Parallèles : voir en fonction des passages
1er dim. Avent (A) Mt 24,37-44 (→comm.)
Le discours apocalyptique tient une même place dans les évangiles synoptiques, au sortir du conflit avec les pharisiens et sadducéens. Que ce soit en Mc 13, en Lc 21, comme en ce chapitre, ce discours de Jésus précède les récits de la Passion à Jérusalem. Son rôle et son contenu annoncent-ils la fin du monde, la fin d’un monde ou/et le début d’une espérance que viendrait inaugurer sa Passion ?
Nous pourrions faire une analyse des versions des trois évangiles. Leurs proximités mais aussi leurs différences pourraient nous questionner et nous éclairer sur la particularité du récit qu’en fait Matthieu. Je ne retiendrai que deux particularités, voire même deux détails. Matthieu est le seul des évangélistes à parler explicitement de fin du monde pour mieux en revisiter le sens. Enfin Matthieu est moins insistant sur la nécessaire vigilance des disciples. Non qu’il y montre moins d’intérêt, mais va développer ce thème dans les trois paraboles du chapitre suivant (Mt 25).
La ruine prochaine du Temple (24,1-3)
Parallèles : Mc 13,1-5 | Lc 21,5-7
24, 1 Jésus était sorti du Temple et s’en allait, lorsque ses disciples s’approchèrent pour lui faire remarquer les constructions du Temple. 2 Alors, prenant la parole, il leur dit : « Vous voyez tout cela, n’est-ce pas ? Amen, je vous le dis : il ne restera pas ici pierre sur pierre ; tout sera détruit. » 3 Puis, comme il s’était assis au mont des Oliviers, les disciples s’approchèrent de lui à l’écart pour lui demander : « Dis-nous quand cela arrivera, et quel sera le signe de ta venue et de la fin du monde. »
Temple et fin du monde
Jésus ses disciples sortent du Temple pour se diriger à ce mont des Oliviers qui lui fait face. Le texte associe sa destruction prochaine à la fin du monde. Lorsque Matthieu écrit son évangile, Jérusalem est tombée aux mains du pouvoir romain et le Temple en ruine depuis dix ans, en l’an 70. Une éventuelle cause divine de sa chute pouvait être évoquée. La ruine du Temple, demeure de Dieu, serait-elle une sanction divine contre ce lieu et cette ville qui furent parmi les acteurs de la mort du Messie ? Cette destruction du Temple est-elle l’expression d’une colère apocalyptique attendue au moment du jugement dernier ? Annoncerait-elle la fin des temps et le jugement définitif du Seigneur ? Matthieu, comme Marc et Luc, est très méfiant lorsqu’il s’agit de voir dans les catastrophes les signes annonciateurs de la venue du Juge eschatologique, le Fils de l’homme, et la fin du monde ou plutôt d’un monde.
Les trois interrogations des disciples
Nous retrouvons ces éléments dans la question des disciples : Dis-nous quand cela arrivera, et quel sera le signe de ta venue et de la fin du monde. Leur question se déploie en trois interrogations : Quand ? Quel sera le signe de ta venue ? et de la fin du monde ? Ces questions émanent des contemporains chrétiens de Matthieu et non des disciples au temps de Jésus. En effet, l’expression le signe de ta venue ne peut provenir de Simon-Pierre ou des autres disciples à ce moment précis de l’histoire. La Passion et la Résurrection n’ayant pas encore eu lieu, ils n’ont pu saisir pleinement qui est ce Christ. De plus, l’idée d’une venue qui suppose celle d’un départ céleste, inconcevable en cet instant narratif. La question est donc anachronique mais ô combien d’actualité. Une question qui nous guidera pour cette lecture. (1) Quand ? Quel sera le (2) signe de ta venue ? et de (3) la fin du monde ?
(1) Quand cela arrivera ? (24,4-14)
Parallèles : Mc 13,6-13 | Lc 21,8-19
24, 4 Jésus leur répondit : « Prenez garde que personne ne vous égare. 5 Car beaucoup viendront sous mon nom, et diront : “C’est moi le Christ” ; alors ils égareront bien des gens. 6 Vous allez entendre parler de guerres et de rumeurs de guerre. Faites attention ! ne vous laissez pas effrayer, car il faut que cela arrive, mais ce n’est pas encore la fin. 7 On se dressera nation contre nation, royaume contre royaume ; il y aura, en divers lieux, des famines et des tremblements de terre. 8 Or tout cela n’est que le commencement des douleurs de l’enfantement. 9 Alors, vous serez livrés à la détresse, on vous tuera, vous serez détestés de toutes les nations à cause de mon nom. 10 Alors ce sera pour beaucoup une occasion de chute ; ils se livreront les uns les autres, se détesteront les uns les autres. 11 Beaucoup de faux prophètes se lèveront, et ils égareront bien des gens. 12 À cause de l’ampleur du mal, la charité de la plupart des hommes se refroidira. 13 Mais celui qui aura persévéré jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé. 14 Et cet Évangile du Royaume sera proclamé dans le monde entier ; il y aura là un témoignage pour toutes les nations. Alors viendra la fin.
Une inconnue, une affirmation
Quand ? À cette interrogation, Jésus ne répond pas directement. Et la suite du discours ne cessera de marteler l’impossibilité de répondre à une question dont Dieu seul connaît, peut-être, la réponse. :
24 ,36 Quant à ce jour et à cette heure-là, nul ne les connaît, pas même les anges des cieux, pas même le Fils, mais seulement le Père, et lui seul. […] 44 c’est à l’heure où vous n’y penserez pas […] 50 le maître viendra, le jour où son serviteur ne s’y attend pas et à l’heure qu’il ne connaît pas.
Il y a cependant une affirmation claire. La ruine du Temple n’est pas le signe du jugement divin s’abattant sur les juifs incroyants. Les signes ne seront pas dans les guerres ; il y en a toujours eu et elles n’annoncent pas la fin des temps. De même les combats entre royaumes, entre nations, les famines et tremblements de terre sont décrits à la manière d’un commencement. La guerre ne sera d’ailleurs pas celle attendue.
Royaume contre royaume, nation contre nation. Les expressions, au singulier, mettent en jeu un combat entre deux groupes. Ces derniers ne sont pas étrangers au monde croyant. Car les termes pourraient aussi signifier Royaume de Dieu annoncé contre royaume de Satan (12,26), nation des disciples serviteurs contre ces nations faisant montre de pouvoir et de domination. (20,25). L’insistance sur les faux messies qui font chuter les disciples montrent également combien les guerres évoquées ne sont pas militaires mais concernent la vie interne de la communauté.
Un indice majeur nous est donné pour mieux entendre ce discours sur la fin des temps. Au pied de la croix, adviendra ce commencement de tremblement de terre (27,54). La foi au Christ est bien au cœur du discours sur ces signes de la fin des temps. Matthieu dresse ici le cadre d’action en insistant sur la vie ecclésiale. Ces douleurs de l’enfantement montrent qu’il n’est pas tant question de savoir quand adviendra la fin mais pourquoi et pour qui. L’enfantement appelle une naissance, certes après des biens douleurs qui ne sont pas une fin. Les épreuves de la communauté, atteignant même leur charité, ne sont pas la fin. Cette dernière n’est pas donnée dans un immédiat mais dans une finalité : lorsque l’Évangile aura été proclamé au monde.
(2) Le signe de la venue du Fils de l’homme (14,15-20)
Parallèles : Mc 13,14-23 | Lc 21,20-24
24, 15 Lorsque vous verrez l’Abomination de la désolation, installée dans le Lieu saint comme l’a dit le prophète Daniel – que le lecteur comprenne ! – 16 alors, ceux qui seront en Judée, qu’ils s’enfuient dans les montagnes ; 17 celui qui sera sur sa terrasse, qu’il ne descende pas pour emporter ce qu’il y a dans sa maison ; 18 celui qui sera dans son champ, qu’il ne retourne pas en arrière pour emporter son manteau. 19 Malheureuses les femmes qui seront enceintes et celles qui allaiteront en ces jours-là ! 20 Priez pour que votre fuite n’arrive pas en hiver ni un jour de sabbat.
L’abomination de la désolation
L’abomination de la désolation dont il est question en clin d’œil peut renvoyer à plusieurs événements. L’expression provient du livre de Daniel (12,12) décrivant l’installation d’une statue de Zeus au sein même du Temple de Jérusalem, en 168, par le pouvoir grec en place. Mais, il pourrait désormais, pour Matthieu, renvoyer son lecteur à la profanation du Sanctuaire par Pompée, ou encore à l’affaire des boucliers païens installés par Pilate au sein le Temple. Matthieu peut également désigner par cette expression la destruction du Temple par l’armée romaine. Difficile d’être affirmatif. Il y a bien un signe, mais ce n’est pas un signe orienté vers la fin. Ce n’est pas la fin mais une grande détresse aux airs d’exil et de persécutions.
(3) Une grande détresse (24,21-36)
Parallèles : Mc 13,14-23 ; 13,24-37 | Lc 21,20-24 ; 21,25-36
24, 21 Alors, en effet, il y aura une grande détresse, telle qu’il n’y en a jamais eu depuis le commencement du monde jusqu’à maintenant, et telle qu’il n’y en aura jamais plus. 22 Et si le nombre de ces jours-là n’était pas abrégé, personne n’aurait la vie sauve ; mais à cause des élus, ces jours-là seront abrégés. 23 Alors si quelqu’un vous dit : “Voilà le Messie ! Il est là !” ou bien encore : “Il est là !”, n’en croyez rien. 24 Il surgira des faux messies et des faux prophètes, ils produiront des signes grandioses et des prodiges, au point d’égarer, si c’était possible, même les élus. 25 Voilà : je vous l’ai dit à l’avance. 26 Si l’on vous dit : “Le voilà dans le désert”, ne sortez pas. Si l’on vous dit : “Le voilà dans le fond de la maison”, n’en croyez rien.
27 En effet, comme l’éclair part de l’orient et brille jusqu’à l’occident, ainsi sera la venue du Fils de l’homme. 28 Selon le proverbe : Là où se trouve le cadavre, là se rassembleront les vautours. 29 Aussitôt après la détresse de ces jours-là, le soleil s’obscurcira et la lune ne donnera plus sa clarté ; les étoiles tomberont du ciel et les puissances célestes seront ébranlées. 30 Alors paraîtra dans le ciel le signe du Fils de l’homme ; alors toutes les tribus de la terre se frapperont la poitrine et verront le Fils de l’homme venir sur les nuées du ciel, avec puissance et grande gloire. 31 Il enverra ses anges avec une trompette retentissante, et ils rassembleront ses élus des quatre coins du monde, d’une extrémité des cieux jusqu’à l’autre.
32 Laissez-vous instruire par la parabole du figuier : dès que ses branches deviennent tendres et que ses feuilles sortent, vous savez que l’été est proche. 33 De même, vous aussi, lorsque vous verrez tout cela, sachez que le Fils de l’homme est proche, à votre porte. 34 Amen, je vous le dis : cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive. 35 Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas. 36 Quant à ce jour et à cette heure-là, nul ne les connaît, pas même les anges des cieux, pas même le Fils, mais seulement le Père, et lui seul.
A la lumière de la Croix
Dans ce drame naît un espoir : la venue du Fils de l’homme. Cependant, Matthieu souligne l’importance du nécessaire discernement. Rien n’est évident. Ni les signes, ni la venue du Fils de l’homme. Il ne peut être désigné d’un doigt par les uns ou les autres, ni même, plus étonnant, par des signes et des prodiges dont sont avides bien des croyants en attente. Alors que reste-t-il ? Un cadavre. Là où se trouve le cadavre, là se rassembleront les vautours. Un cadavre qui attire ceux qui dévorent, non par admiration mais par cupidité. La venue du juge eschatologique est ainsi associée à une mort, qui aura bientôt lieu, celle du Christ et Fils de Dieu. Le bouleversement céleste, décrit ici, annonce déjà l’avènement de la Passion où :
27, 45 À partir de la sixième heure, l’obscurité se fit sur toute la terre jusqu’à la neuvième heure. […] 51 […] la terre trembla et les rochers se fendirent. […] 54 À la vue du tremblement de terre et de ces événements, le centurion et ceux qui, avec lui, gardaient Jésus, furent saisis d’une grande crainte et dirent : « Vraiment, celui-ci était Fils de Dieu ! »
La venue espérée, le retour du Fils de l’homme, est ainsi mis sous le regard de la croix. La Passion, donne sens à la venue du Fils. Et comme la croix, celle-ci n’est pas synonyme de colère, de vengeance mais de pardon, de repentir : ils se frapperont la poitrine. Comme la mission du Christ, le jugement dernier est associé au rassemblement, depuis les extrémités de la terre. Ainsi le contraste est fort entre les événements de guerre, de lutte, d’exil, de faux messies, temps trouble et troublé, et la venue Fils de l’homme glorifié et en paix. Cette paix même que la parabole du figuier va éclairer. Aux grands cieux et au bruit de la trompette, succède maintenant une simple porte. La venue du Fils de l’homme est ainsi vue dans son aspect positif, tel un été attendu après un difficile hiver.
(4) Le signe de la fin du monde (24,37-51)
Parallèles : Mc 13,24-37 | Lc 21,25-36
24, 37 Comme il en fut aux jours de Noé, ainsi en sera-t-il lors de la venue du Fils de l’homme. 38 En ces jours-là, avant le déluge, on mangeait et on buvait, on prenait femme et on prenait mari, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche ; 39 les gens ne se sont doutés de rien, jusqu’à ce que survienne le déluge qui les a tous engloutis : telle sera aussi la venue du Fils de l’homme. 40 Alors deux hommes seront aux champs : l’un sera pris, l’autre laissé. 41 Deux femmes seront au moulin en train de moudre : l’une sera prise, l’autre laissée. 42 Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur vient. 43 Comprenez-le bien : si le maître de maison avait su à quelle heure de la nuit le voleur viendrait, il aurait veillé et n’aurait pas laissé percer le mur de sa maison. 44 Tenez-vous donc prêts, vous aussi : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra.
45 Que dire du serviteur fidèle et sensé à qui le maître a confié la charge des gens de sa maison, pour leur donner la nourriture en temps voulu ? 46 Heureux ce serviteur que son maître, en arrivant, trouvera en train d’agir ainsi ! 47 Amen, je vous le déclare : il l’établira sur tous ses biens. 48 Mais si ce mauvais serviteur se dit en lui-même : “Mon maître tarde”, 49 et s’il se met à frapper ses compagnons, s’il mange et boit avec les ivrognes, 50 alors quand le maître viendra, le jour où son serviteur ne s’y attend pas et à l’heure qu’il ne connaît pas, 51 il l’écartera et lui fera partager le sort des hypocrites ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents.
La maison du Fils de l’homme
Le moment du retour du Fils de l’homme pour un jugement divin et définitif sur monde, est renvoyé à la seule volonté du Père. Nous ne savons pas quand. Matthieu tient à nous mettre en garde contre ces mauvaises lectures de la Révélation dernière, autre nom pour parler d’apocalypse. Les drames, les catastrophes, les persécutions elles-mêmes, ne sont pas les signes de la fin du monde. Ils ne sont que douleurs d’enfantement que la persévérance et la fidélité du croyant donnent à entendre. Une naissance est attendue, un été vient avec le Christ.
C’est à cette persévérance et à cette fidélité que Matthieu s’adresse maintenant : Tenez-vous prêts. Tenir dans la foi et l’espérance, en ayant la croix du Fils pour appui. La fin du monde au Jugement dernier devient non une fin, mais une renaissance pour qui persévère et croit. L’appel à la figure de Noé et au déluge (Gn 6-9), fait mémoire de ce récit où Dieu élimina de la terre tout le mal qui s’y était propagé. Seul Noé, l’homme juste, l’homme humble et fidèle à Dieu fut choisi avec sa famille pour devenir une création nouvelle.
Matthieu entend détourner le regard de ces croyants qui voient la fin du monde en chaque catastrophe, guerre, famine et pandémie. Il oblige à détourner le regard de ces signes et prodiges jetés par de faux messies et qui mettent à mal la charité même des élus et disciples. Aucun ne saura quand… ni à partir d’événements, ni de fausses promesses. Aucun ne saura comment ce Fils de l’Homme vient, ni à quel signe. Et en lieu et place de fin du monde, Matthieu préfère parler de commencement et de renaissance.
Pire encore, et les paraboles suivantes vont le montrer, le jugement du Fils de l’homme ne concerne pas en premier lieu, les opposants, les oppresseurs. Les premiers concernés sont ceux de la maison, les disciples serviteurs fidèles et sensés, cette communauté chrétienne invitée à vivre et à faire vivre de Sa charité, de Son amour donné sur la Croix.