et ses disciples aux pharisiens et introduit la question du sabbat qui se poursuivra également avec la guérison suivante (6,6-11).

Les épis froissés (6,1-4)

6, 1 Un jour de sabbat, Jésus traversait des champs ; ses disciples arrachaient des épis et les mangeaient, après les avoir froissés dans leurs mains. 2 Quelques pharisiens dirent alors : « Pourquoi faites-vous ce qui n’est pas permis le jour du sabbat ? »

Les pharisiens froissés

Il n’y pas que les épis qui soient froissés. Les pharisiens le sont également par l’attitude des disciples qui, non contents de boire et manger avec les pécheurs (5,27-33), ne respectent pas les préceptes liés au sabbat. Celui-ci correspond au septième jour consacré au Seigneur, lors duquel les juifs pieux s’abstiennent de toute activité, notamment laborieuse. Les pharisiens sont très scrupuleux en la matière et débattent notamment sur la distance autorisée à parcourir lors d’un sabbat… Tout est souvent une question d’interprétation pour savoir ce qui est permis ou non.

Ainsi, en froissant les épis, les disciples n’ont-ils pas accompli un acte laborieux tel, au temps de Moïse, l’homme ramassant du bois, un jour de sabbat et mis à mort (Nb 15,32-36) ? Cet épisode du livre des Nombres sert surtout à rappeler l’importance vitale du sabbat pour le peuple.

Mais il faut surtout relier cette scène avec le repas chez Lévi (5,27-39). Avec ses disciples, Jésus se présentait comme l’époux inaugurant les noces eschatologiques venus appeler les pécheurs. Or, ici, en passant outre le respect du sabbat, les propres disciples de Jésus se comportent également comme des pécheurs, et commettent un véritable péché, sans que leur maître ne leur dise quoi que ce soit. Ainsi, les reproches des pharisiens, à l’encontre des disciples, remettent en question l’autorité même de Jésus. Qui ne dit mot consent ?

Le passage de la mer Rouge par les Hébreux, gravure de la fin du XIXe

Le sabbat pour le créateur et sauveur

Le respect du sabbat fait partie des préceptes fondamentaux, inscrit dans les dix commandements. Plus encore, il célèbre l’alliance entre Dieu et son peuple. C’est même, pour le livre de l’Exode, une question vitale :

Ex 31, 13 « Toi, tu parleras ainsi aux fils d’Israël : Surtout, vous observerez mes sabbats, car c’est un signe entre moi et vous, de génération en génération, pour qu’on reconnaisse que je suis le Seigneur, celui qui vous sanctifie. 14 Vous observerez le sabbat, car il est saint pour vous. Qui le profanera sera mis à mort : Oui, quiconque fera, en ce jour, quelque ouvrage, cette personne-là sera retranchée du milieu de sa parenté.

Selon ce même livre, le repos sabbatique est lié à la création. L’homme est invité à célébrer et reconnaître en Dieu, le créateur et seul maître du monde créé (cf Le septième jour).

Ex 20, 10 Le septième jour est le jour du repos, sabbat en l’honneur du Seigneur ton Dieu : tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni tes bêtes, ni l’immigré qui est dans ta ville. 11 Car en six jours le Seigneur a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent, mais il s’est reposé le septième jour. C’est pourquoi le Seigneur a béni le jour du sabbat et l’a sanctifié.

Le livre du Deutéronome fonde, quant à lui, le sabbat sur la délivrance des Hébreux lors de la sortie d’Égypte. Le peuple, et particulièrement le croyant, est invité, ce jour-là, à ne pas se comporter tel le tyrannique Pharaon. Son repos sabbatique est aussi celui des siens, de ses serviteurs, de l’immigré et de ses bêtes. Le sabbat permet de faire mémoire du Dieu sauveur venu pour ces hébreux esclaves.

Dt 5, 14 mais le septième jour est le jour du repos, sabbat en l’honneur du Seigneur ton Dieu. Tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bœuf, ni ton âne, ni aucune de tes bêtes, ni l’immigré qui réside dans ta ville. Ainsi, comme toi-même, ton serviteur et ta servante se reposeront. 15 Tu te souviendras que tu as été esclave au pays d’Égypte, et que le Seigneur ton Dieu t’en a fait sortir à main forte et à bras étendu. C’est pourquoi le Seigneur ton Dieu t’a ordonné de célébrer le jour du sabbat.

La sabbat célèbre ainsi Dieu créateur et sauveur : deux caractéristiques que nous allons retrouver dans nos deux épisodes liés au sabbat. La scène présente se déroule en extérieur et est liée à la création : champs, épis… Jésus s’y déclare maître du septième jour. Dans la scène suivante, la question du sabbat sera associée à la guérison, c’est-à-dire la délivrance d’un homme à la main sèche (6,6-11). Avec ces deux passages, l’évangéliste permet de rendre compte de ces deux fondements scripturaires du sabbat (Ex 20,11 ; Dt 5, 14) et vient asseoir la figure eschatologique du Fils de l’homme.

Ce que fit David (6,3-5)

6, 3 Jésus leur répondit : « N’avez-vous pas lu ce que fit David un jour qu’il eut faim, lui-même et ceux qui l’accompagnaient ? 4 Il entra dans la maison de Dieu, prit les pains de l’offrande, en mangea et en donna à ceux qui l’accompagnaient, alors que les prêtres seulement ont le droit d’en manger. » 5 Il leur disait encore : « Le Fils de l’homme est maître du sabbat. »

Un jour, il eut faim

Jésus ne répond pas aux pharisiens en termes d’action permise ou non. Il détourne la question à double titre. D’abord, il ne met pas en cause les disciples et prend sur lui la responsabilité de leur geste. Ainsi les épis froissés par les disciples sont mis sur le même plan que les pains donnés par David à ses compagnons. Ainsi, il prend à témoin l’une des figures, royale, prophétique et messianique, de la foi en Israël. L’épisode en question fait référence à la fuite de David devant la colère de Saül (1S 21,1-10). L’interprétation qu’en donne ici Jésus, fait de David, l’oint et christ du Seigneur, celui qui passa outre la Loi, pour sauver les siens.

Le maître du sabbat

De ce fait, Luc positionne Jésus tel un nouveau David, oint par le Seigneur, pas encore roi et devant lutter, avec ses compagnons, contre une opposition virulente. Jésus affirme ainsi son autorité messianique. En tant que Fils de l’homme, il est l’interprète de la Loi et le guide du sabbat.

Seul Dieu est le maître du sabbat ainsi que le Fils de l’homme qui reçoit de Dieu son pouvoir. Le jugement eschatologique, inaugure le temps du règne de Dieu qui, avec une création renouvelée, offre un temps jubilaire de grâce (4,19). L’envoyé de Dieu n’est pas soumis à la Loi, mais la gouverne et indique sa véritable interprétation selon le plan divin, un plan de Salut. Comme le montrera la suite de ce récit (6,6-11).

François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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