Parallèles : Mt 20,29-34 | Lc 18,35-43
30e dim. ord. (B) 10,46b-52
L’épisode de la rencontre entre Jésus et Bartimée constitue la seconde guérison d’aveugle dans l’évangile de Marc. Avec celle de Bethsaïde (8,22-26), elles encadrent les trois annonces à caractère universelle1 de la Passion de Jésus et ses implications dans une vie ecclésiale faite d’humilité et de service.
D’un aveugle à l’autre
Le premier aveugle (8,22-26), anonyme, était conduit auprès de Jésus par les gens de Bethsaïde. À Jéricho, l’aveugle porte le nom de Bartimée et, à l’inverse, se fait éconduire par la population. À Bethsaïde, à l’écart, Jésus s’y était repris à deux fois pour qu’il recouvre véritablement la vue. Cette difficulté à bien voir dénonçait la résistance des disciples à bien croire en Jésus, Christ et Fils de l’homme. La guérison publique de Bartimée soulignera, quant à elle, les obstacles à suivre pleinement Jésus sur ce chemin qui le mène à Jérusalem. Mais, d’un aveugle à l’autre, de Bethsaïde à Jéricho, seule l’action du Christ ouvre les yeux et un avenir.
Bartimée (10,46)
Mc 10, 46 Jésus et ses disciples arrivent à Jéricho. Et tandis que Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une foule nombreuse, le fils de Timée, Bartimée, un aveugle qui mendiait, était assis au bord du chemin.
Telle une procession
Le chemin de Jésus et ses disciples les mène, le long du Jourdain, à Jéricho, ville frontière et commerçante de la Judée. Le lieu est aussi emblématique. Dans la Bible, elle est la première cité conquise par Josué et ses fameuses trompettes. Jéricho devenait le symbole de l’action de Dieu en faveur de son peuple entrant en Terre Promise. La ville était alors un bastion cananéen où nul ne sortait ni n’entrait (Jos 1,1). Comme Josué2, Jésus réussit à entrer et sortir de la ville. Une victoire de Dieu sauveur s’annonce sur ce chemin de Jérusalem. La conquête ne fait que commencer…
Cette entrée et sortie, successive et rapide, montre également l’urgence vitale de la mission de Jésus qui ouvre la marche et la procession de ses disciples et de la foule. En ordre rangé, ils s’avancent comme si rien ne pourrait les arrêter. Rien ni personne, quoique… Il y a cet homme, décrit comme souffrant de cécité et mendiant. Ce statut le laisse au bord du chemin, de côté, à la sortie de la ville. Son nom n’est pas seulement issu de la tradition et du souvenir. Marc en souligne le sens. Bartimée signifie fils de Timée composé de bar, un terme araméen (fils) et timè un mot grec signifiant honneur. À lui seul, Bartimée réunit Juifs et Grecs. Le contraste est saisissant entre sa situation méprisable d’aveugle mendiant et son nom insistant sur la gloire, les honneurs, les pouvoirs et autres renommées. Il en serait le fils. Autrement dit, Bartimée, fils-de-Timée, est la réponse métaphorique, et pourtant concrète, aux fils de Zébédée qui désiraient les places d’honneur à droite et à gauche de Jésus. Cette recherche-là a pour conséquence de laisser les hommes, juifs ou grecs, au bord du chemin, méprisés et sans gloire.
Il se mit à crier (10,47-48)
10, 47 Quand il entendit que c’était Jésus de Nazareth, il se mit à crier : « Fils de David, Jésus, prends pitié de moi ! » 48 Beaucoup de gens le rabrouaient pour le faire taire, mais il criait de plus belle : « Fils de David, prends pitié de moi ! »
Un cri de foi, un mur d’aveugles
Le cri du mendiant dérange. Il est seul, mais beaucoup le rabroue, lui intimant de se taire. La lutte est inégale. Face au défilé qui marche vers la victoire, on oblige au silence celui qui mendie. Ainsi les gens se dressent, tel un mur, entre l’aveugle et Jésus. Car ce mendiant perturbe la procession solennelle. Pourtant Bartimée, s’il est aveugle, est loin d’être sourd. Il est celui qui, entendant que c’était Jésus de Nazareth, reconnaît en lui, sans le voir, le fils de David, une dénomination royale et messianique. À l’inverse, ceux qui sont sourds aux cris de Bartimée, exerçant sur lui leur pouvoir de bien-portants, restent aveugles face à la messianité de Jésus. Or, rien n’arrête la foi de Bartimée qui « mendie » la miséricorde du digne successeur du roi David. Lui, un parmi tous, assis à terre comme le plus « bas », ose de plus belle faire monter son cri vers le Seigneur son Espérance (Ex 2,23).
Appelez-le (10,49)
10, 49 Jésus s’arrête et dit : « Appelez-le. » On appelle donc l’aveugle, et on lui dit : « Confiance, lève-toi ; il t’appelle. »
Sa Parole fait s’effondrer les murs
Jésus s’arrête. Il est celui, qui – tel Dieu à l’Exode – entend la misère de son peuple (Ex 3,7) et vient le délivrer. La marche vers Jérusalem doit s’arrêter. Car elle ne saurait laisser, au bord du chemin, celui qui en appelle à la miséricorde de son sauveur. Comme autrefois, pour l’épisode de Jéricho (Jos 6,10), un ordre et des cris font tomber les murs. Car aux cris de Bartimée s’ajoute maintenant l’ordre de Jésus Appelez-le ! Le mur de la foule, barrière du dédain, du mépris ou de la domination, s’effondre à l’appel retentissant de Jésus.
Il ne rejoint pas d’emblée l’aveugle, ni ne s’adresse directement à lui mais à ce groupe qui comprend tout à la fois les disciples et la foule considérable. La parole de Jésus est au cœur de ce récit. Elle est une parole de guérison et de conversion notamment pour cette foule. Car le premier miracle de Jésus, en ce récit, se situe dans la restauration de ces cœurs endurcis à l’appel et au cri de foi du mendiant. Sa parole seule a suffi. À son écoute, ils sont devenus les serviteurs de sa rencontre avec Bartimée. Leurs paroles ne deviennent pas des propos d’exclusion ou de division, mais une proclamation de Foi, de Miséricorde et d’Espérance : Confiance, lève-toi, il t’appelle.
Rabbouni ! (10,50-52)
10, 50 L’aveugle jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus. 51 Prenant la parole, Jésus lui dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » L’aveugle lui dit : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! » 52 Et Jésus lui dit : « Va, ta foi t’a sauvé. » Aussitôt l’homme retrouva la vue, et il suivait Jésus sur le chemin.
Le bond de l’aveugle
Le mur étant tombé, la rencontre entre Jésus et Bartimée peut avoir lieu. Marc décrit une scène improbable où, quoique toujours aveugle, Bartimée bondit pour aller vers Jésus. Même les ténèbres ne peuvent l’en empêcher. Lui le mendiant répond à l’appel de son Seigneur en abandonnant son propre manteau. Cette longue et épaisse pièce de tissu est ce qu’il a de plus précieux : sa couverture contre le froid nocturne, son vêtement contre la pluie, sa toile contre le soleil ardent… Ce manteau est tout à la fois sa maigre richesse et le symbole de son extrême pauvreté. En le rejetant, Bartimée abandonne toute sa vie pour cette rencontre.
On voulait faire taire Bartimée, Jésus veut le faire parler. Il manifeste sa volonté de lui redonner sa pleine liberté dans la foi : Que veux-tu que je fasse pour toi ? Les termes sont les mêmes que ceux de Jacques et Jean : Maître, nous voulons que tu fasses pour nous… Contrairement à la demande impérieuse des fils de Zébédée, Jésus attend une réponse libre. Ce faisant, il donne à Bartimée l’honneur (timè) d’être délivré du mépris, restauré dans une relation divine, et libre d’y répondre. Et c’est déjà une guérison.
Voir et suivre Jésus
Le royal fils de David devient maintenant pour lui le rabbouni, un terme exprimant l’intimité amicale entre un disciple et le maître qui lui enseigne (rabbi). En bondissant vers Jésus, il en comprend l’humilité divine : le roi se fait ami du pauvre. En s’approchant de lui, il s’en trouve transfiguré, éclairé. Celui qui mendiait reçoit le pouvoir de prendre une décision vitale : Que je recouvre la vue. Celui qui était assis, au loin, se trouve dans la proximité de Jésus. Celui qui ne voyait pas, voit à nouveau. Celui qui était au bord du chemin, y pose maintenant ses pas. La conversion est radicale, tant pour la foule qui a accueilli la parole de Jésus, que pour ce nouveau disciple qui, avec tous, monte à Jérusalem vers la Passion de son Seigneur. La foi donnée à Bartimée correspond à cet honneur véritable qui n’attend pas les ors et la reconnaissance du monde, mais la proximité de Celui qui s’approche de sa croix pour le salut de tous.
- La première en 8,27-9,1 sur le chemin menant vers Césarée de Philippe ville païenne ; la deuxième en 9,30-50 peu avant d’arrivée à Capharnaüm ; et la troisième en 10, 32-45 en montant à Jérusalem. Ainsi, la Passion de Jésus concerne l’universalité du monde à travers ces trois lieux : les nations païennes, la Galilée des disciples et la Judée des autorités juives. ↩︎
- En hébreu, Josué et Jésus sont un seul et même prénom signifiant Dieu-Sauve. ↩︎
gloire a Dieu