Parallèle : Mc 12,38-44
Comme si tous ses détracteurs avaient quitté la scène, Jésus s’adresse au peuple, présent dans le Temple, pour rappeler l’hypocrisie des scribes et mettre en valeur la foi d’une veuve.
Méfiez-vous des scribes (20,45-47)
20, 45 Comme tout le peuple l’écoutait, il dit à ses disciples : 46 « Méfiez-vous des scribes qui tiennent à se promener en vêtements d’apparat et qui aiment les salutations sur les places publiques, les sièges d’honneur dans les synagogues et les places d’honneur dans les dîners. 47 Ils dévorent les biens des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières : ils seront d’autant plus sévèrement jugés. »
Ils aiment les salutations
La critique n’est pas sans rappeler celle à l’encontre des pharisiens et de leurs légistes (11,42-48). Les paroles de Jésus fustigent cette recherche des honneurs. Celle-ci constituait un élément essentiel pour manifester un statut dans la société gréco-romaine : associée aux richesses, permettant de prodiguer ses largesses et entretenir ses relations. Sans aller jusqu’à l’évergétisme et le clientélisme, les scribes du Temple ont-ils succombé à ces principes mondains de la société gréco-romaine ? Le trait de Luc est certainement exagéré mais il souligne leur hypocrisie. Jésus dénonce l’écart entre le souci de leur statut et de leur apparence et leur vocation initiale. Les scribes sont les lettrés de ce monde judéen et galiléen. Spécialistes de la Loi de Moïse et des Écritures, ils en savent les interprétations, les instruisent, permettent de délibérer sur certains conflits judiciaires, et peuvent aussi servir d’écrivain public… activités par lesquelles ils se rémunéraient. Par sa fréquentation de milieux plus aisés ou socialement plus élevés, le statut de scribe à Jérusalem et au Temple était sans doute plus enviable, financièrement et honorifiquement, que celui de Galilée. Cependant, le discours de Luc vise aussi tout scribe, de tout lieu, de toute époque, et sans doute, ceux qui, au sein des communautés chrétiennes, assurent une telle fonction liée au savoir. Un savoir qui peut être oublieux du service et de la charité.
Le bien des veuves
Selon Jésus, ces serviteurs de la Parole de Dieu font preuve de démonstration par de longues prières, mais oublient de défendre les pauvres, les orphelins, les émigrés et les veuves, dévorant les biens de ces dernières. Non que les scribes volent et pillent les veuves qui demandent à être défendues, mais qu’ils n’assurent pas leur rôle de défenseur auprès des pauvres, les méprisent ou les empêchent en raison de leurs tarifs. Le reproche de Jésus devient dès lors parole pour un jugement attendu qui n’est pas sans rappeler la Loi de Moïse dans laquelle Dieu déclare :
Ex 22, 21 Vous n’accablerez pas la veuve et l’orphelin. 22 Si tu les accables et qu’ils crient vers moi, j’écouterai leur cri. 23 Ma colère s’enflammera et je vous ferai périr par l’épée : vos femmes deviendront veuves, et vos fils, orphelins.
Ainsi, ils seront d’autant plus sévèrement jugés qu’ils connaissent la Loi de Moïse. Ils n’agissent pas par ignorance. Leur voracité s’oppose à la miséricorde. Leur attitude vient contredire le dessein de Dieu.
Une veuve misérable (21,1-4)
21, 1 Levant les yeux, il vit les gens riches qui mettaient leurs offrandes dans le Trésor. 2 Il vit aussi une veuve misérable y mettre deux petites pièces de monnaie. 3 Alors il déclara : « En vérité, je vous le dis : cette pauvre veuve a mis plus que tous les autres. 4 Car tous ceux-là, pour faire leur offrande, ont pris sur leur superflu mais elle, elle a pris sur son indigence : elle a mis tout ce qu’elle avait pour vivre. »
Plus que tous les autres
À l’hypocrisie des scribes, le récit oppose la figure d’une veuve, figure méprisée par les premiers. Le texte insiste sur sa pauvreté : elle est distincte des gens riches qui déposent leurs offrandes. Dans la version de Luc, Jésus ne dit rien contre ces derniers qui servent davantage au contraste entre les scribes cités précédemment, aimant les richesses et l’apparence, et celle qui demeure au plus bas de l’échelle sociale, ne pouvant compter que sur la générosité de sa famille quand il lui en reste, ou l’aumône. Luc insiste sur l’extrême précarité de cette femme : elle est misérable et pauvre, prenant sur son indigence pour offrir à Dieu et au Temple deux petites pièces de monnaie, littéralement deux leptes. La lepte (leptôs, λεπτός) représente la plus petite unité monétaire grecque équivalant à nos centimes. Ce nombreux vocabulaire insiste sur le dénuement de cette veuve, l’opposant davantage à la description des scribes.
Tout ce qu’elle avait pour vivre
Pourtant, malgré sa pauvreté, elle accomplit son devoir religieux, à l’inverse des scribes. Le texte vient souligner cette attitude. Elle qui ne cherche pas à se faire remarquer, qui n’a pas les beaux vêtements d’apparats, ni même le savoir et ne recevra, probablement, aucune salutation, manifeste pourtant le véritable don fait à Dieu, à travers son geste. Sa foi l’a conduit à tout donner: tout ce qu’elle avait pour vivre, toute sa vie. Elle manifeste davantage son amour de Dieu que le superflu des riches ou que les scribes dénoncés par Jésus. Ainsi cette veuve méprisée par ces derniers est magnifiée par Jésus.
Ni Luc, ni Jésus ne critiquent la pertinence de cette offrande au Temple servant à son fonctionnement et à son embellissement. Pourtant, Jésus annoncera à ses disciples, la ruine prochaine de ce dernier.