Les femmes accompagnant Jésus (Lc 8,1-3)

11ème dim. ord. (C) Lc 7,36-8,3

Ces trois versets montrent Jésus et son équipage. Trois versets qui peuvent soulever beaucoup de questions. On pourrait qualifier ce passage de sommaire : une courte section qui raconte, en quelques lignes, des périodes plus longues et servant, généralement, de transition. Ici, Luc nous permet d’observer l’itinérance de Jésus de villes en villages, avant d’entendre la parabole du semeur.

Paolo Veronese, La conversion de Marie Madeleine, 1548

Ainsi que des femmes (8,1-3)

8, 1 Ensuite, il arriva que Jésus, passant à travers villes et villages, proclamait et annonçait la Bonne Nouvelle du règne de Dieu. Les Douze l’accompagnaient, 2 ainsi que des femmes qui avaient été guéries de maladies et d’esprits mauvais : Marie, appelée Madeleine, de laquelle étaient sortis sept démons, 3 Jeanne, femme de Kouza, intendant d’Hérode, Suzanne, et beaucoup d’autres, qui les servaient en prenant sur leurs ressources.

Hommes et femmes, riches et humbles

Le portrait de ces femmes fait donc au récit précédent de la pécheresse pardonnée. Cet accueil de la Bonne Nouvelle par une pécheresse, contrastant avec la difficulté à accueillir le Christ et son message de la part de Simon, mettait en lumière ce que Jésus affirmait malgré le rejet des pharisiens  : 35 Mais, par tous ses enfants, la sagesse de Dieu a été reconnue juste. Ainsi, les femmes qui, dans ce passage de Luc, ont suivi Jésus sont désignées par la grâce, la délivrance, dont elles furent bénéficiaires par la guérison ou l’exorcisme. Sauvées, elles montrent leur attachement à la personne de Jésus. Avec elles, Luc montre un ensemble de disciples marchant à la suite de Jésus, c’est-à-dire ayant reconnu en lui, l’action de Dieu.

Nous connaissons l’identité des Douze dans leur diversité, dont les pécheurs du lac de Gennésareth (5,1-11). Luc associe, à ce compagnonnage masculin, des femmes. D’une part, l’itinérance de Jésus est ainsi décrite comme un groupe constitué, hommes et femmes, exprimant déjà la communauté chrétienne à venir. Tous, ici, sont les témoins vivants de l’avènement du règne de Dieu. Tous et toutes, d’une manière ou d’un autre, prennent une part active à l’annonce de l’Évangile. Luc distingue des activités de service, d’intendance – qu’on ne peut réduire à des tâches dites subalternes – et le financement des déplacements par des femmes d’un milieu social aisé. L’évangéliste dépeint cette diversité, cette universalité qui a su accueillir la Bonne Nouvelle du règne et suivre Jésus : hommes, femmes, apôtres, intendantes, bienfaitrices, telles peut-être Jeanne, femme de Kouza (inconnu par ailleurs) et intendant d’Hérode et Suzanne. Luc souligne, en tout cas, l’importance de l’appui féminin pour la mission.

Le ministère de Jésus ne convoque pas seulement des foules à chaque déplacement, il produit aussi des fruits, en rassemblant autour de lui, cette diversité. Tandis que d’autres n’entendent, ni ne veulent accueillir, l’avènement du Christ, comme le suggèrera la parabole suivante du semeur (8,4-15)

Luc décrit-il un élément historique du ministère de Jésus, ou bien la situation ecclésiale qu’il connaît, ou, encore, dépeint-il, pour sa rhétorique, la diversité, et l’universalité, qui répond à la Bonne Nouvelle ? Difficile d’être affirmatif. Sans doute mêle-t-il ces éléments. En nommant certaines femmes, il fait appel à la mémoire, au témoignage apostolique pour appuyer un discours qui sert le présent ecclésial de ses lecteurs.

Le Caravage, Marthe et Marie ou la conversion de Marie Madeleine, 1599

Marie de Magdala, pécheresse ou possédée ?

Marie de Magdala est l’une d’elles. C’est en raison de la proximité avec le récit, qu’elle fut, souvent, confondue avec la pécheresse anonyme et qu’une tradition en a fait une prostituée. De même, en certains commentaires, dans la confusion de deux scènes d’onction, on verra Marie de Magdala dans l’anonyme de l’onction de Béthanie chez Marc (Mc 14,3-9) et Matthieu (Mt 26,6-13), et remplaçant Marie, sœur de Lazare, chez Jean (Jn 12,1-8). Mais cela est un autre dossier.

Pour Luc, la pécheresse anonyme est bien distincte de Marie de Magdala. En effet, le péché ne se confond pas avec la possession d’une personne par un (ou plusieurs) esprit mauvais, ou démons. Le péché traduit un manquement à la Loi et à la volonté divine. Étaient considérés comme possédés, tous ceux et celles, qui manifestaient durablement un comportement des plus étranges, des plus déraisonnés, hystériques, fous, schizophrènes… qu’on ne pouvait qu’attribuer à un esprit mauvais ou démons. Ainsi, plus loin, l’enfant possédé est décrit à la manière d’une personne souffrant d’épilepsie (9,37-40). Il était difficile à l’époque de discerner ce qui pouvaient réellement relever d’une possession ou, avec nos connaissances actuelles, d’une souffrance médicale ou psychologique. Marie de Magdala est ainsi décrite comme ayant été délivrée de sept démons : le chiffre n’est pas comptable, il exprime davantage l’extrême gravité de l’état dans laquelle elle se trouvait, écartée de toute vie sociale et religieuse, esclave d’un mal abominable, dont rien, ni personne, sinon une intervention divine, ne pouvait délivrer. L’évangéliste nous décrira ainsi l’homme possédé par une légion de démons (8,26-39).

Le sermon sur la Montagne, Guillaume_Fouace, église ND, Montfarville, France, 1878

Marie appelée Madeleine

Luc est le seul des évangélistes à présenter Marie de Magdala en dehors des récits de la Passion (Mt 27,56.61 ; Mc 15,40.47 ; Jn 19,25) et de la Résurrection(Mt 28,1 ; Mc 16,1 ; Lc 24,10 ; Jn 20,1.18). Connue de la tradition et des lecteurs, pour être l’une des femmes découvrant le tombeau vide, elle nous renvoie au mystère pascal. Elle sera, avec d’autres femmes, les premières à reconnaître et annoncer aux disciples et aux Onze, la parole des anges du tombeau vide (24,10) sur la résurrection du Christ.

Dans les évangiles, elle est souvent désignée par l’expression Marie la Magdaléenne (ou de Magdala), en grec : Maria è Magdalènè (Μαρία ἡ Μαγδαληνὴ). Magdala est une ville sise sur la rive occidentale du lac de Galilée. Luc est le seul à la désigner par l’expression : Marie appelée la Magdaléenne ou appelée Madeleine (Μαρία ἡ καλουμένη Μαγδαληνή). Le verbe appeler (kaléo, καλέω), est utilisé, chez Luc, majoritairement, pour la désignation d’une localité (Naïm, 7,11…), d’un titre (Seigneur, 6,46), comme aussi pour l’appel à la participation du règne (14,1-24), ou la précision d’un nom (Zachée, 19,1) ou d’un surnom (Simon appelé Zélote, 6,15). Comme ce dernier, qui fait partie des Douze, Luc pourrait associer Marie à un réel changement apporté par Jésus et l’accueil de cette Bonne Nouvelle, en actes.

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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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