Des mages venus d’orient (Mt 2,1-12)

Épiphanie

La naissance de Jésus, selon le dessein divin vient d’avoir lieu, paisiblement. Or, Matthieu nous transporte illico à Jérusalem avec d’étranges visiteurs venus de bien loin, pour une terrible menace.

Le présent article est adapté de l’épisode 117 du podcast ‘Les mages et le divin enfant’ :

James Tissot, 1893.

Des mages (2,1-3)

2,1 Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem 2 et demandèrent: « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son astre à l’Orient et nous sommes venus lui rendre hommage. »  3 A cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui.

Matthieu et Luc

Contrairement à Luc (Lc 2,1-11), notre évangéliste, ne fait nullement mention d’un déplacement depuis Nazareth. Tout se déroule à Bethléem depuis l’annonce faite à Joseph. Ce n’est qu’à la fin du récit de l’enfance que la famille de Jésus se déplacera en Galilée pour le retour à Bethléem, en Judée, depuis l’Égypte : 2,12 Mais, apprenant qu’Arkélaüs régnait sur la Judée à la place de son père Hérode, il eut peur de s’y rendre. Averti en songe, il se retira dans la région de Galilée.

Cependant, Matthieu, tout comme Luc, situe la naissance de Jésus au temps d’Hérode le Grand, un roi qui règna en Judée entre les années 37 et 4 avant notre ère. Autrement dit, si l’on retient l’hypothèse des évangélistes, Jésus serait né quelques années (entre 7 et 4 probablement) avant Jésus-Christ. Chose qui peut apparaître étrange. En réalité, ce comput est dû à une erreur de calcul, lorsqu’en 532 l’on décida de pendre pour année de référence la naissance de Jésus et non l’habituelle fondation de Rome dont l’empire avait disparu. Quoiqu’il en soit les récits n’offrent aucune année précise, ni même aucun mois sur la naissance de Jésus.

Carte de Jean de la Costa, 1500. Detail: the Biblical Magi or Three Wise Men in the Middle East.

Qui sont-ils ?

Revenons à nos mages qui ont fait couler beaucoup d’encre, chanter beaucoup de monde et éveiller les imaginations. On remarquera qu’il n’est pas question de roi-mage. De même, dans le récit de Matthieu, leur nombre ne nous est pas révélé, ni leur nom qu’une tradition plus tardive leur attribuera : Gaspard, Melchior et Balthazar. Ces traditions et légendes sur les mages vont se développer plus tard : du IV°s. au XI°s. Ainsi on peut trouver, selon les auteurs :

  • 3 mages, selon le nombre de leurs offrandes : myrrhe, encens et or.
  • 4 mages pour représenter les points cardinaux.
  • 12 mages comme en écho aux douze apôtres (ici 12 païens)
  • Ou encore 10,  nombre exprimant, bibliquement, une totalité.

Mais, aucune tradition ou légende ne les a fait parvenir en Galilée, comme le chante un célèbre refrain des années 701

Un roi annoncé

De ces mages, nous ne savons donc ni leur nom, ni leur nombre. Cependant, le récit indique qu’ils viennent d’Orient. Cet orient symbolique nous renvoie au monde perse où exerçaient des savants à la fois astrologues, médecins-guérisseurs, devins, et conseillers politiques… Ils interprétaient les signes de la nature comme des messages venant des dieux. L’apparition d’un astre était d’ailleurs souvent interprétée, par tous, comme l’annonce d’un grand bouleversement, généralement catastrophique, et annonciateur d’un nouveau règne, d’un changement de monde.

C’est bien ce qu’annonce ici nos mages : l’avènement d’un roi. La situation, décrite par Matthieu, en est même risible. Des mages venus de loin annonce la naissance d’un nouveau roi ; nouvelle qui parvient à l’actuel roi, Hérode, qui sait bien que cette naissance annoncée n’appartient pas à sa lignée. Où est le roi des Juifs ? demandent les mages dans la ville d’Hérode, le roi en place.

Ce dernier et Jérusalem avec lui ont de quoi être troublé. Le mot trouble est même faible ; il faudrait parler si l’on suit le verbe grec utilisé (tarassô, ταράσσω), de bouleversement, d’épouvante. Un changement politique s’annonce pour les Jérusalémites. Un prétendant au trône viendrait défier le pouvoir d’Hérode. Comme souvent, les récits de naissance sont une mise en abyme symbolique de ce qui va se jouer plus tard. Ainsi, chez Matthieu, la crainte des dirigeants et de Jérusalem, face à l’annonce d’un nouveau roi, prépare et anticipe le procès de Jésus et l’opposition du pouvoir en place, comme le refus des Jérusalémites à reconnaître l’innocence de Jésus. Matthieu fait se confronter deux royautés : celle des puissants comme Hérode, et celle de Dieu en ce roi des juifs qui sera reconnu sur la croix. L’histoire des mages, n’est donc pas de l’ordre du détail historique, elle a une fonction littéraire : elle sert à exprimer combien ce roi attendu est issu de Dieu et accomplit la promesse de son salut.

 The Journey of the Magi, from St. Albans Psalter, Alexis Master. Tempera and gold on parchment. Dombibliothek Hildesheim

L’étoile

Dans son récit, Matthieu fait appel à de nombreuses références symboliques et bibliques, à commencer par cette étoile (ou cet astre) que les mages ont observé. L’évangéliste fait référence, ici, à la prophétie de Balaam, ce prophète-devin et païen qui bénit les fils d’Israël conduit par Moïse se dirigeant vers la terre de Canaan.

Nb 24, 15 Alors il prononça son incantation en ces termes: « Oracle de Balaam, fils de Béor, oracle de l’homme à l’œil ouvert, 16 oracle de celui qui entend les paroles de Dieu, qui possède la science du Très-Haut, qui voit ce que lui montre Shaddaï quand il tombe en extase et que ses yeux s’ouvrent. 17 Je le vois, mais ce n’est pas pour maintenant; je l’observe, mais non de près: De Jacob monte une étoile, d’Israël surgit un sceptre qui brise les tempes de Moab et décime tous les fils de Seth.

L’étoile des mages, chez Matthieu, représente, en elle-même, l’accomplissement des Écritures guidant ceux qui espèrent ce roi des Juifs. Les mages ont trouvé une étoile et cherchent un roi comme Balaam l’annonçait : de Jacob (c’est-à-dire Israël) monte une étoile, d’Israël surgit un sceptre (c’est-à-dire un roi) qui brise les temps de Moab et les fils de Seth…  Hérode pourrait bien être concerné, L’Idumée étant voisine de l’ancienne Moab.

Sassetta, Le voyage des mages, 1440

À Bethléem de Judée (2,4-6)

2,4 Hérode assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s’enquit auprès d’eux du lieu où le Messie devait naître.  5 « A Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c’est ce qui est écrit par le prophète:  6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda: car c’est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple. »

De toi sortira le chef

La citation est tirée du livre du prophète Michée. Cependant, le texte originel n’exprime pas tout à fait la même chose :

Mi 5,1 Et toi, Bethléem Ephrata, trop petite pour compter parmi les clans de Juda, de toi sortira pour moi celui qui doit gouverner Israël. Ses origines remontent à l’antiquité, aux jours d’autrefois. 2 C’est pourquoi, Dieu les abandonnera jusqu’aux temps où enfantera celle qui doit enfanter. Alors ce qui subsistera de ses frères rejoindra les fils d’Israël. 3 Il se tiendra debout et fera paître son troupeau par la puissance du Seigneur, par la majesté du Nom du Seigneur son Dieu. Ils s’installeront, car il sera grand jusqu’aux confins de la terre.

Matthieu a donc résumé la citation tout en gardant l’essentiel, même si Bethléem la plus petite est devenue plus grande. Il ne s’agit pas d’approximation. L’évangéliste use de l’Écriture non pas à la lettre mais dans l’Esprit. L’erreur n’en n’est pas une. La naissance du Christ étant advenue, la ville peut faire maintenant partie des grandes cités.

Avec cette citation, version Matthieu, le récit donne à entendre qui est ce roi des Juifs que cherchent les mages. Hérode veut savoir  ? Il va aussi entendre qui il est. Le livre du prophète Michée donne Bethléem comme lieu de naissance. La ville est d’abord celle qui vit naître le grand roi David à qui Dieu promit une éternelle descendance royale, siégeant sur le trône de Jérusalem. La citation accentue le drame. Hérode entend que ce roi à venir, est un descendant de David, un messianique roi des Juifs face à ce demi-juif Iduméen.2

Hérode le Grand, originaire d’Idumée, avait pris le pouvoir sur la Judée grâce à ses amitiés romaines. Bien qu’il ait épousé une fille de grand-prêtre, il fut toujours considéré comme un demi-juif, sans piété et d’une violence reconnue et crainte. Nous y reviendrons lors du récit suivant.

Un enfant est donc né qui possède toute légitimité pour prendre sa place sur le trône. Du moins, si cet enfant arrive à majorité.

Psautier de Saint Louis, 1200 : folio 47

Hérode (2,7-8)

2, 7 Alors Hérode fit appeler secrètement les mages, se fit préciser par eux l’époque à laquelle l’astre apparaissait,  8 et les envoya à Bethléem en disant: « Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant; et, quand vous l’aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j’aille lui rendre hommage. »

Secrètement

Le personnage d’Hérode est décrit en contraste à celui de Joseph. Joseph voulait répudier Marie secrètement. Hérode convoque secrètement les mages. Joseph avait écouté la parole de Dieu et accepté le dessein divin en accueillant Marie et l’enfant. Hérode a pris connaissance des Écritures, la parole de Dieu, mais va tout faire pour s’y opposer. Ainsi, face à la docilité croyante de Joseph, Hérode apparaît comme celui qui instrumentalise la parole de Dieu pour parvenir à ses fins. La convocation des mages en secret relève déjà du complot contre Jésus. Hérode fait de ces étrangers des agents de renseignement malgré eux. Le roi de Judée est l’homme du mensonge, là où Joseph cherchait la vérité.

Maitre Franco Flamand, vers 1400, L' Adoration des mages et St Abbot

Ils se mirent en route (2,9-12)

2, 9 Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route; et voici que l’astre, qu’ils avaient vu à l’Orient, avançait devant eux jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant.  10 A la vue de l’astre, ils éprouvèrent une très grande joie.  11 Entrant dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe. 12 Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d’Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin.

Entrant dans la maison

Matthieu fait encore appel à l’étoile qui, cette fois-ci, se déplace pour se positionner au-dessus du domicile de l’enfant. Cette description redonne à l’étoile tout son caractère symbolique. Elle représente à elle seule toute l’Écriture qui attend et désigne l’enfant. L’étoile conduit les mages à ce nouveau roi. Cependant, il n’y a ni palais, ni palace, ni gardes armées, ni même d’anges, mais une simple maison et une humble mère. Rien, absolument rien en apparence, de désigne cet enfant comme le roi.

Or, les mages se prosternent. Ce ne sont plus seulement des hommages qu’ils viennent présenter, mais un Dieu qu’ils viennent adorer. Les païens et leur divination plient le genou devant le divin enfant à qui ils offrent leurs présents.

La scène exprime la reconnaissance du divin roi des Juifs par des païens, comme à la croix le centurion romain reconnaîtra le Fils de Dieu en ce roi des juifs crucifié (27,54). Les offrandes des mages représentent l’accomplissement des Écritures

  • Ps 71/72,10 Dieu, donne au roi tes pouvoirs, à ce fils de roi ta justice. … Les rois de Tarsis et des Iles apporteront des présents. Les rois de Saba et de Seba feront leur offrande. Tous les rois se prosterneront devant lui, tous les pays le serviront.
  • Is 60,6 Les trésors d’au-delà des mers afflueront vers toi, vers toi viendront les richesses des nations. En grand nombre, des chameaux t’envahiront, de jeunes chameaux de Madiane et d’Épha. Tous les gens de Saba viendront, apportant l’or et l’encens ; ils annonceront les exploits du Seigneur.

Or, encens et myrrhe

Les présents des mages annoncent la venue des nations à la foi au Messie d’Israël. Le roi des juifs, annoncé et attendu, est déjà le Seigneur du monde, mais sa seigneurie s’exprime dans le silence et la petitesse de cet enfant. Les pères de l’Église vont très vite associer les offrandes d’or, de myrrhe et d’encens à l’avenir du messie crucifié et ressuscité. Ainsi Saint Ambroise de Milan au IV°s. écrit dans son traité sur Luc :

Ce petit enfant que le manque de foi vous fait trouver méprisable, des mages venus d’Orient l’ont suivi sur un si long parcours, se prosternent pour l’adorer, l’appellent roi et reconnaissent qu’il ressuscitera en tirant de leurs trésors, l’or, l’encens et la myrrhe. Quels sont ces présents d’une foi véritable ? L’or est pour le roi, l’encens pour Dieu, la myrrhe pour le mort ; autre, en effet, est l’insigne de la royauté, autre le sacrifice offert à la puissance divine, autres les honneurs d’un ensevelissement qui, loin de décomposer le corps du mort, le conservera.

Les mages sont maintenant devenus des modèles de foi. Ces devins païens se sont d’abord rendus dans un palais de Jérusalem, mais c’est en une bourgade et dans une simple maison qu’ils ont reconnu, dans la faiblesse de l’enfant, le roi qu’ils attendaient. Ils sont venus en suivant une étoile, ils repartent en suivant la parole de Dieu. Leur hommage s’est mué en adoration et le chemin du retour leur sera différent.

Grâce à l’ange et la parole de Dieu, le complot d’Hérode a échoué. Du moins celui-ci, car un autre drame nous attend au prochain récit.

  1. Sheila, comme les rois mages, 1971 ↩︎
  2. L’Idumée, région au sud d’Israël, fut peuplée de Sidoniens au cours du IIIe s. av. J.-C. À la suite de la conquête, 125 avant notre ère, par Jean Hyrcan, les Iduméens se convertir au Judaïsme, mais furent considérés comme des semi-juifs, n’ayant l’ascendance requise. ↩︎
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François BESSONNET
François BESSONNET

Bibliste et prêtre (Vendée). → bio

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