Le repas chez Simon le pharisien (Lc 7,36-50)

11ème dim. ord. (C) Lc 7,36-8,3

Au regard du passage précédent, le repas chez Simon vient illustrer l’incompréhension des grands face à l’accueil que les petits réservent favorablement au Christ. Cependant, le récit déploie d’autres thèmes.

Andrei Mironov, le Christ dans la maison de Simon le pharisien, 2020

Le pharisien et la pécheresse (7,36-39)

7, 36 Un pharisien avait invité Jésus à manger avec lui. Jésus entra chez lui et prit place à table. 37 Survint une femme de la ville, une pécheresse. Ayant appris que Jésus était attablé dans la maison du pharisien, elle avait apporté un flacon d’albâtre contenant un parfum. 38 Tout en pleurs, elle se tenait derrière lui, près de ses pieds, et elle se mit à mouiller de ses larmes les pieds de Jésus. Elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers et répandait sur eux le parfum. 39 En voyant cela, le pharisien qui avait invité Jésus se dit en lui-même : « Si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu’elle est : une pécheresse. »

La table du pharisien

Nous ne saurons qu’après que ce pharisien se nomme Simon et cette temporisation a une certaine importance. Le pharisien est l’hôte d’un repas honorifique. À l’image des repas antique, celui-ci n’est pas de l’ordre de l’invitation intime et personnelle. Le texte insiste par deux fois : Jésus prend place à la table du pharisien (7,36.37). Il montre le caractère volontaire de Jésus de s’asseoir et manger avec un membre de la branche pharisienne, fidèle à la Loi de Moïse et aux préceptes de pureté. On reprochait peu avant à Jésus d’être un glouton et un ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs (7,36). Or le voilà qui semble de se rapprocher des pharisiens.

Les repas de ce type sont des occasions de célébrer la communion fraternelle, unis dans la foi. L’usage voulait qu’à cette occasion, l’invitation s’ouvre largement aux proches de l’hôte. Parfois, était installée, plus à l’extérieur, une table pour d’autres convives et notamment les pauvres. Ainsi, la venue de cette femme ne doit pas trop nous étonner. D’ailleurs, ce n’est pas sa présence qui surprend le pharisien, mais l’absence de réaction de Jésus. Pour lui, si Jésus était un homme inspiré, un prophète, il saurait faire la différence entre les justes et les pécheurs comme cette femme. Du point de vue pharisien, se laisser ainsi toucher par une telle personne, pourrait compromettre son état de pureté, déshonorant la table de son hôte. Bref, cet état de vie devrait, au moins, obliger Jésus à une réaction.

Giovanni Domenico Tiepolo, onction chez simon le pharisien, 1752

La pécheresse

Si Simon est l’hôte et Jésus l’invité, la femme est celle qui s’invite comme une intruse étrangère. Cette attitude marque déjà une certaine audace : elle, la pécheresse reconnue, entre dans la maison d’un pharisien. Sa venue n’est motivée que par la présence de Jésus : elle n’est pas là par hasard. Plus que sa présence en ce lieu, son attitude est des plus gênante, malaisante comme on l’entend aujourd’hui. Luc détaille la scène pour mieux insister sur sa position surprenante et très intime, voire sensuelle : mouillant les pieds de Jésus de ses larmes, les essuyant avec ses cheveux et les parfumant.

Elle est reconnue comme une personne pécheresse. L’expression veut souligner une situation de vie qui place l’individu en état de péché durablement, comme les publicains précédents (7,36). On a souvent assimilé cette femme à une prostituée. Comme si, parce que femme et pécheresse, elle ne pouvait être que prostituée. Le texte n’en dit rien. Il existe d’autres situations de péché durable : fréquentation des idoles ou d’idolâtres… Inutile de supposer. Luc est très clair et ne désigne cette femme que par le terme pécheresse. Ainsi se confrontent deux mondes : celui de le probité pharisienne et celui du péché. Mais c’est bien vers Jésus que se dirige la femme.

Aux pieds de Jésus

Il faut imaginer un repas à la mode gréco-romaine pour visualiser la scène. Jésus n’est pas assis sur un tapis ou à la table, mais en position couchée. La femme se tient donc derrière, à ses pieds. La description est à la fois de l’ordre de l’intime, en mentionnant le parfum, les cheveux, les baisers, mais aussi de l’ordre de l’humiliation. Le lavement des pieds, qui servait de geste d’hospitalité, était réservé à un ou une esclave, parfois à l’épouse. Ainsi tout en honorant Jésus par son parfum, un produit très couteux, elle s’humilie devant tous. Les pleurs colorent l’épisode d’une note dramatique. À cette table, la femme montre l’importance qu’elle donne à Jésus. Luc ne nous en dit pas plus sur ses motivations et laisse le lecteur avec la passivité de Jésus et l’interrogation du pharisien. Ce dernier voit en lui un homme de Dieu, supposé prophète, et en cette femme une pécheresse avérée. Et, Jésus ne semble rien voir : le comble pour un prophète !

Jan van Hemessen, 1556

La parabole du créancier (7,40-43)

7, 40 Jésus, prenant la parole, lui dit : « Simon, j’ai quelque chose à te dire. – Parle, Maître. » 41 Jésus reprit : « Un créancier avait deux débiteurs ; le premier lui devait cinq cents pièces d’argent, l’autre cinquante. 42 Comme ni l’un ni l’autre ne pouvait les lui rembourser, il en fit grâce à tous deux. Lequel des deux l’aimera davantage ? » 43 Simon répondit : « Je suppose que c’est celui à qui on a fait grâce de la plus grande dette. – Tu as raison », lui dit Jésus.

Simon, j’ai quelque chose à te dire

Jésus ne s’adresse pas à la femme en premier, ni même au pharisien, mais à la personne qui, de fait est pharisien. Ainsi, Jésus l’interpelle par son nom : Simon. Si le pharisien réduisait la femme à son état de péché, Jésus ne réduit pas Simon à son engagement pharisien. L’interpellation de ce dernier se situe dans l’ordre de l’enseignement voire de la révélation : j’ai quelque chose à te dire. Simon réagit d’ailleurs comme celui va entendre une leçon de son maître. Et là encore, nous pouvons nous étonner. Car Jésus ne réagit pas à la présence et l’attitude de la femme. Il s’adresse à Simon pour lui faire entendre une métaphore.

Pierre Subleyras, Le Christ en la maison de Simon le pharisien, 1736

Un créancier, deux débiteurs

La parabole met en scène trois personnages : deux débiteurs redevables de l’un cinquante pièces, ou deniers, et l’autre dix fois plus. Le denier correspond à peu près au salaire journalier d’un ouvrier. Les sommes sont donc assez importantes et permettent de souligner la mansuétude du créancier face à l’incapacité de l’un, comme de l’autre, à rembourser leurs dettes. Il est le perdant dans cette histoire, abandonnant 550 deniers, l’équivalent d’un an et demi de salaire.

Bien évidemment, la métaphore renvoie à la situation présente. Dans le langage du nouveau testament, la dette est parfois associée au péché, comme nous pouvons l’entendre dans la version matthéenne du Notre Père : Mt 6,12 Remets-nous nos dettes, comme nous-mêmes nous remettons leurs dettes à nos débiteurs. Mais est-ce déjà si évident dans notre récit ? Pas si sûr. Simon n’est pas le lecteur croyant qui possède déjà des clés d’interprétation.

Du point de vue de Simon ?

En tant que pharisien, Simon peut entendre la leçon religieuse et théologique. Il peut aussi comprendre que la métaphore met en scène Dieu, le créancier, et les fils d’Israël, débiteurs. Et pour un pharisien, ces derniers sont redevables de ce que Dieu leur a donné : la vie, le bonheur, la prospérité… et cela par leur fidélité à la Loi. La dette peut mesurer la bénédiction reçue. Et pour le pharisien, fidélité à la Loi et amour de Dieu vont de pair. À l’inverse, les pécheurs, par leur vie ou leurs actes, se sont coupés de Dieu et de sa bénédiction, et ne lui doivent rien. Ainsi, de son point de vue, Simon peut voir en la remise de dette de la parabole, une récompense pour ceux qui sont les plus redevables envers le Seigneur, et l’aimeront encore davantage. Dans un premier temps Jésus lui donne raison, cependant, il poursuivra la leçon d’une autre manière. Et cette suite montre bien que Simon n’avait peut-être pas tout saisi.

Car, la parabole fait jouer trois personnages comme le récit tourne autour de trois personnes : Jésus, Simon et la femme. Si le lecteur peut saisir que, derrière la figure du débiteur, se devine celle de Jésus, pardonnant les péchés ; qui de la femme ou de Simon est le plus grand débiteur ?

La faute de Simon (7,44-47)

7, 44 Il se tourna vers la femme et dit à Simon : « Tu vois cette femme ? Je suis entré dans ta maison, et tu ne m’as pas versé de l’eau sur les pieds ; elle, elle les a mouillés de ses larmes et essuyés avec ses cheveux. 45 Tu ne m’as pas embrassé ; elle, depuis qu’elle est entrée, n’a pas cessé d’embrasser mes pieds. 46 Tu n’as pas fait d’onction sur ma tête ; elle, elle a répandu du parfum sur mes pieds. 47 Voilà pourquoi je te le dis : ses péchés, ses nombreux péchés, sont pardonnés, puisqu’elle a montré beaucoup d’amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour. »

Hospitalité et reconnaissance

Enfin, Jésus se tourne vers la femme. Mais non pour s’adresser à elle. Et de manière surprenante, cette femme pécheresse est montrée en exemple à Simon, le pharisien. La scène est presque comique : Jésus la désigne à Simon, comme si celui-ci ne l’avait pas remarqué, et comme si elle avait toujours été là pour Jésus. Mais l’avait-il vu sous cet angle ? La femme devient parabole.

Jésus reprend le critère de Simon pour qui celui a la plus grande dette est celui qui a reçu le plus en raison de sa fidélité à la Loi. Il pointe justement combien cette femme fut plus fidèle que Simon à une loi ancestrale et sacrée : l’hospitalité. Celle qui aurait pu être rejetée du repas en raison de sa vie pécheresse, est celle qui a le mieux honoré, accueilli Jésus et reconnu en lui, celui qui offre le pardon. Le pharisien, celui qui pense avoir vu juste, a manqué à son premier devoir d’hôte. Et plus encore, il ne s’est pas impliqué dans cette relation de la même manière. De ce point de vue, Jésus vient d’inverser les rôles entre les débiteurs, et la femme surpasse le pharisien. Jésus va offrir une autre clé d’interprétation en introduisant la notion de pardon, qui jusque-là n’avait pas été évoquée.

Philippe de Champaigne, Le repas chez Simon, 1656

Le pardon et la dette

Ainsi le critère de la grâce reçue et de l’amour n’est plus le mérite ou la fidélité mais le pardon. Celle qui montre plus d’amour est cette pécheresse. La phrase est très provocatrice dans la maison d’un pharisien. Le pécheur est aimé en raison de sa repentance et du pardon reçu, autant, ou plus, que le croyant fidèle. Jésus insiste sur ce point en invoquant ses nombreux péchés. L’image permet ainsi à Simon de comprendre autrement la parabole précédente en offrant un changement de perspective afin d’apporter un autre regard sur la situation.

Là où, depuis sa table, Simon mesurait uniquement le péché, Jésus désigne la grâce accordée. Là où, dans la parabole, nous avons calculé la perte du débiteur ; Jésus pointe son gain : l’amour. La métaphore permet ce glissement de la dette à la remise de dette, de l’aspect comptable et méritoire à la relation gracieuse. Simon regardait la femme en pointant, calculant, son passé et son état de vie. Jésus s’est laissé toucher par son attitude et oblige à penser en termes de pardon, d’avenir et de relation aimante. La parabole offre ainsi une interprétation à l’attitude de la femme : un geste de reconnaissance et d’amour. Le péché est ici considéré comme une dette parce qu’il représente un manque d’amour que Dieu peut combler. Si Jésus est prophète ce n’est pas pour dénoncer le péché et les pécheurs, mais pour annoncer une remise de dette et un pardon, sans contrepartie, en vue de rétablir une relation aimante entre la personne et le Seigneur. À l’image du généreux créancier, cette grâce vaut pour tous, quel que soit le montant. En cela, ce passage vient également illustrer la parole de Jésus à Nazareth qui, reprenant Isaïe (Is 61,1), annonçait une année favorable accordée par le Seigneur (4,19). Cette année est celle d’une année de grâce et remise de dette voulue lors du grand jubile (Lv 25). Ainsi Jésus vient accomplir le dessein de salut de Dieu.

Tes péchés sont pardonnés (7,48-50)

7, 48 Il dit alors à la femme : « Tes péchés sont pardonnés. » 49 Les convives se mirent à dire en eux-mêmes : « Qui est cet homme, qui va jusqu’à pardonner les péchés ? » 50 Jésus dit alors à la femme : « Ta foi t’a sauvée. Va en paix ! »

Va ta foi t’a sauvée

Une fois encore, Luc souligne l’immédiateté de la grâce reçue. Sans questionner, sans demander de contrepartie, il offre le pardon de Dieu. La même attitude sera encore illustrée lors de la parabole du père et des deux fils (15,11-32). Mais, ici, nous ne sommes plus dans la parabole, dans l’exemple ou dans l’annonce d’un événement à venir. Jésus fait grâce, ici, maintenant, dans la maison du pharisien. L’attitude de la femme, humble, aux pieds de Jésus, avait déjà tout dit, tout exprimé : les larmes pour le regret et le parfum pour l’action de grâce. Tout respirait la foi qu’elle mit en Jésus, le sauveur. Car il bien de Salut. Plus que Simon et ses convives, elle a su reconnaître en lui cet homme qui va jusqu’à pardonner les péchés et offrir une renaissance. Ainsi, la parabole est plus subversive qu’il n’y parait, et vient établir un réel changement de perspective dans l’accueil de la grâce. Le pardon offert, éclairé par la parabole, permet de mieux comprendre cette délivrance attendue, y compris par le baptiste (7,18-35) et comme l’évoque, à sa manière, le livre des Proverbes : Pr 22,7 Le riche a pouvoir sur les pauvres : le débiteur sera l’esclave de son créancier. Esclave d’une situation peccamineuse, la grâce offerte ouvre à une réelle liberté, un véritable salut.

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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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