La parabole du semeur (Lc 8,4-15)

Parallèles : Mt 13,1-23 | Mc 4,1-20

La parabole du semeur (8,4-8) est livrée aux foules sans explication. Les disciples eux-mêmes, dans l’incompréhension, demandent quelques éclaircissements (8,9-10) avant que Jésus n’en offre une interprétation (8,11-15). Pourtant, déjà, les deux premières parties (8,4-10) offraient d’autres lectures possibles.

Le semeur est sorti pour semer (8,4-8)

8, 4 Comme une grande foule se rassemblait, et que de chaque ville on venait vers Jésus, il dit dans une parabole : 5 « Le semeur sortit pour semer la semence, et comme il semait, il en tomba au bord du chemin. Les passants la piétinèrent, et les oiseaux du ciel mangèrent tout. 6 Il en tomba aussi dans les pierres, elle poussa et elle sécha parce qu’elle n’avait pas d’humidité. 7 Il en tomba aussi au milieu des ronces, et les ronces, en poussant avec elle, l’étouffèrent. 8 Il en tomba enfin dans la bonne terre, elle poussa et elle donna du fruit au centuple. » Disant cela, il éleva la voix : « Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! »

Le semeur

Nous connaissons peut-être déjà la suite. Mais attention, il nous faut respecter le cheminement que Luc souhaite faire à son lecteur. Ainsi entendu, sans autre référence, nous pouvons nous demander à quoi Jésus fait référence dans cette parabole. Luc n’en donne, à cet instant, aucune clé d’interprétation.

Dans la Bible, l’image du semeur ou de la semence peut faire référence soit à Dieu, soit au croyant. Dans la majorité des métaphores bibliques, le semeur est associé au croyant qui est invité à semer des œuvres sur les terres de la justice divine.

  • Is 32,30 Heureux vous qui sèmerez près de tous les cours d’eau, et laisserez aller le bœuf et l’âne.
  • Os 10,12 Faites des semailles de justice, récoltez une moisson de fidélité, défrichez vos terres en friche. Il est temps de chercher le Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne répandre sur vous une pluie de justice.
  • Ps 106/107, 35 [le Seigneur] change le désert en étang, les terres arides en source d’eau ; 36 là, il établit les affamés pour y fonder une ville où s’établir. 37 Ils ensemencent des champs et plantent des vignes : ils en récoltent les fruits.

Dans le premier récit de la création, Dieu est celui qui crée et donne la semence (Gn 1,11). Le prophète Ézéchiel reprendra cette figure d’un Dieu semeur, créateur d’une terre nouvelle :

Ez 36, 9 Oui, je viens vers vous, je me tourne vers vous : vous serez cultivées, vous serez ensemencées. 10 Sur vous, je multiplierai la population, la maison d’Israël tout entière ; les villes seront habitées, et les ruines rebâties.

D’une manière ou d’une autre, la semence est liée à la sagesse de Dieu et à sa volonté. Ainsi, la parabole peut inviter le croyant à « bien viser » et ne pas manquer la bonne terre de Dieu, s’il veut gagner ses fruits. Sinon, il verra sa vie sans racine, sans air… et se perdra dans la mort. La parabole féliciterait les justes au détriment des pécheurs. Mais est-ce bien à cela que peut faire référence Jésus, ou l’auditeur, comme Simon (7,40-43) devra-t-il être obligé de changer de point de vue ?

La bonne de la terre de l’Évangile

En Marc (Mc 4,1-20), le contexte immédiat (Mc 4,1-3) permettait déjà au lecteur d’en comprendre un des sens possibles. Est-ce le cas ici ? C’est probable. Pour cela, le lecteur doit prendre en compte, les passages précédents, où depuis le discours sur Jean le baptiste (7,18-35), Jésus rappelle l’accueil ou le rejet de l’annonce de la Bonne Nouvelle. Il révélait la surdité et l’aveuglement des pharisiens et des scribes face au baptiste, comme face à lui (7,31-35). Pour illustrer ce propos, Luc nous a permis d’admirer la foi d’une femme pécheresse dans la maison de Simon, le pharisien (7,36-50), ou encore la foi de celles et ceux qui ont suivi Jésus (8,1-3).

Jésus s’adresse à ceux qui se reconnaissent pécheurs (5,11 Simon Pierre: je suis un homme pécheur) ou reconnus comme tels et rejetés (Lévi et les publicains 5,27-32, la pécheresse chez Simon 7,36-50). Il serait étonnant qu’ils les invitent à la droiture orthodoxe à l’image d’un pharisien. Luc nous montre plutôt ces gens, qui hier, piétinés, méprisés, étouffés par les uns, se sont laissés tombés dans la bonne terre de l’Évangile et portent désormais du fruit, comme Marie de Magdala (8,1-3). Est-ce à cela que veut faire référence Jésus dans sa réponse aux disciples ?

Yelin, Le sermon de Jésus, v. 1912

Les mystères du royaume de Dieu (8,9-10)

8, 9 Ses disciples lui demandaient ce que signifiait cette parabole. 10 Il leur déclara : « À vous il est donné de connaître les mystères du royaume de Dieu, mais les autres n’ont que les paraboles. Ainsi, comme il est écrit : Ils regardent sans regarder, ils entendent sans comprendre.

Ils entendent sans comprendre

Les paraboles ont souvent plusieurs lectures possibles et complémentaires. Ainsi, si la foule, ou le lecteur, a pu saisir, plus ou moins bien, la métaphore, les disciples sont dans l’incompréhension et la réponse de Jésus va apporter une clé d’interprétation. Cette dernière tient dans les mystères du royaume de Dieu que les disciples peuvent connaître par leur proximité avec le Christ. Il ne s’agit pas là d’un savoir acquis, secret, mais, comme dit précédemment, d’une expérience vécue. Appel des pécheurs, guérisons, pardon… : tous ces signes sont vécus comme des semences du royaume de Dieu et de son salut.

Ainsi, les disciples sont plus à même de comprendre la parabole qui fait de l’Évangile la seule bonne terre capable de donner vie. Mais peut-on aller plus loin ?

Ils regardent sans regarder

En filigrane, la parabole porte en elle des traces du chemin du Christ. La situation n’est pas sans évoquer l’incompréhension et le mépris des siens et des pharisiens sur ce bord du chemin, la sécheresse des notables et sadducéens à Jérusalem jusqu’aux ronces étouffantes de la Passion. Or, la fécondité de la Bonne Nouvelle passe la mise en terre et la résurrection.

Le passage emprunte au livre d’Isaïe qui, à l’occasion de son appel, s’entend dire par le Seigneur : Is 6,9 Va dire à ce peuple : « Écoutez bien, mais sans comprendre ; regardez bien, mais sans reconnaître. » Dieu répondait ainsi au prophète qui habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures (6,5) et s’inquiétait de l’accueil du message du Seigneur. En reprenant ce passage, la parole de Jésus aux disciples insiste sur ce rejet inévitable durant sa mission… et la leur, comme le montrera la suite de notre péricope.

On retrouvera, encore, l’incompréhension des disciples eux-mêmes jusqu’au tombeau vide, avec Pierre regardant les linges (24,12) et jusqu’à Emmaüs, avec les disciples incapables de voir et d’entendre avant la fraction du pain et la manifestation du Christ (24,45). Luc permet au lecteur croyant d’entendre la parabole à l’aune de la Passion. Mais Jésus offre une autre interprétation, qui ne nuit en rien aux précédentes.

parabole du semeur

La semence c’est la parole de Dieu (8,11-15)

8, 11 Voici ce que signifie la parabole. La semence, c’est la parole de Dieu. 12 Il y a ceux qui sont au bord du chemin : ceux-là ont entendu ; puis le diable survient et il enlève de leur cœur la Parole, pour les empêcher de croire et d’être sauvés. 13 Il y a ceux qui sont dans les pierres : lorsqu’ils entendent, ils accueillent la Parole avec joie ; mais ils n’ont pas de racines, ils croient pour un moment et, au moment de l’épreuve, ils abandonnent. 14 Ce qui est tombé dans les ronces, ce sont les gens qui ont entendu, mais qui sont étouffés, chemin faisant, par les soucis, la richesse et les plaisirs de la vie, et ne parviennent pas à maturité. 15 Et ce qui est tombé dans la bonne terre, ce sont les gens qui ont entendu la Parole dans un cœur bon et généreux, qui la retiennent et portent du fruit par leur persévérance.

Le diable et les épines de la gloire

Jésus offre ici une explication ou plus précisément une lecture allégorique. Cette fois, le point de focalisation devient la figure du disciple et son accueil de la parole de Dieu semée par Jésus. Ce n’est pas le rejet des pharisiens ou des sadducéens qui est visé mais la foi du chrétien qui doit faire face à bien des épreuves.

La première épreuve citée correspond à ces graines tombées sur le bord du chemin. La référence au diable renvoie le lecteur aux tentations du pouvoir et des honneurs (4,1-13) que l’on va retrouver dans l’ensemble de l’allégorie. Ici, derrière le diable se cachent d’autres discours, bien plus séduisants, qui s’opposent au message de l’évangile et qui, par conséquent empêchent de croire et d’être sauvés. Être sur le bord, c’est être sur une crête où l’on peut vite tomber du mauvais côté.

Une autre chute est illustrée par ces grains tombés dans les pierres, sans pouvoir s’enraciner. L’allégorie désigne ainsi ces croyants qui ne se contentent que des joies et bonheurs acquis mais oublient justement combien l’Évangile demande un certain abaissement parfois humiliant : au moment de l’épreuve, ils abandonnent. Dans ce crescendo, Jésus compare ceux qui sont tombés dans les épines à celles et ceux qui n’ont plus d’autres horizons que la gloire, les plaisirs et les honneurs : ils ne parviennent pas à maturité.

Dans l’allégorie qu’en donne Jésus, la parabole prend ainsi l’aspect des tentations du disciple. Il s’agit d’une mise en garde pour demeurer dans la bonne terre de l’Évangile, profondément, nourri de la parole de Dieu. Et cette interprétation a besoin d’être encore éclairer par la parabole suivante.

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Un commentaire

  1. Merci beaucoup ! je fais un dossier pour un temps fort avec des jeunes, merci merci!! je voulais vous joindre l’image de ma fresque, ça ne passe pas, désolée… Bonne semence dans le soleil de Dieu et sa brise légère! Bernadette

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