Parallèles : Mt 24,1-14 | Mc 13,1-5,5-23
Dans ce chapitre de l’évangile de Luc, Jésus entreprend un discours aux accents apocalyptiques. Au sein du Temple, à ses disciples, il annonce la fin du sanctuaire mais aussi de la ruine de la ville. Par cette apocalypse, mot signifiant révélation, dévoilement, l’évangéliste invite à aller au-delà des signes merveilleux ou terrifiants, pour appeler ses disciples à l’espérance et à la vigilance, y compris dans les épreuves.
Organisation
Le discours de Jésus sur la fin des temps et l’avènement glorieux du Fils de l’homme (21,5-38) comporte trois parties dont les deux premières sont construites sur un même modèle. Une catastrophe annoncée (a), accompagnée d’événements qui ne sont pas ce bouleversement cosmique attendu (b) et précédant un avenir pour les disciples (c). L’ensemble est encadré par la mention du Temple (v.5 & v. 37-38). Pour tenir compte des péricopes liturgiques, ces trois sections seront commentées en deux articles (21,5-19 & 21,20-38).
- I – Persécutions annoncées 21,5-19
- Annonce de la destruction du Temple 21,5-7 quand cela arrivera-t-il ?
- Des évènements terrestres au bouleversement cosmiques 21,8-11
- Des faux signaux 21,8-9 Ce ne sera pas encore la fin
- Le bouleversement cosmique attendu 21,10-11 de grands signes venus du ciel
- L’épreuve des persécutions des disciples 21,12-19 Mais avant :
- II – Manifestation du Fils de l’homme 21,20-27
- Annonce de la dévastation de Jérusalem 21,20 Quand vous verrez Jérusalem encerclée
- Des évènements terrestres au bouleversement cosmiques 21,21-26
- Violence terrestre contre Jérusalem 21,21-24 jusqu’à ce que le temps des Nations soit accompli
- Le bouleversement cosmique attendu 21,25-26 les puissances des cieux seront ébranlées
- L’avènement du Fils de l’homme 21,27 Alors …
- III – Appel à la vigilance 21,28-36
- Annonce de la proche délivrance 21,28
- Des évènements terrestres au bouleversement cosmiques 21,29-33
- Comme le signe terrestre du figuier 21,29-31
- L’avènement du Royaume et cette génération 21,32-33 Le ciel et la terre passeront
- Appel à la vigilance 21,34-36 Restez éveillés
- Le jour au Temple, la nuit au mont des Oliviers 21,37-38
La chute de Jérusalem n’est pas la fin des temps
L’annonce de catastrophes, ruine du Temple (v.6) et de la ville (v.20), concerne un même événement connu du lecteur : la chute de Jérusalem, en l’été 70. Cette disposition, distinguant le sanctuaire de la ville, ne sert donc pas une chronologie. Au contraire, le discours de Jésus vise justement à dissocier la chute de Jérusalem, mais aussi les persécutions subies par les disciples, de l’attente du jugement dernier. La manifestation eschatologique du Fils de l’homme (II) est ainsi insérée entre les persécutions annoncées (I) et l’appel à la vigilance (III). Autrement dit : la ruine de Jérusalem n’est pas la fin des temps, pas plus les persécutions des disciples appelés à demeurer vigilants jusqu’à la parousie.
La sage prudence de l’évangéliste
Le drame judéen de l’an 70 a probablement suscité des interprétations quant à la proximité de la fin de temps. Luc se refuse à ce type de lecture. De la même manière, il n’associe pas le retour attendu du Christ glorifié, juge eschatologique, à des persécutions comme celles qu’il racontera dans le livre des Actes des Apôtres. Il dissocie les événements liés à l’histoire de l’avènement eschatologique raconté avec le langage apocalyptique du bouleversement cosmique. Comme le montre le discours, Luc reste très prudent quant à la proximité de la parousie liée à des événements précis. Contrairement à la littérature apocalyptique, très répandue à son époque, l’évangéliste donne dans la sobriété pour évoquer l’avènement du Fils de l’homme et les signes célestes ou terrestres qui l’accompagnent traditionnellement.
L’annonce d’une fin terrible (21,5-7)
21, 5 Comme certains parlaient du Temple, des belles pierres et des ex-voto qui le décoraient, Jésus leur déclara : 6 « Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit. » 7 Ils lui demandèrent : « Maître, quand cela arrivera-t-il ? Et quel sera le signe que cela est sur le point d’arriver ? »
Regard sur le Temple
Le récit suit immédiatement l’épisode de l’offrande de la veuve (21,1-4). Jésus est toujours le Temple, parmi le peuple. Certains admirent le Temple pour son architecture (belles pierres) comme pour sa fonction (ex-voto décoratifs). La remarque de certains souligne l’importance du Temple pour la foi d’Israël, contrebalançant le regard de Jésus porté sur la pauvre veuve. Ils semblent davantage insister sur l’usage que sur le sens de l’offrande. Il est vrai que ce Temple a belle allure depuis sa rénovation à grand frais par le roi Hérode (37-4 av. J.-C.). Pourtant, ni sa beauté, ni sa fonction n’empêcheront sa destruction avec la prise de Jérusalem en 70, par les armées romaines. Cette catastrophe, ainsi que d’autres, pouvait être comprise par les chrétiens comme le signe inaugural des derniers jours : ceux du châtiment et du jugement divin sur le monde. Jésus annonce cette ruine du Temple (v.6) comme celle de la ville entière (v.20). Si l’événement est connu du lecteur, cette annonce faite par Jésus, permet de comprendre que tout ce qu’il dit se réalisera, comme il le dira plus loin : mes paroles ne passeront pas (v.33). Ainsi, ce qui vaut pour la ville, vaudra pour le jour du Fils de l’homme.
Mais ce ne sera pas la fin (21,8-11)
21, 8 Jésus répondit : « Prenez garde de ne pas vous laisser égarer, car beaucoup viendront sous mon nom, et diront : “C’est moi”, ou encore : “Le moment est tout proche.” Ne marchez pas derrière eux ! 9 Quand vous entendrez parler de guerres et de désordres, ne soyez pas terrifiés : il faut que cela arrive d’abord, mais ce ne sera pas aussitôt la fin. » 10 Alors Jésus ajouta : « On se dressera nation contre nation, royaume contre royaume. 11 Il y aura de grands tremblements de terre et, en divers lieux, des famines et des épidémies ; des phénomènes effrayants surviendront, et de grands signes venus du ciel.
Ne marchez pas derrière eux
Comme toujours dans les temps troublés, les périodes d’insécurité et de crainte, les prophètes de malheur se lèvent ainsi que des faux-messies suivis par de nombreux croyants : Ne marchez pas derrière eux ! Avec ce discours, Luc affirme à ses lecteurs que Jésus est le seul et unique prophète et messie de la fin des temps. Aussi, l’évangéliste se veut rassurant par ces paroles de Jésus : Ne soyez pas terrifiés.
Guerres et désordres, liés à la ruine de Jérusalem ou à d’autres événements, ne sont pas des signes annonçant l’imminence du jugement eschatologique. Ils font, malheureusement, partie des accidents de l’histoire de l’humanité, il faut que cela arrive. Cependant, ils ne déterminent en rien la proximité de la fin des temps : ce ne sera pas aussitôt la fin.
Des phénomènes effrayants
Cette fin attendue est renvoyée à un plus tard indéterminé. Loin des événements historiques vécus, Luc annonce des choses bien pires. Son langage emprunte au style apocalyptique et ne vise pas à décrire précisément l’avenir. Les images utilisées : nations contre nations… des phénomènes effrayants… expriment la venue du Jugement final en des termes liés au chaos depuis la terre jusque dans le ciel. L’ensemble de la création est concerné par ce bouleversement cosmique. Guerres, séismes, famines, épidémies, choses effrayantes… ce crescendo cumule toutes les catastrophes imaginables permettant d’éviter toute comparaison avec un événement précis, ici ou là. Une manière de dire que le Jour Dernier est de l’ordre de l’inconcevable pour l’esprit humain. Mais Luc ne veut pas en rester à ces annonces apocalyptiques.
Le temps des épreuves (21,12-19)
21, 12 Mais avant tout cela, on portera la main sur vous et l’on vous persécutera ; on vous livrera aux synagogues et aux prisons, on vous fera comparaître devant des rois et des gouverneurs, à cause de mon nom. 13 Cela vous amènera à rendre témoignage. 14 Mettez-vous donc dans l’esprit que vous n’avez pas à vous préoccuper de votre défense. 15 C’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront ni résister ni s’opposer. 16 Vous serez livrés même par vos parents, vos frères, votre famille et vos amis, et ils feront mettre à mort certains d’entre vous. 17 Vous serez détestés de tous, à cause de mon nom. 18 Mais pas un cheveu de votre tête ne sera perdu. 19 C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie.
On portera la main sur vous
Les catastrophes naturelles et les conflits, hélas habituels, sont écartés des signes eschatologiques, par le discours de Jésus. Celui-ci se concentre maintenant sur la vie à venir de ses disciples. Cela vous amènera à rendre témoignage. Ce passage fait écho aux épreuves que subissent les communautés chrétiennes au temps Luc comme aussi celles qu’il évoquera dans son livre des Actes des Apôtres pour les premiers disciples.
Ces épreuves subies pouvaient interroger la foi des disciples. Que comprendre de l’annonce du Règne de Dieu, lorsque les communautés chrétiennes sont en proie aux pires injustices, sans qu’une intervention céleste n’advienne ? Luc dissocie bien ces épreuves de l’avènement du Jugement toujours espéré. Cependant, ces persécutions ne sont pas une absence du Christ dans leur vie. Au contraire, c’est lui qui assure leur défense et leur offre le salut : pas un cheveu de votre tête ne sera perdu.
Un langage et une sagesse
Quel est donc ce langage et cette sagesse contre laquelle rien ne peut résister ? Il ne s’agit pas de ces beaux discours, ni de rhétorique, ni de sentence. Le langage et la sagesse, dont il est question, sont ceux de la Croix et de la foi au Ressuscité. Tout comme leur Seigneur, ils auront à souffrir de la colère des hommes, de leur famille (cf. 12,8-12), et non celle de Dieu. Tout comme leur Seigneur sur la croix, ils auront à témoigner, non de la vengeance, mais du pardon de Dieu. Ce témoignage qu’ils auront à rendre est l’expression – certes parfois malaisée – de cet amour du Christ.
Livrés, abandonnés par leurs plus proches parents, les chrétiens persécutés peuvent compter sur l’amour vainqueur et le soutien inconditionnel du Christ. Car pas un cheveu de leur tête ne sera perdu. Pour Luc, c’est dans la persévérance dans la foi que tout chrétien puise cette espérance d’être sauvé par l’amour du Christ. Car l’épreuve n’est pas une fin, ni la fin, mais un lieu de témoignage et de salut.
Mais, alors quand viendra le jugement du Fils de l’homme ?